« AU DÉBUT, L’IDÉE, C’EST DE RÉUSSIR À NE PAS PERDRE DE L’ARGENT, C’EST MÊME PAS D’EN GAGNER »

Guillem Trebuchon, chargé de mission ‘‘musiques actuelles’’ au conseil général de l’Hérault, Part. I

Grâce au dispositif ‘‘34 tours’’ et à travers son poste de chargé de mission au conseil général, Guillem Trebuchon vient en aide aux artistes émergents qui souhaitent se professionnaliser. Pour Union Urbaine, il nous fait part, dans cette première partie, de son expertise concernant le rapport étroit qui existe entre cultures urbaines et institutions.

 

Union Urbaine : Est-ce que tu peux me dire en quelques mots ce que tu fais au conseil général de l’Hérault ?

Guillem Trebuchon : Je suis chargé de mission ‘‘musiques actuelles’’, au service spectacle vivant. Pour résumé, mon boulot c’est de faire à la fois de l’expertise pour le conseil départemental, expertise qui concerne les artistes professionnels mais aussi la jeunesse, qui peut toucher parfois la politique de la ville, en plus d’interventions artistiques en collège. Ça c’est une première partie. La deuxième partie c’est de faire de l’aide aux projets. De l’accompagnement qui se formalise de manière très concrète via un dispositif qui s’appelle ‘‘34 tours’’, qui aide les groupes émergents en voie de professionnalisation. Donc l’idée c’est d’aller vers un métier, avec tout ce que ça présuppose, en terme artistique, en termes d’incertitudes, et en termes de compétences à acquérir.

 

« Des bons projets avec des gens qui restent chez eux, il y en a plein »

 

Le but, c’est de viser la professionnalisation…

Le but, c’est d’aider les groupes qui sont déjà dans cette démarche-là, à franchir un palier, et de leur donner les outils dont ils vont avoir besoin, plus ou moins immédiatement.

Et au niveau des esthétiques, c’est quel genre ? 

Tout dépend des années. On ne se dit pas : « Cette année on va prendre telle ou telle esthétique. » On s’attache à la qualité des projets, à leur originalité et la façon dont ils sont animés. C’est-à-dire qu’un très bon projet sur lequel il n’y aura pas de diffusion, où on sent que le porteur de projet fait pas ce qu’il faut pour jouer, pour être vu, communique pas, voilà quoi… Des bons projets avec des gens qui restent chez eux, il y en a plein. Nous on veut un bon projet, avec quelqu’un qui est dans une vraie démarche de professionnalisation, quelqu’un qui se bouge un peu quoi…Et voilà après on peut avoir du métal, on peut avoir de la grime, cette année on a quelqu’un qui fait du hip hop, on peut avoir du rock, on peut avoir de la pop, on peut avoir du reggae… Peu importe, les deux conditions réunies c’est : projet original et démarche de professionnalisation.

 

« C’est pas parce qu’on fait du hip hop, ou du métal extrême qu’on doit se dire : ‘‘C’est des cons, ils comprennent rien’’ »

 

L’intitulé de ton poste c’est chargé de mission ‘‘musiques actuelles’’, qu’est ce qu’on entend par musiques actuelles ?

Alors les musiques actuelles, en gros, c’est le terme qui s’oppose à la musique savante. La musique savante, c’est tout le répertoire classique et contemporain et les musiques actuelles c’est la chanson, le jazz, le blues, tout ce qui est cultures urbaines, le rock et dérivés et tout ce qui est musiques électroniques.

Dans le hip hop, on a l’impression qu’il y a un frein à venir bénéficier des accompagnements que propose le département, est-ce qu’il y a des esthétiques qui sont plus disposées à se mêler aux carcans institutionnels ou c’est un fantasme ?

En fait il y a deux modèles de groupes, ceux qui se disent : « de toute façon, c’est pas pour nous » et ceux qui vont chercher à aller voir comment ça se passe en se posant les questions suivantes : « est-ce que leur démarches correspond à ce qu’on peut proposer ? » Cette catégorie de groupe là, en général ils voient que c’est pas éloigné, que c’est pas fermé. C’est pas parce qu’on fait du hip hop, ou du métal extrême qu’on doit se dire : « C’est des cons ils comprennent rien. » Après, effectivement, nous on entend professionnalisation, c’est-à-dire création, diffusion en public dans des vraies salles, et le hip hop pâtit du fait, en tout cas le rap, qu’il y a très peu de scènes proposées aux artistes émergents. Dans le rock, il y a plein de lieux intermédiaires, comme le Black Sheep à Montpellier. En général, les mecs qui ont des groupes ont tous derrière eux une asso, et ils ont tous derrière eux un petit passé d’organisateur de concerts. Et c’est en s’échangeant des dates avec d’autres groupes qu’ils arrivent à tourner. Pourquoi les groupes de rap ne le font pas ? Je sais pas. Pourquoi ils ne travaillent pas sur du live ? Je ne sais pas. Après effectivement le modèle de développement du rap, au moins en France, ça passe beaucoup par du clip, ça passe beaucoup par du disque. Il y a qu’à voir le développement de Set&Match, ça fait quand même dix ans qu’ils font ce boulot là, en sous marin, qu’ils ont sorti des disques, ils organisaient des soirées à l’antirouille pendant très longtemps.

 

« Le rap pâtit du fait qu’il y a très peu de scènes proposées aux artistes émergents »

 

Mais ça marche Set&Match ?

En tout cas ils ont mis 10 ans à sortir un premier album. Et ça fait deux ans qu’ils sont accompagnés par Paloma à Nîmes. Donc il y a des choses qui se passent. Mais effectivement ils ont peu rejoint cette sorte de modèle où « on reste pas cantonné à faire nos trucs », mais plutôt « on essaie aussi de se bouger pour les amener sur scène ».

Je voulais savoir ce qu’on appelle réussir du coup…

C’est aléatoire, la professionnalisation c’est comme n’importe quel métier. Il y a des fois ou ça marche. Parfois tu galères, parfois il faut tout recommencer. Comme n’importe quel boulot. Nous on part du principe que c’est un métier, passionnant certes, mais en même temps, c’est un métier. Donc il faut donner des gages pour arriver à …y arriver. Et à se maintenir, avec toute la part de chance que ça comporte aussi, ainsi que les difficultés financières éventuelles.

 

 

« L’objectif, du point de vue de ces contempteurs du dispositif d’accompagnement, ce serait d’avoir des articles dans les Inrocks et de passer aux Francofolies de La Rochelle »

 

Il y a des dispositifs d’accompagnement qui sont mis en place comme les vôtres, mais quand on regarde les têtes d’affiches nationales, j’ai l’impression que ceux qui percent, ils se font en dehors des ces dispositifs là.

En même temps c’est valable pour le reste hein. Les contempteurs du dispositif d’accompagnement disent -D’ailleurs ça me fait penser à un dessinateur de BD qui travaille là-dessus qui s’appelle David Snug, il est très drôle- : « Les dispositifs d’accompagnement ça sert à prendre des groupes de pop bien lisses, et les lisser encore plus. » En gros l’objectif, du point de vue de ces contempteurs du dispositif d’accompagnement, ce serait d’avoir des articles dans les Inrocks et de passer aux Francofolies de La Rochelle. Une usine à uniformisation en fait.

C’est un peu vrai ?

C’est un peu vrai.

C’est délicat de dire ça de ta position je suppose…

Ça dépend vraiment des personnalités. En gros, les avis qu’on te donne, même toi en tant que personne, tu prends et gardes ce que tu penses être vrai. On travaille là-dessus, on fait des propositions. Les groupes on va pas leur dire tu vas faire ça, c’est pas ‘‘The voice’’ quoi. Nous c’est l’inverse. L’idée c’est : « est-ce que vous pensez qu’on peut travailler là-dessus ? » Et une fois qu’on travaille là-dessus, on fait des propositions, on cherche avec eux quoi ! On est pas là pour leur dire ce qu’il faut qu’ils fassent. De toute façon pour être clair, sur le dispositif 34 tours et la majorité des dispositifs d’accompagnement, il faut s’inscrire ! Si le mec s’inscrit, c’est qu’il est déjà persuadé de l’utilité du truc.

 

« Ceux qui viennent, c’est qu’ils pensent y trouver quelque chose »

 

Ou qu’il est persuadé de pouvoir répondre aux critères…

Les critères, ils sont excessivement objectifs. Pour ‘‘34 tours’’ les critères c’est : être localisé dans l’Hérault, avoir enregistré quatre ou cinq titres en studio, avoir fait une vingtaine de dates dans l’année écoulée – ça c’est purement objectif quoi, tu les as fait ou tu les as pas fait quoi- et avoir une démarche de professionnalisation active, don ça c’est effectivement un peu plus relatif. Et avoir un projet artistique qui tienne la route, c’est-à-dire que pour un groupe lambda, il faut que le groupe joue ensemble, si le groupe est trop débutant on le prendra pas quoi. C’est tout ! Après les groupes qui pensent que c’est pas intéressant, ils postulent pas, c’est simple ! Des mecs m’ont dit : « ton truc ça m’intéresse pas, j’en ai rien à foutre. » Personne les force. Donc ceux qui viennent, c’est qu’ils pensent y trouver quelque chose. Les groupes peuvent m’appeler avant pour savoir comment ça marche, pour savoir s’ils s’inscrivent ou pas. On propose un regard extérieur qui n’est pas dans l’affectif, mais objectif. Même si après on est sur des ressentis.

 

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