« CES PETITES RADIOS, QUE MOI J’APPELLE DES ‘‘RADIOS VILLAGES’’, JOUENT LES DURS, JOUENT LES SKYROCK »

Roland Ngie, fondateur du label Ironmaster Factory, Part. I

Union Urbaine est allé à la rencontre de Roland Ngie, dénicheur de talents et organisateur de concerts à Montpellier depuis plus d’une dizaine d’années. Nous avons parlé de son label, Ironmaster Factory, et des difficultés pour les artistes indépendants d’exister hors des sentiers battus ou d’exister tout court. Nous avons également évoqué la dureté des radios locales et le rôle de la Région dans le développement de la culture urbaine, en passant par «  ces escrocs de distributeurs ». Dans ce premier acte, il nous raconte la fois où il a voulu organiser un concert pour Unicef et les déconvenues qui en ont émanées. Retour sur l’expérience d’un entrepreneur artistique bien conscient de son environnement, pour qui l’accès au Graal de la visibilité s’apparente à un chemin de croix.

 

Union Urbaine : Quand est-ce que tu as monté ce label ?

Roland Ngie : Je l’ai monté en 2010. Aujourd’hui, nous avons déjà cinq, six albums diffusés en radios, en télés. L’inconvénient pour nous, dans le milieu hip hop, c’est au niveau de la Région. Enfin, c’est pas vraiment un inconvénient en tant que tel mais j’ai compris une chose ici à Montpellier : lorsque tu as envie de monter quelque chose, lorsque tu as une structure, un label par exemple, et bien il te faut une association avec toi. Il y a beaucoup d’aides pour les associations dans la région, mais tout ce qui est aide pour les entreprises privées qui se lancent, ça n’existe pas.

 

« Il y a beaucoup d’aides pour les associations dans la région, mais tout ce qui est aide pour les entreprises privées qui se lancent, ça n’existe pas »

 

Tu crois que c’est propre à la région ou c’est symptomatique du climat en France ?

(Il réfléchit ) À mon avis c’est propre à la région. Parce que j’ai des amis qui ont lancé des structures sur Avignon, sur Paris, même à Lyon, et ils sont beaucoup aidés par les pouvoirs publics. Alors qu’ici tu auras beau frapper à toutes les portes, pour organiser des événements… j’ai un exemple : Il n’y a pas si longtemps, j’ai organisé un concert Unicef avec mon associé. Je suis passé à la mairie pour demander une aide. Le but était de reverser les fonds pour les enfants du nord Mali, la France à l’époque était en conflit au nord Mali. Je me suis dit : « Quand même, tu vois des images passer à la télé, des enfants qui souffrent. » Je suis allé voir Unicef, j’ai lancé un projet avec eux, ils étaient d’accord. Je me suis dit que j’allais essayer de joindre les médias avec moi, pour faire un gros événement de façon à ce qu’il y ait du monde et qu’on puisse donner un coup de main à Unicef. Alors tu y vas, on te reçoit, niquel et tout, mais rien. Je demandais qu’une salle, assez grande pour pouvoir faire un événement conséquent. Une salle gratuite, je demandais que ça. Il a fallu qu’on loue une salle nous-même, qu’on loue notre matos, les musiciens…

 

« C’est même pas qu’ils ont refusé, ils demandaient des sous »

 

C’était un concert rap ?

Non, c’était de la musique pop africaine. Un artiste à nous qu’on avait produit, qui est passé sur RFI entre autres. C’est Matta Fore. C’était en septembre 2013, il me semble. Et avec ce projet-là, je suis allé voir les mairies, même les radios et il a fallu batailler comme des malades pour avoir des émissions télés, des émissions radios, et pourtant on était avec le directeur d’Unicef de Montpellier. Il y a des radios qui nous ont ouvert les portes, vite fait, comme Aviva, tout ça. Mais il faut savoir que ces petites radios, que moi j’appelle des ‘‘radios villages’’ jouent les durs, jouent les Skyrock. Au lieu de nous donner un coup de main pour amener plus de monde, retransmettre le concert, rien. C’est leur rôle, c’est quand même un privilège.

 

 

« Comment tu peux attirer 300 personnes un mardi ? »

 

Toi tu voulais qu’ils en fassent la promotion ou qu’ils le retransmettent ?

Retransmettre et promouvoir. C’était quand même un concert Unicef. On demandait rien d’autre, nous. C’est même pas qu’ils ont refusé. Ils demandaient des sous (rires) ! Je passe le nom de la radio qui nous a demandé des sous mais bon… Ils m’ont demandé 150 euros, 200 euros, pour venir diffuser le concert. Je leur dis : « Attendez, je comprends pas, je fais un concert Unicef, vous êtes une radio locale, et vous me demandez 200 euros parce que vous devez déplacer du matériel ? » Et finalement, aucune radio ne l’a retransmis, il n’y a qu’Aviva qui nous a fait de la promotion sur le concert, et TV Sud, où on est passé en direct avec le directeur de Montpellier, mais là c’était pareil, c’était une petite bataille. Heureusement qu’il y avait Unicef avec nous. Mais si ça avait été uniquement mon associé et moi, sur et certain c’était mort.

Toi, tu essayes de rentrer dans ce réseau pour avoir accès à des salles ?

Oui, avoir accès à des scènes, des salles, de la visibilité pour mes artistes. On a déjà réussi à travailler avec l’association Attitude mais bon. Je te donne un exemple très simple : ils avaient un artiste qui devait faire un projet et qui est monté à Paris. Il a claqué presque 3 000 euros pour faire son projet, et il n’y est pas arrivé. Je ne cite pas un nom, hein. Bon moi j’allais les voir de temps en temps, les mecs de cette association, pour présenter mes artistes. Coolie Cardinal par exemple, pour voir s’ils pouvaient pas rentrer eux aussi dans le réseau…On me dit : « On a un gars, qui est très bien, mais qui galère un peu, donne-nous un coup de main pour mixer, arranger ses sons et tout ça, et puis après on verra. » Je me suis dit peut être qu’ils voulaient voir ce qu’on faisait. On a reçu le mec, on lui a fait économiser 2600 euros, on a fait des prix corrects parce que c’est une association. Le boulot était carré. Et c’est à partir de ce moment-là qu’ils ont commencé à nous prendre au sérieux. Le mec s’est dit : « J’envoie des gars à Paname, avec le financement de la Région », parce que c’est quand même la Région qui finance, alors qu’il y a tout à Montpellier. On te fait tout. On peut rivaliser, avec nos logiciels, avec n’importe quel studio de Paris. Maintenant, j’espère qu’on va rentrer dans le réseau.

 

 

« On a besoin du réseau pour que les vues de nos artistes prennent de l’ampleur »

 

La réussite ne peut se faire que par les associations portées par la Région ?

Oui. Enfin, ça veut pas dire que si nos artistes ne sont pas dans le réseau, on va pas y arriver. Mais ce sera plus long, beaucoup plus long. Et plus compliqué. Alors qu’avec eux, ce sera plus facile. Par exemple, nous, pour trouver des scènes, on est obligé de trouver des scènes nous-même, et de prendre nos risques.

Rentrer dans le réseau de la région vous apporterait le soutien pour trouver des scènes et exercer ?

Des scènes, de la visibilité. On a besoin du réseau pour que les vues de nos artistes prennent de l’ampleur, c’est des artistes qui valent la peine. Donc pour la visibilité internet, et les concerts. Parce qu’eux, ils ont l’avantage de travailler avec les SMAC, les Scènes de Musiques Actuelles. Et ces SMAC-là, ont le Zénith, ils ont de grosses salles. Nous, on se bat dans quoi ? Des salles du centre-ville. Et encore, dans ces salles, on te donne la semaine, on te donne pas le week-end, parce que le week-end, ils font de la techno ou je sais pas quoi. Et le mardi c’est impossible que tu puisses attirer des gens pour un concert hip-hop. C’est soit le week-end, soit rien. Les mecs de Montpellier c’est que la semaine, mais comment tu peux attirer 300 personnes un mardi ? T’auras beau mettre tout la pub que tu veux, c’est mort.

 

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