GROS BISOUS MAÏTENA

La télévision ne pige toujours rien au rap et la MZ en a encore fait les frais lors de son passage au Grand Journal, le 4 mai dernier.


« Les enfants ont peur du noir
Cette peur s’amplifie avec l’âge
Vois-tu de quoi je parle ? As-tu capté mon message ?
Tu hais ce dont tu as peur, toi tu as peur de moi

C’est dur pour un noir en France
Pour me croire il faut le vivre
Fuck les politiques, les médias nous méprisent
Ils disent qu’je me victimise »

 

 

Ce n’est pas qu’on souhaite réagir à chaque réception gênante d’un rappeur sur un plateau télé (bien qu’il y ait de quoi faire) mais disons que tout ce qui touche à la Mafia Zeutrei ne nous laisse pas souvent insensible.

Présents sur tous les fronts depuis la sortie de leur nouvel album « La Dictature », le groupe parisien était convié par l’animatrice de Canal + Maïtena Biraben sur le plateau du Grand Journal, mercredi dernier. Parmi les invités, Latifa Ibn Ziaten, venue présenter son louable combat contre le recrutement de djihadistes dans les quartiers populaires. Mère d’une des victimes de Mohamed Merah, c’est avec courage et dévotion qu’elle expliquait les moyens mis en place par son association pour rencontrer collégiens et lycéens des banlieues parisiennes en vue de les sensibiliser à la question du radicalisme religieux.

Jusque-là, pas de quoi s’indigner, l’audience donnée à cette initiative étant plus que bienvenue en cette période délicate. Et ce bien qu’on puisse regretter de voir dans la réactions des journalistes face à cette militante la satisfaction de voir enfin une musulmane pointer du doigt les dérives communautaires. Une approche pour le moins ambiguë qui donnait à voir dans le cas de cette dame tous les traits de l’informateur indigène qui vient rassurer la France en affirmant que tous ses semblables ne sont « pas comme eux ». Le simple fait qu’elle soit appelée par son prénom (« Latifa ») tout le long de l’entretien donnait aussi une certaine forme de paternalisme dont on se serait bien passé. Mais, encore une fois, là n’est pas l’objet principal de notre scepticisme. Et par crainte d’être taxés de grincheux, nous ne pouvons que saluer la médiatisation d’une initiative essentielle.

 

« La MZ, moins connue pour son discours social que pour son penchant pour la tise »

 

Puisqu’on parle un peu de rap ici, c’est plus l’arrivée des trois compères du XIIIe arrondissement qui nous a intéressés. Ce premier paragraphe n’était donc qu’un moyen de vous planter le décor pour en venir au moment plus embêtant de l’émission. Entre le Zapping et les blagues de Cyril Eldin donc, voici venu le temps des rires et des chants de Dehmo, Hache-P et Jok’air. Avant quoi ces derniers étaient invités à intervenir sur le plateau pour se présenter et éventuellement en savoir un peu plus sur eux avant d’écouter leur performance scénique. Après avoir rappelé les milliers de milliards de millions de vues de leurs clips sur Youtube comme argument-béton pour affirmer qu’on n’avait pas affaire à n’importe qui, Mme Biraben n’a pas pu s’empêcher, sans doute dans un professionnalisme qu’on ne lui enlèvera pas, de faire une transition délicate entre le discours de « Latifa » et celui de la MZ.

Quoique le rapprochement n’ait rien d’évident à la base, on peut le mettre sur le compte de l’éthique télévisuelle selon laquelle « Tout le monde il s’aime, tout le monde il est gentil ». Sauf que le simple fait d’interroger un groupe de musique moins connu pour son discours social que pour son penchant pour la tise sur sa lecture politique du monde nous mettait déjà la puce à l’oreille. Pour ne pas déformer ses propos, citons in extenso l’interrogatoire de la journaliste.

Maïtena Biraben : « Vous (la MZ) dîtes exactement ce que vous (s’adressant à Latifa Ibn Ziaten) entendez quand vous allez dans les lycées ou dans les écoles. Vous dîtes dans vos albums qu’il y a deux France, et que le Français noir c’est pas un Français blanc, vous dîtes que l’espoir c’est pas pour tout le monde, vous dîtes que l’avenir ben… Y’en a plus du côté des blancs que du côté des noirs. Alors, qu’est-ce que vous leur répondez, Latifa ? »

Latifa Ibn Zatien : « Je pense qu’on a de l’espoir, tous. Noirs ou blancs. »

Jok’air : « Ce qu’on essaye de transmettre par rapport à notre musique c’est plus… On apporte plus une lueur d’espoir, aller vers le travail, se lever et faire les choses. Et c’est vrai que c’est pas facile aujourd’hui d’être noir en France mais nous ce qu’on essaye de transmettre par rapport à notre musique, par rapport à nos engagements, c’est qu’il faut se lever, qu’il faut se battre ; parce que nous, on vient d’un quartier où c’est pas forcément facile tous les jours et le fait qu’ils nous voient aujourd’hui au Grand Journal, ça fait toujours du bien et ça pousse d’autres personnes à le faire, aussi, d’autres personnes qui sont dans le même état d’esprit que nous, dans le même cas que nous. »

On notera l’habilité de l’animatrice qui, sans se prononcer directement, pose délicatement sur la table la question du communautarisme en donnant la parole à son invitée. L’intéressée n’a surement pas le monopole du vice journalistique, on a vu bien pire ailleurs. Et même si son intervention n’était que maladroite, il s’agit plus de pointer du doigt des réflexes trop récurrents dans les médias que d’accuser personnellement « Maïtena ». On s’abstiendra aussi de tout reproche à la réponse hésitante de Latifa Ibn Zatien, apparemment surprise de devoir faire la leçon à des inconnus qui a priori, n’avaient rien demandé. Deux aspects s’avérèrent plus affligeants.

 

Nekfeu et la MZ, deux poids deux mesures

 

On peut d’abord s’interroger sur la fixette (il s’agira de la seul question posée au groupe) sur le morceau « Noir c’est Noir » auquel il a été fait allusion et qui sans être un chef-d’œuvre, a le mérite d’exister. Qu’une journaliste rebondisse sur un thème évoqué par l’artiste dans son oeuvre, d’autant plus d’actualité, n’a en soi rien de déplacé. On peut en effet estimer que si les chanteurs ont enregistré ces paroles, c’est qu’ils savent en répondre. Encore que cette considération pour des rappeurs soit hasardeuse, et qu’il n’est pas certain qu’un autre artiste, rappeur ou non, ait reçu le même accueil. Prenons Nekfeu par exemple, qui était justement présent en coulisses ce soir-là pour chanter avec la MZ quelques instants après. Il aurait été très étonnant de voir la même journaliste le questionner sur sa phrase tout aussi frappante « Fils de pute, bien sûr que c’est plus facile pour toi quand t’es blanc » de son morceau Martin Eden.

 

 

Autre problème, qui serait anecdotique s’il n’était pas symptomatique : il se trouve que dans la même chanson, le même Jok’air déplore justement qu’évoquer le moindre problème racial soit souvent vu comme de la victimisation. Pourtant, c’est là que le bât blesse dans l’épisode en question : des noirs qui parlent de négrophobie sont forcément considérés comme paranos. Dès lors, on peut s’interroger sur la valeur de la critique alors même que le propos des rappeurs ne s’appuie strictement que sur leur propre vécu. Paradoxalement, la parole d’un témoin « de l’intérieur » n’est cette fois pas prise pour argent comptant. Et quand bien même leur point de vue serait discutable, on comprend bien que s’ils estiment que le racisme est assez important pour lui consacrer une chanson, c’est qu’ils ont de quoi argumenter.

 

« On aurait plus apprécié que la MZ soit questionnée sur le succès fulgurant, sur la complémentarité de leur flow… Bref, les entendre parler de musique quoi »

 

Au-delà du fond, on peut aussi s’étonner de voir tout un projet musical résumé aux paroles d’une seule de ses chansons. Et puis honnêtement, on aurait plus apprécié que la MZ soit questionnée sur leur succès fulgurant, sur la complémentarité de leur flow, sur la disparition du quatrième membre du groupe (tmank Rod’K), sur la référence à Johnny Hallyday ou même au 92i Veyron de Booba, sur leur goût pour le refrain chanté qui fait leur marque de fabrique… Bref, les entendre parler de musique, quoi.

Mais puisqu’on parle de couleur de peau, discuter du public de la MZ aurait aussi été intéressant. Car la mixité (ethnique mais aussi sociale et sexuelle) des jeunes collégiens ou lycéens qui s’arrachent « La Dictature », est quand même la preuve certaine qu’à l’heure du repli sur soi, la musique reste fédératrice. L’aptitude de trois banlieusards à rassembler autant de jeunes (très jeunes d’ailleurs) de tous horizons aurait donc pu être soulignée par les protagonistes de l’émission. Mais rien de tout ça, non. Pour leur première télé, le trio de la MZ a été sollicité pour parler de tout… sauf de rap. Pas de quoi s’indigner, nous direz-vous. Sauf que c’est quand même devenu une scène trop habituelle pour les rappeurs. Heureusement, leur passage télé s’est mieux terminé qu’il n’avait commencé avec une prestation solide de leur énième tube « Les Princes ». Et pour rester grands seigneurs, on retiendra surtout la punchline de la soirée prononcée par Jok’air en quittant le plateau : « Gros bisous Maïtena. Gros bisous Latifa. »

 

Khoman