KEKRA : FREEWHEEL

Le crack résulte « d’un mélange de cocaïne, d’ammoniaque et de bicarbonate de soude. La montée, quasi instantanée, procure une grande sensation de bien-être éphémère qui ne peut continuer qu’avec une autre prise de crack ». En marge de cette définition, il s’agit également du blaz qu’a choisi la nouvelle sensation venue du 9.2. C’est à travers cette analogie éclairée que s’est rapidement construit le jeune rappeur dans la scène francophone. Après quatre projets refourgués à la destination des potentiels « yenclis », Kekra sort aujourd’hui « Vréel 2 ». Disposant d’une faible couverture médiatique, le Courbevoisien tente le braquage vocal à visage couvert. Le leitmotiv est clair, limpide : faire rentrer la monnaie.

 


 

We are Anonymous

 

Loin de la transparence qui domine le « rap jeu », le chanteur a choisi, pour sa part, de la jouer scred. Pas de nom, pas d’histoire, juste un masque et des cordes vocales. Les sonorités sont typées trap. Et les thématiques restent classiques (sexe, drogue, argent), mais revisitées à sa sauce. Le tout saupoudré d’une pincé d’excentricité propre au personnage.

Sa stratégie de com’ ? Elle vient essentiellement de ses morceaux. Le rappeur comptabilise très peu d’irruptions dans la sphère médiatique. Dont une apparition sur OKLM Radio. Interview en l’occurrence bourrée de moments gênants, qui fait écho aux paroles de ses textes : « Laissez-moi dans mon coin, j’suis méfiant ».

Une méfiance médiatique qui lui permet néanmoins de s’affranchir de tous les aspects pouvant dénaturer son discours. La communication ne s’embarrasse d’aucune fioriture, elle s’articule essentiellement sur ses prods.

Un parti pris qui n’est pas sans rappeler celui de PNL. Mais a contrario des deux frères, Kekra agit seul. Si bien qu’on ne trouve aucun feat sur ses divers projets. Il s’explique là-dessus lors d’une interview donnée à Vice : « Les feats, j’ai déjà trop de choses à dire, je suis en feat avec moi-même pour l’instant. T’écoutes le son, t’as l’impression que c’est la même personne au second couplet ? »

Bilingue, Kekra pioche la plupart de ses influences rap du côté des States. Young Thug pour ne citer que lui. Il sort également des sentiers battus, en s’inspirant du grime. Il revisitera d’ailleurs un son de Skepta intitulé « That’s not me ».

Au-delà de ça, la « pop culture » est souvent un sujet récurent chez lui. Films, manga, jeux vidéo. On sent que le rappeur en a sous le pied dès qu’il faut s’exprimer sur le domaine. Que ce soit à travers ses écrits ou sur ses productions vidéos, les références fusent dans tous les sens.

Sa technique de « bicrave », elle, consiste à balancer du contenu gratuit pour fédérer l’auditoire. Car comme disait son confrère du 92 : « Première dose gratuite, le boloss est fidélisé ».

L’équation est donc simple : « Freebase = Fanbase ». Son but est de vous rendre accro à son produit. Et pour cela, il compte sur son flow. Selon lui, c’est sa meilleure arme.

 

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« Ça kick comme ça tweet » 

 

La recette que Washington recherche

 

Alliant la polyvalence d’un Jarod et la facilité vocale que peut avoir Hamza, Kekra propose à travers ses sons une déferlante de sonorités. Un flow pourvu de multiples facettes, rendant le produit très dense.

Le rappeur se balade sur l’instru, et y impose sa rythmique. Décousu mais fluide, son flow devient alors hypnotique, en plus d’être modulable : « Je change de flow comme je change de pe-sa ». De ce fait, il évite toute éventuelle monotonie. Tant les morceaux peuvent être asymétriques.

Au niveau des lyrics, on remarque une accumulation d’épiphores. De multiples répétitions appuyées par le ratio élevé de refrain. Heureusement, cette facilité d’écriture (qu’on peut nuancer compte tenu de l’offre gratifiante de punch) ne parvient jamais à galvauder ses propos.

Après quatre projets en une année, il démontre également sa générosité dans la proposition de contenu. Générosité qui se poursuit en vidéo. Peu avare en la matière, la relève des Hauts-de-Seine enchaîne les clips, dont certains sont issus de morceaux (ou freestyles) inédits.

Pour le reste, on sent l’envie de jouer des codes émergeants. De ce fait, l’usage du vocodeur va de soi. Plus présent sur ses derniers projets, le procédé amène un surplus d’extravagance. De même, pour ses apparitions sur clip. Un charisme détonnant, qui donne lieu à un véritable monopole de l’espace scénique. Le tout poussé par l’utilisation fréquente d’égotrip. Le personnage déambule, se pavane, et discrédite la concurrence : « Le produit d’en face est coupé et esquinte les yenclis ».

 


 

Transe, puis dépendance

 

Aujourd’hui, la dose a eu le temps de faire effet et le public semble contaminé. Le rookie a mûri et a pris du level. Il est désormais prêt à casser des culsLoin de vouloir lever le pied : « On vi-ser jusqu’à l’OD ». Kekra compte faire durer son bizness tant qu’il peut.

À voir maintenant si le succès commercial suivra. Car jusqu’ici, malgré de bonnes critiques, les chiffres de ventes ont fini en queue de poisson, « Vréel » accusant un succès en dents de scie (478 ventes en une semaine). La prochaine étape sera alors de rectifier le tir sur ce terrain.

 

Sans titre

 

« Kekra is the new Great Saiyaman »

 

Toutefois le streaming semble annoncer un avenir prometteur, avec le symbolique « million de vues » atteint sur quelques clips. Que ce soit au niveau des inédits, ou sur des anciens morceaux clippés après coup.

Ce qui rappelle combien ce palier est devenu indispensable. Et à ce sujet, l’émérite Cody MacFly (Alkpote, Seth Gueko) s’en sort plutôt bien. On peut citer l’effort de mise en scène effectué sur « Pas joli » basé sur le film « Bande de filles » de Celine Sciamma.

Plus récemment le clip de « Sans visage », extrait de « Vréel 2 », a démontré qu’un cap avait été franchi. Que ce soit en terme visuel ou auditif. Ici le rappeur semble moins dispersé, et se canalise. Une conso plus douce, qui fait son effet.

L’habillage graphique est lui plus ambitieux. On sent d’ailleurs le chemin parcouru. Avec notamment la réutilisation de certains effets. Comme par exemple, le « polar panorama » déjà expérimenté auparavant. Du coup, on sent la progression sur la réalisation. En somme, le clip de la maturité.

 


 

On espère maintenant que la ligne de conduite sera tenue, et que la qualité de la came ne baissera pas. Car souvenez-vous, par excès de gourmandise, même Heisenberg avait fini par se faire baiser par les néo-nazis.

 

Bachir