LA BALLADE DES GENS QUI SONT ÉLUS QUELQUE PART

À Beaucaire, le maire FN Julien Sanchez a, depuis le 8 janvier, imposé aux cantines scolaires de la ville de supprimer le « repas de substitution » destiné aux enfants qui ne mangent pas de porc. Une décision qui a poussé une partie de la population beaucairoise, opposée à l’idée de voir leur ville devenir le laboratoire du programme frontiste, à manifester devant la mairie.

 

C’est vrai qu’ils sont plaisants tous ces petits villages

Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités

Avec leurs châteaux forts, leurs églises, leurs plages

Ils n’ont qu’un seul point faible et c’est d’être habités

Et c’est d’être habités par des gens qui regardent 

Le reste avec mépris du haut de leurs remparts

La race des chauvins, des porteurs de cocardes

Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part

 
Georges Brassens – La ballade des gens qui sont nés quelque part
 

Une rentrée fracassante

 

Rappeur avant l’heure, Brassens ne s’y trompait pas. C’est vrai que c’est beau, Beaucaire. Le Rhône, ses arènes, son château, ses ruelles : à première vue, on y errerait volontiers. Un matin d’hiver, aux portes de la ville, on se laisse porter par ses paysages chaleureux. Ce n’est que lorsqu’on s’y engouffre que l’on sent que le fond de l’air y est glacial, ce lundi.

 

Place Georges Clémenceau (du nom de celui qui craignait « l’omnipotence de l’Etat laïque »), l’heure n’est plus aux flâneries. Si les terrasses de café sont clairsemées comme souvent, le parvis de la mairie, lui, est inhabituellement investi. Alors que midi sonne, on s’étonne de la présence d’une cinquantaine d’enfants dont les plus agités tapent dans un ballon avec l’entrée des halles en guise de but. Les vacances sont pourtant bel et bien terminées. À cette heure, normalement, ils s’apprêtent à se mettre à table dans leurs cantines scolaires. Seulement, pendant les fêtes, l’édile local a fait des siennes.

 

Il faut croire que chez certains, les effluves du nouvel an tardent à se dissiper. Lundi 8 janvier 2018, conformément à une annonce discrètement publiée plus tôt, la municipalité de Beaucaire imposait à toutes les cantines scolaires de la ville la suppression du « repas de substitution » une fois par semaine. Comprenez par-là que les enfants qui ne mangent pas de porc étaient tout simplement invités à se restaurer par leurs propres moyens. Rarement discrimination publique n’est aussi explicite. Et c’est là le seul mérite, celui de la franchise, d’un élu qui ne se cache pas (ou alors très mal) de cibler par sa décision les Beaucairois musulmans de tout âge. Car si l’intéressé n’en est pas à son coup d’essai, les précédents étaient sensiblement plus sournois et concernaient surtout des adultes. Comme lorsque deux arrêtés municipaux ordonnaient la fermeture des plusieurs épiceries et snacks à partir de 23h… pendant la période du ramadan. Jusqu’ici, la voie juridique avait été privilégiée par les commerçants pour contrer ces offensives. Un choix qui s’est avéré efficace puisque l’issue du procès leur a donné raison, la mairie ayant été contrainte par le tribunal administratif de Nîmes à annuler ces arrêtés jugés « insuffisamment justifiés ». Mais quand ce sont les enfants qui sont visés, forcément, les réactions sont plus vives.

 

 

Habitués mais pas résignés

 

La semaine dernière, des centaines de parents apprenaient donc à la sortie des cours que leurs protégés avaient dû se priver d’une partie du repas de midi. Stupéfaits mais finalement qu’à moitié surpris par cette nouvelle provocation, tous décidèrent de répondre à l’appel d’Anne Moiroud, déléguée de parents d’élèves, à se réunir autour d’un grand pique-nique sous les fenêtres du maire. Champêtre mais résonnante, l’initiative ne pouvait que convaincre.

 

Sur place, organisateurs et sympathisants s’improvisent orateurs et commencent par expliquer, micro en main, à qui n’en serait pas convaincus que les justifications invoquées ne sont que contre sens financier (prévoir une alternative végétarienne n’est pas plus couteux que commander des repas carnés pour tout le monde) et diététique (sur France Info, le maire avait très sérieusement expliqué qu’il ne connaissait « personne d’allergique au porc »…). Des vieux briscards habitués des manifestations profitent de l’occasion pour rappeler quelques repères historiques et soulignent que la loi de 1905 sur la laïcité n’est pas une loi contre les religions, mais qu’elle donne au contraire la possibilité pour toutes les religions de pouvoir s’exprimer.

 

Du patriotisme ambigu

 

Mais le cœur de la question n’est de toute façon pas là. Personne n’est dupe du fait que la motivation du maire est avant tout politique, et que les relais dont il a bénéficié tout au long de la semaine font d’ores et déjà de son coup une réussite médiatique. D’autant plus que son entreprise est vaine étant donné que le tribunal administratif devrait immanquablement l’annuler comme l’ont été les deux précédents des communes de Dijon et Chalon-sur-Saône. L’essentiel ici était de montrer un visage à la fois uni et pluriel de l’opposition au projet frontiste. Si Beaucaire est un laboratoire du projet national proposée par le parti de Marine Le Pen, ses dérives auront été concrètement illustrées.

 

Rappelons au passage que le maire de Beaucaire doit sa place aux résultats d’une quadrangulaire lors des dernières élections municipales marquées par les divisions de ses adversaires. On regrettera d’ailleurs la prise de parole déplacée de plusieurs politiciens aux dents longues prêts à s’appuyer sur l’indignation populaire pour préparer le terrain des prochaines élections européennes.

 

 

L’intéressé, lui, ne daignera pas sortir de son bureau. Fidèle à sa stratégie poussive de communication, il poussera même la provocation jusqu’au bout en envoyant aux occupants de la place une lettre accompagnée d’un lot de galettes des rois comme contribution au banquet. Dans son texte, quelques poncifs (« C’est vous qui êtes extrémistes »), quelques imprécisions (« Votre nombre prouve que ma décision fait l’unanimité ») et quelques diffamations (« Vos revendications communautaristes ne passeront pas ») donnent un propos creux dont on ne retient rien, sinon le mépris. On reste simplement circonspects face à l’invocation des traditions provençales par celui dont on sait qu’il a été parachuté dans le Gard par les instances nationales de son parti. Les leçons de localisme prennent un drôle d’écho quand elles sont données par un Nanterrois d’origine à des Beaucairois de naissance. On voudrait caricaturer le personnage qu’on ne s’y prendrait pas mieux.

 

L’heure tourne et la reprise des cours approche. Chacun se décide alors à reprendre la route de l’école qui elle, reste encore ouverte à tous. Les galettes offertes sont laissées en plan : « Qu’il les donne à sa mère ! » propose une des participantes. Preuve ultime que même remontés, les Beaucairois gardent le sens du partage.