LA FRANCE BOXE AVEC LES MAUX
Yuri CORTEZ/AFP

Puisque les matraques sont brandies face aux manifestants, puisque les vérités sur les circonstances de la mort d’Adama Traoré sont dissimulées, puisque les tentatives de dialogues sont balayées, puisque le gouvernement s’en bat les couilles de la démocratie, les boxeurs français, représentants des classes populaires, ont contre-attaqué sur le ring.

 

Marcel Cerdan était Français, mais on le surnommait le « bombardier du Maroc ». Né en Algérie française, d’un père originaire du Roussillon et d’une mère espagnole, débarqué à l’âge de six ans à Casablanca, certains fachos auraient eu de quoi lui foutre sur la gueule pour pas mal d’années. De part ses origines, ce fils de charcutier, cadet d’une famille de cinq enfants, appartenait à deux des principales vagues d’immigration qui se sont échouées en France. Sauf que lui, c’était un champion. Plus que ses titres nationaux et son sacre mondial, celui qui évoluait aussi sous les couleurs de l’USM Casablanca, décrit par les mots de son coéquipier Larbi Ben Barek comme un « footballeur de classe », aura marqué la boxe de ses crochets. Jusqu’à devenir un symbole de ce sport, considéré comme l’un des tout meilleurs de sa discipline.

 

Norbert Elias, Eric Dunning, Jake LaMotta et Brahim Asloum

 

Comme en Thaïlande et le muay thaï, les sports de combat (et le sport en général) apparaissent comme un catalyseur de frustrations, un évacuateur de tensions. « La plupart des sociétés humaines proposent des mesures pour se protéger contre ces tensions qu’elles créent elles-mêmes. Dans les sociétés ayant atteint un niveau relativement avancé de civilisation […] il existe une grande variété d’activités de loisir, dont le sport, qui ont précisément cette fonction », expliquent Norbert Elias et Eric Dunning dans leur ouvrage « Sport et civilisation : la violence maîtrisée ». Certains rappent, certains dansent, certains graffent, certains sont ultras, certains fument, certains boivent, certains se droguent, et d’autres se lardent. Et d’autres, encore, choisissent de le faire dans les règles, le respect et l’humilité. Comme le football ou le basket aux États-Unis, la boxe débute une partie de ses légendes au cœur des quartiers populaires. Jake LaMotta, prisonnier, Mike Tyson, placé en maison de correction, Mohamed Ali, « nègre », Brahim Asloum, neuf frères et sœurs, tous ont cela de commun qu’ils ont grandi dans la hess. Des dominés, casés derrière, dans l’ombre, condamnés à la fermer et à subir.

 

Créteil, Aubervilliers, Le Mirail, l’Afrique noire et Hénin-Beaumont

 

Vendredi dernier, la Cristolienne Estelle Mossely, membre du Red Star Champigny et de l’école supérieure d’ingénieurs Léonard-de-Vinci, est allée décrocher à Rio la première médaille d’or de l’équipe de France de boxe. Avant d’être imitée par son fiancé Tony Yoka, né d’un père d’origine congolaise, deux jours plus tard. Deux titres olympiques qui s’ajoutent aux deux médailles d’argent de Sofiane Oumiha, du Boxing Toulouse Bagatelle, un quartier du Mirail, et de Sarah Ourahmoune, la boxeuse d’Aubervilliers. Et à celles en bronze de Souleymane Cissokho, né à Dakar, et de Mathieu Bauderlique, habitant d’Hénin-Beaumont. Qui, en 2011, avait failli être dégagé de l’INSEP pour son comportement agressif et sa capacité à se mettre ivre. Six médailles qui constituent un record. Et qui veulent dire énormément, dans le contexte national actuel que l’on connaît.

 

Les poings comme seule arme

 

Dans la rue, les poings sont confrontés aux boucliers et armures, la concertation est évitée, les rassemblements sont interdits, l’état d’urgence est prolongé, le débat n’est plus permis et les cris ne servent à rien. Alors, sur le ring, à armes égales, les boxeurs français en ont profité pour taper. Pour Adama Traoré, Zyed et Bouna, et les dizaines de jeunes qui succombent chaque année aux violences policières. Contre Manuel Valls, son 49.3 et ses déclarations fatigantes, notamment sur l’islam et l’hôpital Necker. Pour ces hommes et femmes des quartiers qu’ils représentent, et les autres aussi. Contre toutes ces élites dirigeantes qui ne se renouvellent plus. Ces Sarkozy, Juppé, Hollande, Le Pen, symboles d’une France qui ressemble à tout sauf à celle d’aujourd’hui. Ces hommes politiques, toujours les mêmes, qui comme tous les cinq ans, se préparent encore à nous la mettre. Et qu’on a grillés depuis bien trop longtemps.

 

« Bon Français quand ça se passe bien, devant l’échec reviennent les différences » – Kalash

 

Par leurs victoires, ces six sportifs ont étonné. Par leur comportement, aussi. Les médias ont loué leur humanité, leur façon de vivre, leur travail de médiation effectué sur le terrain, les ont invités sur les plateaux, les ont érigés en exemple, ont rigolé avec eux. Comme pour se rassurer sur le fait que les quartiers populaires ne sont pas qu’une usine à terroristes et chômeurs. Ils ont été surpris, se sont empressés de saluer leur performance. Comme s’il fallait, sans cesse, le préciser. Comme toujours dès qu’un mec de tess finit par percer. Qui plus est lorsqu’il le fait sous les couleurs françaises. Ils se souviennent des fautes de syntaxe de Franck Ribéry, ce foutu fumeur de beuz, et de sa pute Zahia. Ils ne se rappellent pas assez de son but en huitièmes de finale de la Coupe du monde 2006 face à l’Espagne. Et que dire de Benzema. « Bon Français quand ça se passe bien, devant l’échec reviennent les différences », chante Kalash. Pour eux comme pour l’enfant de Boulogne-sur-Mer, ces six boxeurs ont intérêt à se tenir droit.

 

Viktaure