« LE FAIT DE LEUR FAIRE RENCONTRER LES JEUNES, ÇA LES DÉMYSTIFIE UN PEU »

Lionel Serin, membre de l’association Uni’sons, Part. I

Lionel se rend régulièrement dans les collèges et les lycées des quartiers montpelliérains. Le projet ? Mettre en place des rencontres entre élèves et rappeurs et organiser des ateliers d’écriture. Avec lui, Union Urbaine a parlé d’éducation, de matos et de rap. Dans ce premier couplet, il nous explique comment il est devenu animateur et revient sur les différentes initiatives mises en place par Uni’sons, l’association dont il est membre depuis bientôt 16 ans.

 

Union Urbaine : Commence par te présenter un peu, t’es sur Montpellier depuis combien de temps ?

Lionel Serin : Depuis tout petit. À la base, j’habite ici, je viens d’un village qui s’appelle Saint-Georges d’Orques. Le rap, j’y suis rentré il y a seize ans. J’ai commencé, j’avais 15 ans et maintenant j’en ai 31. On avait monté un petit groupe avec des collègues à Saint-Georges, qui s’appelait Providence. On faisait des morceaux à droite à gauche, on montait sur les scènes, mais à l’époque y’avait pas vraiment de truc structuré. Le premier pas vers Uni’sons, c’est quand j’ai fait appel à cette asso, à l’âge de 17 ans. Ça s’est fait via l’animateur de mon village, qui nous voyait tout le temps rapper. Il connaissait le groupe qui a formé cette association, qui s’appelait Boss phobie (groupe de rap montpelliérain crée en 1989). Ils étaient deux (Habib Dechraoui et Benaouda Sadi), et actuellement, ce sont toujours eux les directeurs de la structure. Ils étaient en train de monter l’association, c’était en 2000, par là. Et du coup, j’ai été un des premiers à suivre leur atelier. À l’époque, c’était le groupe un peu pionnier de la région, du moins de Montpellier et des départements alentours. Pour moi et les mecs avec qui je rappais, c’était un bon pas en avant. Donc on a suivi leurs premiers ateliers. À partir de là, ça a un peu démarré, les choses se sont faites.

Toi, là maintenant, t’es animateur.

En parallèle, j’ai démarré dans le métier de l’animation. J’ai commencé à donner des ateliers avec la personne qui en orgnanisait ici. J’étais bénévole, j’étais chaud, j’allais un peu partout, je donnais un coup de main. Je me suis un peu spécialisé là dedans, et maintenant je fais des ateliers quasiment tous les jours. J’ai plein de groupes, plein de jeunes à l’année. J’essaye de donner une dimension professionnelle à ces ateliers. Ces ateliers, c’est ce qui a permis la structuration de l’association. En plus des concours qu’on organise, de l’accompagnement artistique qu’on fournit… et y’a aussi les Renc’Art.

 

« Nous, le rap, c’est devenu notre outil de sociologie. Tu ramènes un peu les jeunes vers une culture de la langue. C’est sur ça qu’on valorise nos actions »

 

C’est quoi les Renc’Art ?

C’est des rencontres entre collégiens et lycéens, en priorité du quartier, et des rappeurs. On a déjà fait venir Médine, Kerry James, des mecs qui ont des choses à dire et à partager avec les jeunes. Après, on a fait d’autres artistes aussi, comme Alibi Montana, LIM. Le fait de leur faire rencontrer les jeunes, ça les démystifie un petit peu. Les jeunes, ils se disent : « ah ouais en fait, on va écouter ta musique, on aime bien ce que tu fais mais voilà quoi ». L’échange se passe bien. Je me rappelle de Sefyu, super gars et tout. Ses textes bon, voilà c’est du rentre-dedans mais c’est pas non plus… Il est venu, il m’a dit :  « Putain ce que vous faites ici, c’est x10 par rapport à ce qu’on faisait, franchement ça tue. » Lui il leur disait : « Nous on est des personnages, mais rentrez pas dans ce qu’on dit, écoutez notre musique, on est dans un truc, c’est un cinéma, il faut pas croire tout ce qu’on raconte. » Il leur disait que c’était qu’un « game ».

Vous arrivez à les faire venir facilement les rappeurs ?

Les directeurs de l’association, ils sont quand même d’un groupe qui a signé chez BMG. Même si c’est pas un groupe connu nationalement, ils ont côtoyé tous les rappeurs de l’époque. Ils ont obtenu les contacts des managers, des tourneurs. Les premiers éditions Renc’Art qu’ils ont organisés, je faisais pas partie de l’asso, je n’y étais qu’en tant que spectateur, ça s’était tellement bien passé qu’ils ont fini par se faire une réputation. Les mecs, ils savent. Y’a cinq, six managers qui tiennent tous les artistes, on travaille avec ceux-là. Et ils savent que quand ils viennent ici, ils sont bien logés, ils mangent bien, y’a jamais de problème. Nous, on organise tout, on les fait venir dans les collèges, dans les lycées, y’a vraiment jamais de soucis, jamais de jeunes qui exagèrent. De ce côté là, ils savent qu’ils sont bien accueillis, qu’ils vont bien dormir, bien manger. Ne serait-ce que ça, c’est pas partout. Ici, ils sont presque en vacances, ils sont dans le truc. Mais après, franchement, on remplit bien leurs journées, on les assassine (rires). Ils sont là, on en profite.

 

« Là, on va faire venir H-Magnum, bon voilà c’est pas… ça va, c’est pas mal quoi »

 

Le public, c’est essentiellement des collégiens et des lycéens ?

Ouais, après on fait un gros travail auprès des professeurs. Cette partie là, c’est pas moi qui m’en occupe, même si des fois ça m’arrive de donner un coup de main. Le gars qui est chargé de ça, c’est Yliess. C’est lui qui organise ces Renc’Art. Il vient à la rencontre des professeurs, il discute des textes avec eux, y’a un vrai travail. Nous, on veut pas faire venir les gars pour rien. Et après on fait venir l’artiste. Là, on va faire venir H-Magnum. Bon voilà c’est pas… ça va, c’est pas mal quoi. Les professeurs, ils en parlent avec les jeunes avant mais ils leur annoncent pas si il y a tel ou tel artiste. C’est un peu des surprises. Déjà, ça évite qu’il y ait trop de monde, il n’y a que les gens de la classe. Pour les plus petits, les collégiens, le professeur, il leur dit même pas que c’est un rappeur, il leur dit que c’est un intervenant, normal. Et puis le côté surprise, il est sympa, les petits ils disent : « Ah ouais, ça tue ! »

En général, c’est des bons retours ou des mauvais retours ?

Honnêtement, y’a toujours eu que des bons retours. Les élèves, ils se régalent. Et il n’y a aucune réticence du côté des profs. Parce que, si tu veux, on fait pas que ça. Les profs, nous ils nous connaissent. On est huit salariés ici, et on est quatre à intervenir sur ce genre de trucs. Par exemple, au collège Arthur Rimbaud… je te donne l’exemple de l’année dernière : Au collège Arthur Rimbaud, j’interviens toute l’année, avec des jeunes de 14 ans. On fait un atelier, on crée des morceaux. On fait trois morceaux tout au long de l’année. Ces trois morceaux-là, on les joue sur le festival Arabesques, qu’on organise.

 

« Les mecs réticents au début, ils me voient arriver avec le piano, le sac, ils se disent : ‘‘Wow, qu’est-ce qu’il veut lui ?’’  »

 

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Le festival Arabesques, c’est une initiative d’Uni’sons aussi ?

Ouais, c’est le plus grand festival des arts du monde arabe en Europe, tu vois. C’est nous qui faisons ça, on est huit, avec des bénévoles. Les profs, ils nous côtoient sur ce festival, en même temps ils nous voient faire des ateliers d’écriture, et à côté de ça on fait des Renc’Art. Ils voient toujours les mêmes personnes. Après, il faut des professeurs qui arrivent à faire le lien. Il y en a aussi qui sont là : « Non, le rap, le hip-hop, on veut pas ». Les professeurs réceptifs, il faut les trouver. Ce matin, on avait une prof du collège Rimbaud au téléphone. Elle met en place un atelier d’écriture parce que le collège n’avait pas assez de budget pour nous faire venir. C’est la prof qui prend de son temps pour faire un atelier d’écriture. Des profs comme ça, y’en a pas 40 par collège. Mais une fois qu’on arrive à avoir cette personne dans le collège, on peut y aller. Et là, les mecs réticents au début, il me voit arriver avec le piano, le sac, ils se disent : « Wow, qu’est-ce qu’il veut lui ? » Et au final, ils se régalent. Les petits, ils écrivent un morceau, y’a des petits qui n’écrivent plus en cours, et qui se retrouvent à reprendre une feuille, et à écrire de nouveau. Nous, le rap, c’est devenu notre outil de sociologie. Tu ramènes un peu les jeunes vers une culture de la langue. C’est sur ça qu’on valorise nos actions. Après on est toujours des amoureux du rap, on veut toujours aller loin… mais la base du truc, le message, c’est quand même le gros côté social, tu vois.

Comment vous choisissez les mecs avec qui vous travaillez ?

On a un peu changé la méthode. Si tu veux, l’association en grandissant elle a un peu évolué. À l’époque, ici ils « produisaient » des albums en fonction de coups de cœur. C’était vraiment au feeling. La meuf qui travaillait ici, à ma place, elle faisait au coup de cœur. Moi elle m’aimait bien, donc elle m’a permis de monter un disque, elle s’est occupée de tout l’accompagnement artistique… Nous maintenant, si tu veux, on s’est un peu auto-critiqué et amélioré dans le sens où on a mis en place des concours, pour qu’on puisse ensuite travailler avec les gagnants de ce concours, et plus simplement des personnes qu’on aime bien et qu’on choisit. Il y avait un peu un côté déloyal dans tout ça. Bon moi, j’en ai pas à me plaindre parce que ça m’a permis d’être salarié ici, de vivre de la musique, c’est magnifique. Mais on voulait travailler avec des personnes qui ont un certain talent. Il faut aussi qu’on puisse donner la chance à tout le monde.

 

« On n’est pas une maison de disque ou quoi, on pourra pas, mais voilà, on a le studio, on a du temps »

 

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Parle nous du concours organisé par Uni’sons.

Il s’appelle Disk’air, il existe depuis trois ans. On fait participer tous les mecs de la région. Nous, on fait pas partie du jury. Cette année, il y a trois ou quatre jurés qui viennent, dont Tunisiano. On leur fait écouter chaque candidat et après, ils choisissent. Il y a le directeur du festival Le Boulevard de Casablanca, qui vient. Lui, il écoute tous les morceaux de tous les artistes, il choisit un groupe et il le fait passer à son festival. Nous, on est un des partenaires du festival. Ça, c’est cool parce que c’est un gros truc. Toi tu viens, il écoute ton morceau, et s’il kiffe, ba tu vas une semaine au Maroc tranquille. Il y a aussi le directeur de la salle Paloma à Nîmes, le directeur du Sonambule, de Gignac.

 

« Des fois on fait ça en commun, on fait des collaborations, ils sont contents… Là, j’ai une petite de 15 ans qui chante super bien, je les fais tous travailler ensemble »

 

Tu te souviens un peu des gagnants des années précédentes ?

Le premier qui a gagné c’était Roya Killa. Aujourd’hui, il anime des ateliers avec moi. Après, il faut qu’il fasse des trucs en parallèle, il ne faut pas qu’il compte sur nous. On n’est pas une maison de disque ou quoi, on pourra pas. Mais voilà, on a le studio, on a du temps. On est une sorte de repère artistique, on leur donne des conseils… l’année d’après, y’a eu deux gagnants, un groupe qui s’appelle Astro Fatpac et un artiste qui s’appelle Khalid, qui est de la Paillade aussi. On les a accompagnés. Le premier, Karim, Roya Killa, ça a quand même bien buzzé pour lui. On a fait une collaboration avec des artistes marocains, que moi je connais depuis l’époque, qui sont devenus des stars un peu là bas, je leur ai fait écouter un album et ils ont kiffé grave. On a fait un clip au Maroc, qui a tourné, qui a fait 500 000 vues. Au Maroc, ça a été un peu repris, et du coup on a fait deux festivals là bas. Le festival Timitar, à Agadir, par exemple. Après là bas, ils jouent devant 30 000 personnes, c’est des festivals…c’est des trucs de fou. Et même là-bas, lui il est pas connu, mais ils ont tellement faim de culture. C’est des festivals, y’a trois scènes. Les petites scènes, c’est 30 000 personnes, et ça peut aller jusqu’à 100 000. C’est des stades de foot, c’est la folie. Eux, comme ce qu’ils ont fait c’était bien, ils ont formé un collectif, ils ont joué là-bas. Nous, on a aussi fait venir les marocains, ils ont joué en première partie de Médine, au Rockstore. Le gagnant de l’année dernière, on a fait plus de trucs en studio.

Y’a aussi le MS Crew qui travaille sur les ateliers j’crois.

Ouais, les mecs sont assidus. Ils sont à l’écoute, ils ont du talent. Mais c’est plus dans le cadre des ateliers, on fait de l’accompagnement artistique, mais on fait pas de projet perso, on fait pas de la production ou quoi. Le mercredi aprém, j’ai des petits jeunes entre 16 et 20 ans qui viennent, ils sont pas mauvais, on fait des morceaux. J’ai cinq, six jeunes, je leur fais faire des morceaux. Des fois on fait ça en commun, on fait des collaborations, ils sont contents… Là, j’ai une petite de 15 ans qui chante super bien, je les fais tous travailler ensemble.

 

 

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