QU’EST-CE QUI SE CACHE DERRIÈRE LA TÉLÉ « RÉALITÉ » ?

On connaît tous des gens qui au premier abord ont l’air super sympas, intéressants et bien dans leur peau mais qui cachent un terrible secret. Quand ils rentrent chez eux en fin d’après-midi, quand ils sont seuls sous la couette un vendredi soir, ils branchent NRJ12. Alors bien sûr, ils vous diront que c’est pour rire et qu’ils ont énormément de recul. Même si c’est vrai, ce n’est pas le cas de toutes les personnes qui apprécient la télé réalité. Et sous couvert de distraction, ils prostituent « leur temps de cerveau humain disponible ».

 

La télé réalité a comme principe de montrer des gens de « la vraie vie », les spectateurs sont censés s’identifier rapidement et se reconnaître. Les messages transmis par les émissions les plus regardées, et donc les plus populaires s’adressent à la partie de la population qui les regarde. Pas toujours la plus armée pour développer un esprit critique pour de nombreuses raisons très valables (en particulier le temps). Cet effet de miroir sur le téléspectateur qui, au final, est censé se regarder lui-même, a des conséquences. Les valeurs qui sont véhiculées sont celles que l’on retrouve dans son quotidien. Les dominés sont de plus en plus asservis et doivent avoir la clémence de l’accepter.

 

 Les émissions où les gens se notent entre eux

 

Ce genre d’émissions est souvent diffusé par des grandes chaines historiques comme TF1 ou encore M6. La première à avoir connu un succès certain est « un dîner presque parfait ». Débutée en 2008 sur M6 l’émission oscille entre des audiences d’environ 1,4 millions et 2,5 millions de téléspectateurs. Le but étant d’obtenir les meilleures notes afin de récolter une certaine somme (1000€) pour le vainqueur à la fin de la semaine. Ce genre d’émission a été repris par TF1 qui avec le même principe propose aux candidats de noter le meilleur mariage, le meilleur camping, etc. Le montage de ces émissions tente toujours de prime abord de montrer le côté convivial du repas, de la fête ou autre.

Cependant il montre bien aussi le couperet qu’est la note et qui au final représente l’intérêt principal des candidats et des téléspectateurs. Ici les valeurs que sont la concurrence et le jugement arbitraire sont mises en avant. Les réalisateurs sont friands « des petites  phrases » emprises de vénalité ou de méchanceté distillées par les candidats. Dans ce cadre ils se retrouvent être de simples pantins de la production. Le vainqueur est toujours récompensé par une somme d’argent ou encore un voyage de noce, qu’il n’aurait pas eu les moyens de se payer seul. L’argent étant présenté comme un moteur valable pour ne pas avoir de pitié envers ses adversaires. Loin des leçons de morale décrites par La Fontaine dans ses fables ici le plus vénal a bien souvent de grandes chances de gagner. Ces émissions diffusées entre 17 heures et 19 heures s’adressent clairement à la « ménagère de moins de cinquante ans », censée se sentir représentée par les candidats.

 

 

 Les émissions où les candidats s’éliminent entre eux

 

On cache souvent le vrai but des émissions qui durent sur plusieurs semaines derrière une belle palissade : découvrir un secret, partir à l’aventure, etc. Dans ce cadre chaque fin de semaine les candidats s’isolent pour en éliminer d’autres, les faire sortir du programme. Le but étant d’être le dernier en place pour remporter encore une fois un gain financier assez conséquent pour le coup. On constate aussi un certain voyeurisme de la part des téléspectateurs, l’impression de vivre l’intimité des candidats. En réalité à travers les activités proposées ou le montage réalisé, encore une fois la production peut faire à peu près ce qu’elle veut.

Ce type de programme est accepté de tous. Les valeurs qui sont au centre de ces programme sont aussi le fruit d’une certaine morale dominante et libérale. La concurrence n’est pas malsaine et celui qui gagne a forcément été le meilleur quitte à ce qu’il ait trahi ses compagnons de jeu. La stratégie dans les relations sociales est aussi mise en avant, la fin justifiant les moyens. Ecraser l’autre pour lui prendre sa place. En tirant les ficelles de ces comportement on les retrouve dans le monde du travail où l’individualisme règne. Si vous êtes placardés, c’est normal, c’est les règles du jeu et vous le méritez. Ce sentiment de faiblesse peut être renforcé lorsque vous voyez que les mêmes processus se déroulent dans un jeu télévisé. A l’inverse s’il y a une bagarre ou un débordement qui ne plaît pas à la chaîne, le candidat en question sera durement puni voir éliminé. Une morale à deux vitesses complètement subjective. On peut essayer d’être le meilleur, mais il faut tout de même respecter les règles arbitraires mises en place par la direction.

 

« Il y a forcément un gay qui est la caricature de lui-même, un macho qui va faire pleurer une femme soumise, un vieux sage qui distribue la bonne parole, un rebeu super nerveux, une nympho incontrôlable »

 

La catégorisation des candidats est aussi intéressante, il y a forcément un gay qui est la caricature de lui-même, un macho qui va faire pleurer une femme soumise, un vieux sage qui distribue la bonne parole, un rebeu super nerveux, une nympho incontrôlable. Le panel d’une société fictive qui se veut réelle. D’un point de vue social il faut à tout prix que les participants rentrent dans une certaine norme que l’on attend d’eux. Normes ou clichés qui renforcent ceux qui peuvent déjà exister chez un consommateur de télé-réalité. Ce qui est transmis par ce type de programme en filigrane  peut avoir un impact sur la manière de penser des téléspectateurs.

 

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« Tiens ta femme ! »

 

Les Ch’tis

 

Depuis 2011 de nouveaux types d’émissions de ce genre ont été mises en place par W9 de jeunes gens partent en groupe dans une grande maison pour voyager mais aussi pour travailler. Pour aller encore plus loin dans les clichés les deux groupes sont « ch’tis » ou « marseillais ». La plupart sont DJs, barmans ou danseurs(ses). Ils vivent dans une villa de luxe au soleil avec piscine le temps de l’émission.  De temps en temps un « coach » vient leur rappeler qu’il faut travailler pour gagner de l’argent, et que la vie c’est pas facile. Tout est fait dans le montage pour montrer que ces jeunes sont des modèles. Les garçons sont sportifs musclés, les filles sont vulgaires et peu habillées. Les candidats sont presque tous issus de classe populaire ou de classe moyenne basse.

 

Si un jeune des Ulis peut rêver de devenir Anthony Martial, un jeune de Roubaix a bien le droit de rêver de faire partie du casting des Ch’tis.

 

Quel effet cela peut-il avoir sur des jeunes qui se reconnaissent en eux par leur régionalisme ou leur milieu d’appartenance. Beaucoup en font des idoles et s’en servent comme modèle. Il suffit d’aller voir les commentaires sur les pages FB des candidats pour s’en rendre compte, Nabila, vedette éphémère à poussé ce constat à son paroxysme. Un modèle de jeunes qui exercent des emplois précaires mais qui peuvent rêver de gloire en passant à la télé. Si un jeune des Ulis peut rêver de devenir Anthony Martial, un jeune de Roubaix a bien le droit de rêver de faire partie du casting des Ch’tis. Ils  restent bien dans les limites de leurs classes sociales. Pourquoi faire autre chose alors qu’en étant strip-teaseur on peut vivre au soleil ? Voilà le message moral délivré par ce genre d’émission : « Reste à ta place et tout ira bien pour toi. »

 

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Les émissions où un jury note les capacités des candidats et peut les éliminer

 

Les émissions de cette catégorie sont bien souvent diffusées en prime-time à des jours de grandes écoutes. Les candidats lambda doivent présenter un certain talent à un jury qui les note et les élimine. Le talent peut être la cuisine, la danse, le chant ou toute autre performance artistique. On peut citer The Voice sur TF1 ou Topchef sur M6. Il y a ici une institutionnalisation de la domination. Les novices sont notés par un jury de personnes d’expériences. Il y a, à la manière de Norbert Elias, des établis, qui notent, et des marginaux, qui se font noter. Le message en arrière-plan est la soumission des candidats à leurs juges.

L’effet que cela peut provoquer est qu’en s’identifiant aux candidats un téléspectateur peut accepter et valider le fait qu’un travail ou une performance artistique puisse être noté par d’autres personnes. Car bien souvent les jurys ne sont en réalité que des tocards n’ayant pas réussi eux-mêmes une grande carrière et en manque de reconnaissance. Ici c’est le cadre qui est primordial, les jurys ont le droit « de vie et de mort » sur les candidats. Les candidats souvent paumés aussi sont d’ailleurs très peu nombreux à se rebeller lorsqu’ils se font humilier. L’autorité n’est pas discutable.

 

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« En tout cas il est vilain, oh mon Dieu, qu’il est vilain »

 

 Les émissions de type « talk-show » avec animateur

 

Dans ces émissions il y a de nombreux points que l’on pourrait cibler, mais ici nous allons nous concentrer sur la place de l’animateur. Dans un de ses « pourparlers » sortis en 1990 Gilles Deleuze d’une manière presque prophétique annonçait déjà un changement des « maîtres » de morale vers la télévision. Il annonçait le fait que la soumission soit exercée sur des chroniqueurs ou des invités envers un animateur-roi.

Prenons une émission comme« Touche pas à mon poste » accès prime-time de D8 qui connait des audiences assez impressionnantes. Ici l’animateur est le chef et le petit monarque. Il se moque de ses chroniqueurs, leur distribue la parole, leur coupe aussi. Distribue des points, les pousse à se mettre dans des situations où ils sont mal à l’aise .Derrière une image comique et amusante le message qui passe ici est la toute-puissance du chef. Les candidats sont mêmes conviés à sortir du plateau lorsqu’ils font une blague ou disent quelque chose qui déplait à Cyril Hanouna. L’effet de reproduction peut s’avérer moins comique si les mêmes interactions se déroulaient dans une entreprise.

 

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Nathalie Nadaud-Albertini sociologue auteure du livre « 12 ans de téléréalité … au-delà des critiques morales » a constaté une évolution de la critique de ces programmes. Alors qu’en 2001 avec le premier « secret story » sur M6 les journalistes s’élevaient en faux contre ce genre de programme, aujourd’hui ils sont rentrés dans la norme et ne subissent plus les critiques du début. Avec le temps la diffusion des valeurs des dominés face aux dominants est de plus en plus forte à la télévision. Le but n’est pas de critiquer ou d’interdire à ceux que ça amuse de regarder ces programmes. Il semble simplement intéressant de se rendre compte qu’ils ne sont pas de simples divertissements neutres et qu’ils engendrent des conséquences.

 

Pour les plus courageux qui veulent aller plus loin : Pierre Bourdieu / Sur la télévision.

 

Maquessime