« LES SEULES GROSSES RADIOS QU’ON A PU ATTRAPER SONT RADIO NOVA, AFRICA NUMÉRO 1 ET RFI »

Roland Ngie, fondateur du label Ironmaster Factory, Part. II

Union Urbaine est allé à la rencontre de Roland Ngie, dénicheur de talents et organisateur de concerts à Montpellier depuis plus d’une dizaine d’années. Nous avons parlé de son label, Ironmaster Factory, et des difficultés pour les artistes indépendants d’exister hors des sentiers battus ou d’exister tout court. Nous avons également évoqué la dureté des radios locales et le rôle de la Région dans le développement de la culture urbaine, en passant par « ces escrocs de distributeur ». Deuxième acte (relire la première partie), dans lequel Roland Ngie confronte rap et autres styles musicaux.

 

Union Urbaine : Et chez les mecs locaux, de techno par exemple, ils ont accès aux salles le week-end ?

Roland Ngie : Eux ils ont le week-end, ah oui attention. Parce qu’ils sont sûrs de faire du monde. Et ils font du monde. Normal, ils gèrent leurs salles, si je sais que le hip hop me ramène plus que la techno, je ferai plus de hip hop. Mais c’est dommageable pour les gens comme nous. On n’arrive pas à avoir de scènes. À part les petites brasseries là, qui font 30, 40 personnes. Ça paye pas son artiste ça. C’est pour ça que je me suis dirigé vers les réseaux moi, pour avoir accès à ça. J’ai déjà un certain âge, ça fait dix ans que j’essaie de faire ça, pour essayer de pousser les petits jeunes, pour que ce soit plus facile pour eux. Aujourd’hui, on a plus de 300 radios sur toute la France dans notre réseau, on appelle, ils écoutent, si c’est bon, ils passent. On ne paie pas. Ils mettent en rotation.

Ah mais 300, c’est beaucoup, quand même…

Oui mais ce sont de petites radios locales… les seules grosses radios qu’on a pu attraper sont Radio Nova, Africa Numéro 1, RFI, France Ô, TV5 pour la télé. Et voilà. Mais j’ai quand même bataillé pour avoir accès à ces médias. C’est ce qui nous a permis de vivre, d’avoir quelques droits radios, droits SACEM. Parce que si ce n’était pas ça… La Région… Ou alors, je ne sais pas à quelle porte il faut frapper en tant que label pour être aidé. J’ai frappé à toutes les portes à mon niveau. Rien, pas d’aide. On m’envoie toujours vers les organismes, tu sais comme Context’art, Uni’sons. C’est bien beau, mais ils m’apprennent rien. Mon métier, je le connais déjà. Moi, j’ai uniquement besoin que la SACEM me paie mon argent, ils me doivent beaucoup de pognon sur la globalité de nos passages radios. Ils n’ont même pas payé un tiers, c’est au lance-pierre. Parce qu’on est des petits labels, on n’est pas des grosses structures. Quand je l’ai compris, je me suis dit : «  Bon, alors il faut que je sois une grosse structure ». Je vais pas te dire des chiffres au hasard, mais on a quand même fait quatre albums en radio, et rien. Tu vois le système communiste où ils bossent tous pour le collectif ? Et ben c’est pareil pour les radios. Ces radios-là te disent :  « Tu peux être programmé 300 fois dans la journée, mais toi et moi on touchera la même chose. » Et par contre, nos sous à nous, qu’ils doivent nous remettre, vont directement à la SACEM, pour aider d’autres artistes à être financés. Je comprends plus rien, du coup. On me dit cet argent ne va pas à nous, mais est donné à tout le monde. Du coup, on a touché nos droits uniquement pour les radios étrangères dans lesquelles on est passé, les seules radions qui nous ont payés sont Nova, RFI et peut-être une ou deux autres, mais c’est tout. On a perdu énormément d’argent. C’est pour ça que maintenant, j’essaie de me battre pour pouvoir trouver des structures, pouvoir grossir mon label. J’ai déjà tout ce qu’il me faut, il me manque juste ce petit coup de main…

 

«  Moi j’ai uniquement besoin que la SACEM me paie mon argent, ils me doivent beaucoup de pognon »

 

Toi, tu veux rentrer dans le réseau pour faire des concerts tout seul, ou avec les autres membres du réseau ?

Non, moi ce que je veux en fait, c’est faire un partenariat. Mon boulot, c’est aussi de trouver des salles pour mes artistes, on fait le même boulot. Mais si j’ai un partenariat avec le réseau Languedoc Roussillon Hip Hop, ça me donne une crédibilité et ça m’ouvre plus de portes. J’ai juste besoin d’avoir un appui. Notre label a le statut d’une société. J’en ai fait des associations, je peux pas m’amuser encore à refaire une association, autant avoir un partenaire associatif avec qui je marche. Je veux juste avoir cet accès-là.

Mais du coup, cela pose la question de l’indépendance. Est-ce que tu peux travailler en indépendant ? Certains le font.

Si tu as un capital, bien sur. Ce qui m’a tué, c’est que j’avais pas un gros capital quand j’ai monté la boite. Mais l’avantage que nous avions, c’est que nous avions notre propre studio, et c’est le plus gros coût dans la musique. Tout ce qui est pressage d’album, c’est pas si cher.

 

« Les distributeurs dans le monde la musique, ce sont de gros arnaqueurs, c’est les personnes qui en foutent le moins possible »

 

Et la distribution ?

C’est très compliqué. Mon but serait de faire ma propre distribution, d’aller dans chaque point de vente. Les distributeurs dans le monde de la musique, ce sont de gros arnaqueurs. C’est les personnes qui en foutent le moins possible. Et ils ramassent autant voire plus que toi, qui as fait la musique. Et c’est pour ça que tu vois que la musique n’avance plus beaucoup, parce que les distributeurs ont augmenté leurs marges. Je vais te donner un exemple : Notre artiste, Matta Fore, on a eu deux semaines pour presser et trouver un distributeur. On envoie les CD à la Fnac, on l’avait proposé à 12 euros, le distributeur a pris une marge dans les 12 euros, mais lui, quand il mettait l’album à la FNAC, l’album se trouvait à 19 euros. La Fnac prend déjà une bonne grosse partie, ce sont des chiffres secrets hein, ils ne le disent pas, mais je le sais, puisque je suis en plein dedans. Ils prennent 6 euros, à peu près. Plus le distributeur qui en prend 7. Donc il reste 6 euros sur le prix de vente qu’il faut se répartir entre l’artiste, et tous ceux qui ont participé à l’album. Qui a fait le travail ? C’est nous. Ils n’ont pas fait de promotion, ni rien. Tout ce qui était passages télés, radios, c’est nous. Ils ont misé quoi ? Rien du tout. Mais au début ils te disent : «  On fera des promos. » Et puis au bout de trois, quatre mois, tu vois que rien n’avance. Du coup, il faut bien que ce soit toi qui le fasse, pour vendre l’album. Tu vas au charbon. Mais quand vient le moment de faire les comptes, là, ils arrivent. Aujourd’hui il vaut mieux être indépendant, mais indépendant sur tout. Un peu comme ils font EMI. Ou être signé en major.

Mais tu crois que tu peux signer en maison de disque et être indépendant ?

Moi, mon but, c’est de faire en sorte qu’ils travaillent avec nous, via nos labels. Quand j’ai un artiste, je le leur propose, s’ils kiffent, ils distribuent. Pas besoin de passer par un millier d’intermédiaires. Et moi je passe à un autre. À Montpellier, il y a des talents de malade, je te ferai écouter des trucs à te rendre dingue ! On n’arrête pas de chercher des talents, et nous on propose un bon produit, pas cher, à faire écouter aux gens. Certains, en pleine crise, te demandent pour un mix, master, enregistrement, des 400 euros. C’est des malades, c’est la crise ! Mais pourtant c’est les vrais coûts, mais on est obligé de baisser un peu les prix pour que les gens puissent y avoir accès. On a découvert plein d’artistes avec cette politique, comme Matta Fore. Je vais à un concert, je vois le gars, j’aime ce qu’il fait, on parle, on travaille, l’album sort, il fait ses concerts et tout le monde est content. C’est ce que je veux amener à Montpellier tu vois. Imagine-toi qu’à Montpellier, niveau musiques urbaines, il n y a que depuis deux ans que commence à sortir le nom de Montpellier. Pourquoi ? Par rapport aux structures, ils donnent un coup de main qu’aux structures. Du coup on est obligé de passer par là.

Du coup, tes artistes ne doivent plus que te plaire à toi, et pas seulement aux publics, mais aux partenaires aussi…

Oui c’est vrai, si je propose quelque chose et que la radio n’aime pas, mon projet s’arrête ici. Ce que je fais pour être sur de mon coup, avant de presser un album, c’est d’envoyer en mp3 avant, au cas où. Si ça plait, on lance la machine.

 

Lire la troisième partie