« CE QUE J’ESSAYE DE FAIRE AVANT TOUT, C’EST PARTAGER MA PASSION, DÉDICACER LE HIP HOP »

G-Zon de La Meute

Sur fond de boom bap, G-Zon nous a reçu chez lui. Entre deux cafés, le rappeur de La Meute nous a parlé de la réédition de son album « Musique Nuisible », sur lequel on retrouve notamment les beats de DJ Brans, Ugly Tony, DJ DJaz, DJ Clif ou encore DJ Kefran. Marche arrière, direction le Bronx des années 1990.

 

Union Urbaine : Parle nous un peu de ton dernier projet, sorti en début d’année.

G-Zon : En fait c’est une réédition de l’album Musique Nuisible, qui est lui sorti en 2011. À l’époque, on a sorti l’album en septembre, on a balancé le clip en même temps avec Loko. Ensuite, quelques mois après, j’envoie un nouveau clip avec DJ Kefran. Et trois semaines après, mon éditeur m’appelle en me disant : « On est dans la merde, le distributeur il met les clés sous la porte ninin ». J’suis vénère gros. Dis-toi mon album original, tu le retrouves même plus sur Itunes. J’ai voulu le mettre en téléchargement payant… En fait il est sur Bandcamp, une plateforme de streaming en ligne. Bandcamp, c’est que eux qui distribuent. Ils ont pas un catalogue où après ils te mettent sur Itunes ou quoi, c’est que sur Bandcamp. Mais j’ai préféré faire ça, j’ai pas voulu le remettre sur Itunes. Je connais, c’est trop long… Bandcamp, quand le mec il m’achète mon album, je reçois instantanément dans la seconde les sous sur mon compte Paypal, y’a pas d’intermédiaire et t’attends pas trois plombes.

 

 

Finalement, c’est quelque chose qui permet de revenir à une distribution classique. C’est un autre délire, surtout pour les prix. Sur les plateformes de distribution style Itunes, Deezer, un album que tu vas mettre à 10-15 balles, il va te revenir moins de la moitié dans la poche.

T’as rien à y gagner. Quand tu regardes toute l’implication que t’y as mis, la préparation, l’enregistrement, beatmasers, graphistes, promo, c’est long. Tout ce que tu mets là-dedans, c’est un travail énorme. Surtout que moi je suis tout seul, j’ai pas d’équipe tu vois ce que je veux dire ? C’est moi qui gère tout. J’ai quand même des personnes avec qui je bosse, mais franchement je me dis qu’avec toutes les complications que ça importe, des fois t’es mieux servi par toi-même. Si c’est pour envoyer des mails : « Eh gros faut que tu fasses ça, eh gros faut que tu fasses », je préfère faire ça tout seul et au moins ça me casse pas les couilles.

 

 

Et avant ça t’as aussi fait des trucs avec La Meute.

Voilà. On a sorti l’album en 2007, 2008. Et après moi j’suis revenu en 2011 avec l’album original Musique Nuisible. C’est un album que j’ai monté en connexions. J’écrivais des textes, on m’envoyait des beats, j’allais en studio, j’enregistrais, un gars l’écoutait, il me disait ce qui allait pas, je revenais en studio. Pour les feats, j’envoyais mon refrain sur un beat, et le mec me disait : « Ok », on se retrouvait l’aprém au studio. J’envoyais pas le couplet pour pas que ses lèvres marchent sur les miennes. C’est quelque chose qui peut arriver, sans le savoir, de réécrire un peu le même truc. Ça peut arriver pour le flow aussi.

T’as fait un son avec Aketo, il est bon ce morceau.

 

 

Moi c’était hip hop, personne m’a demandé des thunes hein. Ces mecs-là, c’est des mecs avec qui j’ai déjà travaillé. Que ce soit dans les prods, tout ça, y’a pas un mec qui m’a demandé.

Le groupe La Meute, vous l’avez monté quand ?

En 1995. On a commencé avec des mixtapes, des vinyles avec Mokless aussi. Après, on a fait plein de compilations et on a enchaîné sur l’album « Danse Avec Les Loups », en 2007 donc. C’est le premier album et avec La Meute, on était quatre, on n’en a pas refait d’autres.

 

« Les mixtapes de Cut Killer, je les ai toutes »

 

Il sort en 2007 mais pourtant, il est très différent de tous les albums qui tournent à l’époque. Moi j’ai grandi avec le rap des années 2000, et votre album, on sent que finalement, il tire ses influences de tout ce temps écoulé entre la création du groupe en 1995 et la sortie de l’album.

En rap céfran, les premiers trucs que j’ai écouté et que j’ai kiffé, c’était IAM, NTM, Assassin, Lunatic. J’suis aussi un grand amateur de mixtapes. Celles de Cut Killer, je les ai toutes. J’étais aussi un grand collectionneur de rap cainri, je suis allé plusieurs fois à New-York dans les années 1990. J’ai touché à tout, aux graffs, aux tags, à la danse. Le hip hop, je l’ai rencontré dans les années 1980. J’avais neuf ans et c’est grâce à un poto à moi, qui s’appelle Huggy Les Bons Skeudis, un DJ de mon quartier, qui m’a emmené au cinéma. Il m’a dit : « Viens je t’emmène voir un bête de film », il m’a emmené voir Beat Street. Je suis sorti de là j’voulais faire du break, tu vois ce que je veux dire. Après, on a commencé à monter un crew dans la cité ça s’appelait Atomic Force. On partait breaker à Trocadero, à l’époque de l’émission H.I.P H.O.P.

Et là maintenant, ça fait 20 ans que tu rappes et tu continues. En plus de ça, t’es pas dans une logique entrepreneuriale, tu veux pas faire des sous par le rap ?

Ah non non, c’est pas mon délire. Si ça marche, tant mieux, mais sinon tant pis. Ce que j’essaye de faire avant tout, c’est partager ma passion, dédicacer le hip hop. Tout ce qui sort actuellement, ce que j’écoute, je les fais écouter à des mecs, ils me disent que c’est du son à l’ancienne. Alors que non, ça vient de sortir tu vois. Tu crois que c’est du son à l’ancienne mais non. C’est juste que moi j’écoute du boom bap, c’est un style de musique, c’est tout. Les mecs qui sortent ça aux States, on leur dit pas vous faites des sons old school. C’est classifié, c’est un style de musique comme un autre, certains font de la trap… Viens je vais te faire écouter ma playlist, tu vas tomber par terre. Et ça vient de sortir.

 

« Tout le monde vient du même endroit et y porte à peu près le même regard »

 

C’est aussi ce style de rap qui t’évoque des souvenirs. Le rap, c’est quand même une musique jeune, fait par des personnes plus âgées, c’est pas la question. Mais le public, c’est un public jeune. Forcément quand t’es jeune, t’es touché par un courant générationnel. Et le boom bap correspond à une génération. On pourrait dire que maintenant, le style dominant c’est la trap. C’est comme le vocodeur, avant on disait que c’était tout pété et maintenant tout le monde fait ça.

Tu sais, à un moment y’a eu la dirty, la krunk, mais c’est que du passage. Alors que le boom bap, le classic shit, ça reste.

Quel regard tu portes sur le paysage rap d’aujourd’hui ?

Moi j’ai mes goûts personnels. La trap, j’écoute pas. Mais après, y’a des trucs qui sont bien faits. J’écoute pas, mais je dis pas que c’est de la merde. PNL, j’suis pas trop fan tu vois, je respecte leur travail mais c’est pas ma came. Je préfère les Jazzy Bazz, Le Gouffre, ils tournent. C’est un peu le même univers que moi, l’Entourage, tout ce qui est truc comme ça. Après, le hip hop, c’est tout le monde raconte la même chose mais chacun le fait à sa sauce. À un moment, les thèmes, on les a tous fait. Tout le monde vient du même endroit et y porte à peu près le même regard.

Par exemple, t’as un morceau qui s’appelle « La jungle avec un grand J », PNL qu’on a évoqué tout à l’heure trouve aussi son inspiration dans cet univers-là.

Voilà. Tout le monde a déjà fait un son sur le ghetto. Regarde, Kool Shen il a sorti un son qui s’appelle « Ma rime », mais ça aurait pu être « Mon rap », « Mon son ». Même moi, j’ai fait un morceau qui s’appelait « Ma zik ».

Du coup, si les thèmes sont souvent les mêmes, l’originalité réside dans la manière dans laquelle tu les amène.

Ouais ouais bien sûr. Après moi j’suis pas fan de tout ce qui est trap, vocodeur, tout ça. J’écoute plus de rap français depuis très longtemps. Quand tu rappes et que t’écoutes les autres, sans le vouloir, t’es influencé dans le flow et dans la manière d’écrire. Donc j’ai arrêté ça depuis bien longtemps. Si j’achète des cds, des vinyles, c’est plus pour soutenir, parce que je veux pas être influencé.

 

« C’était ça les nineties, tout le monde voulait percer dur, en mode on nique les majors »

 

J’insiste sur l’aspect générationnel parce qu’on a rencontré pas mal d’anciens qui font du rap, qui graff, et tous disent qu’ils n’écoutent plus de rap français. Y’a une cassure profonde dans le public hip hop, beaucoup de jeunes écoutent Jul mais y’a des gens pour qui c’est inaudible.

Ça dépend des générations. Le public c’est un mouton aussi. Nous on n’en veut pas au public, si tu lui donnes du putain de son, il va l’acheter. Mais à force de le matraquer avec un truc, il va finir par l’acheter aussi. C’est comme ça, c’est la publicité.

C’est là que se pose, du coup, la question de la diffusion. Tu penses quoi des radios ?

La grosse industrie, tout ce qui est maqué par les majors, les trucs comme ça, je calcule pas du tout. Par contre si moi je fais un morceau, sans le vouloir, qui fait un vrai carnage, qu’on me dit qu’il faut quitter la famille… moi j’ai une vie, j’ai un travail, j’suis bien comme ça. Je fais des petits dièzes, j’passe sur des radios. Bien sûr, à 20 ans, j’aurais aimé percer. Mais aujourd’hui, j’ai un autre regard. Pour moi, la musique, c’est ma passion mais c’est secondaire. Mon objectif principal, c’est de voir mes gosses grandir, passer du temps avec eux. Mes priorités, elles ont changé. Et encore, moi quand j’avais 20 ans, on était plus dans des délires authentiques. C’était ça les nineties, tout le monde voulait percer dur, en mode on nique les majors. Quand un mec sortait de la merde, tout le monde le charriait.

 

« Les jeunes du quartier, ils te disent que s’ils font pas tant de vues, ils arrêtent le peura »

 

Parce qu’à l’époque, y’avait une posture politique. Non pas une posture politicienne, mais c’était une forme de militantisme.

Et tout le monde pensait ça.

Maintenant ça se perd, mais c’est aussi à cause de l’époque dans laquelle on vit, de moins en moins de monde sont politisés, il n’y a plus vraiment de réflexion derrière ce que tu proposes. Passer en radio, c’est déjà un choix.

Si moi je passe en radio après j’suis super content, je fais des trucs avec Mouv’. Si demain ça passe sur Skyrock, tant mieux. Mais j’ai pas envie qu’on me casse les couilles, qu’on vienne me voir. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas le même état d’esprit que nous quand on a commencé à leur âge. Y’a des jeunes du quartier qui font un peu des trucs là, ils font un peu de la trap, ils posent, ils ont du talent. Mais quand tu parles avec eux, ils te disent que s’ils font pas tant de vues, ils arrêtent le peura. Déjà ça, ça veut dire que ton délire c’est pas d’écrire des textes, de les faire vivre, c’est pas ton délire. Ton délire, c’est de faire des vues, d’être connu.

La dimension politique, elle se trouve là-dedans aussi finalement. Vouloir faire des sous par le rap plutôt que de charbonner.

Ouais mais moi, si je réfléchissais comme ça, ça fait longtemps que j’aurais arrêté. Si t’es passionné, t’es pas là à compter le nombre de vues de tes sons.

 

« T’as beaucoup de sites qui se disent hip hop mais qui préfèrent balancer une photo de Jul en train de pisser contre un mur plutôt qu’un son ou un clip qu’ils ont reçu »

 

Oui mais ça se comprend. Des mecs comme Médine et Youssoupha, ils l’ont toujours dit, ils ont adopté une posture, mais c’est dans l’unique intérêt de pouvoir mieux diffuser leurs propos.

De toute façon, quoi qu’il arrive, il faut des thunes. Si t’as des thunes, c’est tout de suite plus facile d’assurer la diffusion et tout le reste qui va avec. Avec des sous, tu fais des meilleurs clips, si t’as les moyens, c’est plus facile de percer, tu peux arroser tout le monde. Mais ce qui est dommage, c’est aussi que maintenant, t’as beaucoup de sites qui se disent hip hop mais qui préfèrent balancer une photo de Jul en train de pisser contre un mur plutôt qu’un son ou un clip qu’ils ont reçu. Faut arrêter, c’est pas Voici ou Gala ton site. C’est un truc hip hop, défend notre truc. Toujours dans cette logique de buzzer. Mais le jour où tu perces, t’inquiètes que tout le monde te suce les boules.

Sur ces sites qui se disent « spécialisés », il y a une absence de ligne éditoriale ?

Après, forcément, les interviews, c’est quelque chose qui prend du temps. Certains vont te dire qu’une brève sur un nouveau clip va être plus utile qu’un long interview, c’est quand même dommage. Après t’as des sites comme l’ABCDR du son, c’est comme un journal, ils vont faire le travail. C’est des mecs qui grattent, ils font pas que du relayage.

Certains rappeurs ont aussi réussi à se faire une renommée internationale, mais ça prend du temps. Comme Casey, par exemple. Je pense pas qu’elle ait lâché un billet à un site. Les sous, ça suffit pas non plus.

Ouais, si t’as du talent et que tu prends le temps de faire ton truc, bien sûr. Y’en a aussi qui négligent leur communication, le mec va partager ses sons mais va pas aller plus loin. Y’a aussi des talents comme ça, qui bougent pas, qui défendent pas leurs sons. Moi je suis passé par tout ça, je connais un peu toutes les ficelles. Y’a des artistes qui connaissent pas tout ça parce qu’ils ont signé très vite. Il rentre en studio, il pose son son et voilà. Mais si tu dois t’occuper de tout ce qui est réalisation de clips, d’aller chercher les mecs, tu peux pas sortir un album tous les deux ans. C’est difficile. L’artiste, il devrait s’occuper que du côté artistique.

C’est deux formes d’artistes et c’est normal que ce soit pas le même rap. T’as pas la même vie, tu rappes pas la même chose.

Voilà. Mais après on sait tous qu’ils se font passer pour des gangsters, pour ce qui sont pas dans leurs textes, tu vois. Alors qu’en vérité, c’est pas leur vie. Ce qu’ils racontent, ça fait parler les gens.

C’est du rap fiction, mais c’est pas pour autant mauvais, c’est comme un film.

J’dis pas que c’est mauvais, mais c’est pas ma came. Ce que j’ai raconté, c’est toujours ce que j’ai vu, ce que j’ai vécu mais pas ce que les autres ont vécu. Je préfère rester raconter des choses qui me concernent, j’ai pas envie de raconter de la merde. Même rapper pour la rime, c’est pas… des fois y’a pas de sens, c’est des mots qui s’emboitent… y’a du flow, y’a un truc mais qu’est-ce tu fais passer comme message ? Je t’entends pas, j’vois pas c’est quoi ton délire. Ça va passer de « mon son il est trop puissant » à « J’encule Hollande » et en plus le titre t’éclairera pas plus. Après t’as pas la même écoute quand tu fais du son, tu fais plus attention à la technique. Et puis c’est pas vraiment mon style, moi tu vas la sentir venir la rime, le début de ma phrase tu vas l’entendre, limite sans le savoir tu vas pouvoir me backer. Quelque part c’est téléphoné, mais en même temps t’as envie de t’attendre à ça. Pareil pour la consonnance. Allier la technique au sens, ça c’est plus riche. Les mecs comme Demi P, tu sens que quand le mec il te lâche des phases, derrière il a gratté, il s’est cassé les couilles.

 

Pour écouter la réédition de l’album Musique Nuisible : https://g-zondelameute.bandcamp.com/album/musique-nuisible-remix
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