FAUT-IL REMPLACER LAURENT BOUNEAU PAR JACKY BROWN DES NEG’MARRONS ?

Le 6 octobre dernier, Booba s’en est une nouvelle fois pris à Skyrock par l’intermédiaire de son compte Instagram. Dans sa publication, le rappeur pointe du doigt l’inexpertise des têtes –auto-couronnées– de l’antenne : Laurent Bouneau, le directeur général des programmations et Fred, l’animateur emblématique de la radio, jugés néfastes pour l’émergence de nouveaux talents. Une des solutions proposées par l’MC cappuccino ? Remplacer Laurent Bouneau par Jacky Brown, connu pour sa –bonne– musique et son fast flow mais également pour avoir animé l’émission spécialisée « Couvre feu » diffusée de 1996 à 2006 sur… Skyrock, tiens donc.

 

« Dans un rap français idéal, il faudrait remplacer Laurent Bouneau par Jacky Brown des Neg’marrons » C’est sur ces mots que Booba commence son invective nocturne via son compte Instagram, peu de poésie envers la radio « premier sur le rap », et comme chacun sait, il ne s’agit pas de la première attaque du rappeur qui depuis un certain temps, se veut être la figure de proue (médiatique) de la lutte anti Skyrock. Simple posture ou véritable volonté de troubler l’organigramme du canal majoritaire ? Seul lui le sait. Ce dont on est certain en revanche c’est que, malgré des relations tumultueuses, Booba a grandement profité de l’appui de la radio pour pérenniser sa carrière. On se souvient de certains de ses freestyles sur la radio, de ses quelques interventions dans l’émission de Difool « radio libre ». Alors, est-ce une volonté du rappeur de se positionner en institution à la place de l’institution par le biais au hasard de sa plateforme en ligne OKLM.com, ou est-ce un cri de frustration d’un amateur de hip hop lambda, lassé de voir sa culture travestie ?

 

« Les négros sont déclassés par Pokora Diam’s et Sinik »

 

En 2007 déjà, lorsque les clés de la direction du label Mowtown France furent données à Diam’s, l’artiste s’était insurgé contre cette décision, pointant du doigt là encore l’inexpertise de cette dernière et sa non appartenance à la culture hip hop, ou plus particulièrement à la « black music ». À travers ces attaques, le rappeur met en exergue plusieurs éléments, un en particulier : l’expertise des décideurs de l’industrie. L’idée que les acteurs d’un mouvement culturels soient les premiers décideurs est une idée intéressante et fort séduisante. Rappelons tout de même que cela ne suffit pas à rendre cohérente l’approche du rap au sein des cercles institutionnels. En effet, rien ne nous indique que cette mise au premier plan des acteurs pour eux et par eux comme le clame l’intéressé soit un gage d’expertise.
Nous adorons Zidane, mais l’entendre parler de football, pas sur que ça vaille le coup. Pas sur. Vous avez saisi l’idée. Replacer l’expertise au centre des actions culturelles est une priorité, mais à travers cette publication, Booba s’en prend à Skyrock, une radio commerciale. Il est facile de dire « Qu’ils me jouent ou pas ma vie continue, même si ça doit baisser mes chiffres de ventes ». Peut-être le véritable courage, la véritable audace eut été de dire « je ne souhaite plus être diffusé sur Skyrock ». Difficile pour lui de le dire, parce que pour les mêmes raisons que sa radio ennemie, le rappeur est également à vocation commerciale. D’autant plus que d’autres radios locales et indépendantes existent. Teigneux mais pas fou.

 

Booba en visite chez Difool

 

À la question « comment savez vous qu’un morceau peut être un tube potentiel ? » dans des propos diffusés sur le site Booskap.com en 2012, Laurent Bouneau répondait « Bah, quand je l’écoute et que je me dis que celui-là, ça va le faire. La première chose c’est moi, c’est mon goût ». Outre le caractère purement scandaleux de tels propos qui nous posent la question du processus de décision au sein d’une radio nationale, qui comporte des salariés, pour un certains nombre d’entre eux ayant (ou du moins nous l’espérons) une passion et une connaissance du rap, c’est la désinvolture de la phrase qui nous interpelle (et en ce moment précis résonne en nous comme un crochet du droit la phase de Médine « Ne laissons pas les clés du rap à des mégalos dégénérés, qui font de nos carrières des sujets de conversation »).
Si nous étions bornés nous parlerions de condescendance, mais plus que la condescendance du texte, c’est la place de l’acteur tout puissant Laurent Bouneau qui nous interroge. Nous n’avons pas d’affinité avec lui, nous ne l’aimons pas beaucoup non plus, et nous avons beaucoup plus de sympathie envers ce brave Jacky, mais pas sûr que quelqu’un qui soit capable de nous pondre ça, soit forcément la personne la mieux placée pour diriger une radio (Oui, c’est un coup bas).

 

Laurent Bouneau
 

Dans le fond, que ce soit Laurent ou Jacky qui décide, seul, qu’est ce que ça change ? Un changement systémique est nécessaire. Changer des acteurs qui reproduisent le même schéma, pourquoi faire ? Rappelons-nous que les personnes à la tête de ces organes de diffusions de masses sont des entrepreneurs, pour qui le développement d’une éthique dans la musique est aussi important que le crâne rasé d’Alibi Montana.

 

« Si le refrain vient trop tard, c’est mauvais pour la chanson. Le public décroche… Oui, ça m’est arrivé plusieurs fois de demander à des rappeurs qu’ils déplacent leur refrain. Pour les textes, je ne censure pas à proprement parler (…) On en discute, et s’ils veulent passer chez nous, ils refont leur chanson. Le rap est une musique jeune, vous savez, il faut qu’elle mûrisse (…) Je suis une radio commerciale. Mon objectif, quand je mise sur un titre ou un album, c’est d’en faire au minimum un Disque d’Or, c’est à dire 100 000 exemplaires »

 

Alors, on ne va pas bouder notre plaisir de voir le système se mordre la queue. Voir un artiste diffusé en radio ayant assez d’autonomie financière pour se permettre de cracher sur cette même radio, et régulièrement, c’est assez drôle. Seulement, ce que Booba a l’air d’oublier, ou feint d’oublier, c’est que d’autres canaux de diffusion existent. Non, les artistes ne sont pas obligés de pactiser avec skyrock s’ils les jugent démoniaques, d’autres espaces existent et attendent d’être crées. Se poser cette question implique de retravailler la notion d’artiste professionnel. Et puis internet n’est pas seulement le refuge de commentaires racistes et des chats trop mignons, c’est aussi le lieu où l’émergence et l’émulation artistique est propice. Comment ne pas prendre pour exemple le groupe PNL en vogue depuis le début de l’année dont le succès s’est entièrement construit sur internet. Pas de budget pour financer des productions américaines ? Pas grave, « instru parabellum beats » s’écrit facilement sur Youtube. Pas de diffusion sur Skyrock ? Pas grave, il faut plus de followers sur ma page twitter pour partager mes sons. Pas d’argent pour financer un album ? Et si j’allais regarder du coté du financement participatif ? En somme, attendre d’une radio commerciale (en France en tout cas) qu’elle développe ou qu’elle favorise l’esprit hip hop est effectivement utopique. D’autres chemins existent. Puisqu’on vous le dit.

 

Arsbassi