L’ARCHITECTURE PARTICIPATIVE, UN AUTRE OUTIL DE CONTRE-POUVOIR

Plusieurs mois après avoir enclenché le processus de construction, deux étudiants en cinquième année d’architecture présenteront ce dimanche 5 juin à 19h leur projet de fin d’étude à La Paillade. Un espace public réaménagé en agora citoyenne grâce à l’aide des habitants du quartier qui interroge sur une certaine vision de l’architecture. Loin de toutes considérations partisanes, mais pas politiques.

 

IMG_20160526_103143

 

La première pierre qu’ils ont posée sur ce bout de terrain abandonné situé à quelques pas du boulodrome, non loin de l’arrêt de tram des Halles de La Paillade, c’était il y a un peu plus d’un mois. Dans le cadre de leur projet de fin d’étude, Benoît et Stéphanie, qui suivent une formation à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Montpellier, n’avaient, à l’époque, pas encore obtenu l’autorisation d’occupation des sols. Une première galère à laquelle ils ont très vite été confrontés, en décembre dernier, se rappelle Benoît : « Cela a constitué un assez gros combat parce qu’en échange, les personnes de la mairie de proximité du quartier cherchaient quand même à avoir des retours. Ils voulaient avoir des logos, faire un discours à la fin. Il y a beaucoup de gens, qu’ils soient politiques, professionnels ou associatifs, qui ont cherché à profiter des retombées du projet. » Embêtant, lorsque l’on sait que les deux apprentis ont prioritairement cherché à rester le plus éloigné possible de toute récupération : « Tout est politique. Du moment où on a une opinion, elle est politique. Nous, ce qu’on a essayé de faire, c’est de s’extraire de la politique au sens partisan. C’est quand même un peu compliqué, parce qu’il faut trouver des financements. On a eu beaucoup de chances de tomber sur une association scolaire qui nous soutient quasiment à 100%. C’est l’association Archipel, qui fait le lien entre les étudiants et les professionnels. » Celle qui les a fournis en outils et matériel.

 

IMG_20160526_104717

 

« L’architecture est placée sur un piédestal »

 

Avant cela, Benoît et Stéphanie avaient aussi pu compter sur le comité de quartier local, qui s’en est servi pour permettre au projet, déjà initié mais trop longtemps resté à l’état de pensée, de naître. Une fois l’étape des formalités administratives passée, les deux étudiants ont donc pu enfiler leur bleu de chauffe et commencer les travaux. Chaque matin, comme celui où nous leur avons rendu visite, ils ont donné vie à leur projet planche par planche grâce notamment à l’aide des élèves du lycée des Métiers Léonard de Vinci. Une collaboration voulue, loin d’être hasardeuse : « L’architecture est placée sur un piédestal. Et nous, on veut la démocratiser et montrer que c’est quelque chose d’accessible. Pour dessiner un plan, t’as besoin de quelqu’un qui t’aide à formaliser les choses mais ce n’est pas inaccessible. Manipuler un outil c’est possible aussi. Et du coup, je pense qu’on questionne un peu la loi… Parce que tu dois utiliser un architecte à partir d’une construction qui fait plus de 170 m², et ça, ça nous semble pas juste. Un architecte, nous on pense qu’il est capable de faire aussi des toutes petites choses. »

 

IMG_20160526_103410

 

« Ce sont des étudiants, ils sont dans des amphithéâtres, ils apprennent avec des papiers et des crayons »

 

Jour après jour, les travaux ont aussi interpellé plusieurs personnes du quartier, au même titre que le 17e adjoint au maire Henri de Verbizier, délégué au quartier de La Mosson et aux commissions de sécurité et d’accessibilité, venu saluer rapidement l’initiative, serrer quelques mains et balancer quelques blazes. Au milieu de tout ça, Jean-Louis et Christian, habitués au tarmac de la Paillade depuis plusieurs décennies maintenant, postichés sur un banc. Rapidement, ils sont rejoints par celui qu’ils s’amusent à appeler « le contrôleur des travaux finis », venu amener le petit-déjeuner. Sous leurs yeux, ces anciens ont vu le quartier se transformer, les arbres pousser et les poubelles brûler. S’ils sont ici, c’est avant tout pour combattre l’ennui et donner un coup de main, même si pour l’un d’entre eux, « C’est un projet qui traîne quand même. Le problème, c’est que la main d’œuvre, elle n’est pas qualifiée. Ce sont des étudiants, ils sont dans des amphithéâtres, ils apprennent avec des papiers et des crayons ». Tout en sachant assez bien pourquoi ils mettent la main à la pâte : « C’est pour les jeunes, les mamans, il y aura des bancs… c’est pour meubler l’espace. Cet été, des gens pourront venir s’asseoir, des petits… »

 

IMG_20160526_103356

 

« L’architecture participative peut être adaptée au contexte économique et politique actuel »

 

Benoît, lui, voit en cette construction plus qu’une simple aire de repos : « On est très critique par rapport à l’enseignement à l’école, on fait très peu de pratique, on est complémentent dissocié d’une réalité concrète. On s’imagine, on affabule, on devient complètement schizophrène parce qu’on s’invente des problèmes et on y répond nous-mêmes. Au bout de plusieurs années d’étude, tu te dis que ce projet de fin de cursus, cela ne sert à rien de le faire si c’est pour qu’il finisse dans un tiroir. Donc on s’est dit, au moins que des gens en profitent. » Après huit ans d’apprentissage, le futur architecte a eu le temps de penser sa démarche : « L’architecture participative n’est pas quelque chose de neutre. C’est quelque chose qui a beaucoup été théorisé dans les années 60 et là on la redécouvre un petit peu et je pense qu’on peut l’adapter au contexte économique et politique actuel. »

 

IMG_20160526_104557

 

Santiago Cirugeda, « l’architecte de la résistance »

 

En complément de l’aspect manuel, c’est donc assez naturellement que Stéphanie et lui même ont choisi d’inviter Santiago Cirugeda aka « l’architecte de la résistance » pour une conférence qui s’est tenue à Pierrevives le 2 juin dernier. Devant une audience équipée d’écouteurs, traduction oblige, le Sévillan est revenu sur ses « recettes urbaines », qu’il dispose sur une plateforme en ligne, pour une architecture destinée aux pauvres, moins cher, constructive et libre de droit. Avant d’évoquer pendant de longues minutes la difficulté de s’affranchir de la récupération politique, même pour des projets participatifs, en prenant l’exemple de la cantine d’une école publique espagnole, construite par les élèves et les parents d’élèves, sans l’aide de la municipalité, qui aura malgré tout basé sa campagne promotionnelle sur cet événement. Pour lui comme pour Benoît, qui reproche à l’architecture esthétique de dépenser des fortunes sans se soucier des corps de métier à proximité, son architecture est dévalorisée par les cercles institutionnels classiques car « ce n’est pas beau ». L’Espagnol avoue devoir s’occuper plus des lois avec son avocat que de ses travaux et voit en l’architecture un moyen de manifestation et d’intégration des populations marginalisées.

 

Lui ne sera pas présent demain sur les lieux pour inaugurer la nouvelle agora citoyenne. Probablement tout comme Jean-Louis et Christian, qui auront certainement mieux à faire. En revanche, il est très probable que l’on y retrouve l’adjoint au maire Henri de Verbizier.