MARSEILLE, DE 1973 À AUJOURD’HUI : UNE HISTOIRE LOCALE DU RACISME

La romancière Dominique Manotti et le sociologue Kévin Vacher, membre du syndicat des quartiers populaires de Marseille et du Collectif du 5 novembre, ont accepté notre invitation à discuter des thématiques soulevées par le dernier ouvrage de l'auteure, intitulé "Marseille 73". Ensemble, ils évoquent l'héritage de la Guerre d'Algérie, reviennent sur les notions de mémoire collective et de transmission et argumentent au sujet du "contexte marseillais" dans un podcast divisé en sept parties.

« La Guerre d’Algérie est une coupure extrêmement profonde dans l’histoire française »

L’histoire racontée par Dominique Manotti nous plonge dans un contexte violent, celui de Marseille en 1973, marqué par une série de crimes racistes qui mêlent pouvoir politique et pouvoir policier. L’écriture fluide et la documentation poussée de l’auteure donnent une profondeur rare à une fiction bien ancrée dans la réalité et dont les enseignements sont nombreux. La restitution minutieuse de l’intrigue happera aussi bien les adeptes de roman policier que les passionnés d’histoire. À l’issue de sa lecture, le mystère est moins épais. Celui de ces meurtres de « l’été rouge », mais aussi celui des rouages politiques d’une ville tristement célèbre pour ses arrangements municipaux.

« Ce n’est jamais un manque de source. Le problème, c’est un manque d’écho »

"Marseille 73" mêle le récit des scènes de meurtres par les victimes au suivi du travail d’un commissaire chargé d’enquêter sur une affaire que les autorités judiciaires tardent à élucider. Alors qu’il découvre des éléments décisifs pour ses recherches, le commissaire Daquin se convainc qu’il est sur la bonne voie : « Toutes les pièces commencent à s’emboîter, un jeu intellectuel stimulant. Il construit une ébauche de scénario. Il se trouve intelligent. » Ce sentiment d’intelligence, les lecteurs le partageront au fil des chapitres. On sort de cette lecture riche d’une réflexion qui dépasse la simple histoire de 73 et de la cité phocéenne. Le fléau du racisme, les manigances policières, la lutte pour l’égalité… L’ouvrage traite des questions qui prennent un écho particulier depuis quelques mois. Alors que la France découvre l’ampleur des violences policières et des discriminations mais rechigne à se regarder dans le miroir américain, "Marseille 73" contribue à un travail de mémoire essentiel qui resitue la situation actuelle dans une histoire structurante, celle de la Guerre d’Algérie et de la gestion brutale de l’immigration.

« Garder l’opacité de la police, c’est une règle de fond »

« Il vaut mieux croire ce que font les gens que ce qu'ils disent »

Loin de ce contexte, plus de quarante ans après, le 4 juin 2020, des milliers de Marseillais, plutôt jeunes, se réunissaient plus ou moins spontanément en soutien à la famille Traoré. Parmi eux, il est probable que peu connaissent cette histoire locale du racisme. Il n’empêche, le succès était plein. Une des initiatrices de ce mouvement l’explique par le fait qu’à Marseille, « les gens avaient besoin de ça pour parler des violences policières, du racisme. Surtout avec tout ce qu’il s’est passé avec Zineb, Maria, les manif' après la rue d’Aubagne… ». Ces marches blanches, Kévin Vacher les a connu de l’intérieur. Son expérience de la lutte pour l’aide aux victimes des effondrements du quartiers Noailles en fait l’une des figures du militantisme dans les quartiers populaires. Actuellement en procès, il connaît de près les obstacles sur le chemin de la justice qu’évoque le dernier ouvrage de Dominique Manotti. En leur proposant de partager leur regard sur le passé et le présent de cette ville, l’idée était de mieux comprendre un contexte social et politique que l’on présente trop souvent comme singulier.

« Marseille est un miroir grossissant. C'est une ville très française »