ON EST ALLÉ CHECKER LE MONTANA

Afin d’en apprendre d’avantage sur la place occupée par le graff au sein du marché de l’art, Union Urbaine s’est rendu au Montana pour causer dessin de rue avec Nicolas Callu aka Sade. En 2006, cet ancien graffeur originaire de la Paillade a fait le choix de passer de l’autre côté du buvard et d’ouvrir sa galerie d’art. Jusqu’à ce que ses murs deviennent un gage suffisant de crédibilité aux yeux des acheteurs d’art « contemporain urbain ».

 

Le portable affiche 11h lorsque nous empruntons la Rue d’Alger depuis la place de la Comédie. Quelques mètres plus tard, il nous faut passer devant l’entrée pour remarquer la discrète mais non moins visible devanture du Montana. La journée en est encore à son échauffement, mais Nicolas Callu aka Sade, qui sort tout droit de son arrière-boutique, est lui déjà à fond. « Je bosse sur un projet qui me tient à cœur, et que je gratte depuis un bon moment. » À l’intérieur de sa galerie, des œuvres d’art qui ne se ressemblent pas, mais aussi plusieurs goodies et différentes bombes de peinture. « Les tee-shirts, les casquettes, il nous arrive d’en vendre. Mais ce qui permet à la boutique de vivre, ce sont avant tout les bombes. »

 

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Le côté bombes.

 

« Le graff, c’est presque une discipline de clochard »

 

Et en matière de bombes de peinture, Sade est plutôt calé. Le graffiti, il y est tombé dedans très jeune, dès l’age de 16 ans. « J’ai commencé au début des années 1990. À l’époque, le graff à Montpellier, ça n’existait pas. Pour arriver où j’en suis aujourd’hui, je peux te dire que ça a été une nécessité de commencer à en faire. Ne serait-ce que pour appréhender toute la culture qui gravite autour et savoir de quoi tu parles. » Ce qui lui a permis d’acquérir un certain recul, aussi. « Avant c’était quand même plus chaud de te faire une place dans ce monde, tu devais la gagner. Et puis, le graff, c’est presque une discipline de clochard dans le sens où c’est super mal vu. À la différence d’autres arts urbains, c’est pas une discipline qui va attirer les filles ou qui va te permettre de te faire de l’argent. » Son quotidien nocturne était surtout fait de course-poursuites avec la BAC et de gardaves.

 

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Les cousins d’Artikodin, Sulfura et Elector.

 

« Aujourd’hui, certains achètent une toile comme ils achètent un Louis Vuitton »

 

Depuis, il semble désormais plus facile pour un graffeur de pécho. En quelques années, le graffiti s’est fait un nom dans le milieu artistique. Popularisé par l’émergence d’artistes comme Banksy, le street art a commencé à faire son apparition sur plusieurs ventes aux enchères. Jusqu’à y squatter une place de luxe. « Aujourd’hui, certains achètent une toile comme ils achètent un Louis Vuitton. L’art, c’est un réel placement monétaire, au même titre que l’immobilier. Des mecs sont déjà venus ici en me disant : « Voilà, j’y connais rien mais j’ai tant d’argent en poche, dis-mois ce qu’il faut que j’achète. » Mais malgré cela, je trouve que sa place dans l’univers contemporain est amplement méritée. » Sur le site de la galerie, on peut y retrouver des tableaux disponibles à la vente.

 

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Signés du Montpelliérain Fode.

 

« j’ai été obligé de redescendre de mon nuage »

 

Ce qu’on est en droit de se demander, c’est si cette professionnalisation du graff, au même titre que le rap ou le football, ne contribue pas à laisser sur le banc de touche des cracks qui ne correspondraient pas à ces nouvelles normes. Des interrogations que Sade s’est posé, comme nous. « Lorsque tu sais que tu vas ouvrir une boutique, t’es tout de suite confronté au problème du financement. Durant mes premières années, il m’est arrivé de penser plus comme un artiste, j’me suis pété les dents et j’ai fait des erreurs en conséquences dans mes choix. À certains moments, j’ai privilégié les sentiments à la réflexion. Et à un moment donné, j’ai été obligé de redescendre de mon nuage. La contradiction d’être un artiste, c’est de devoir penser bizness. »

 

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Le côté sape.

 

« Il faut connaître son public, savoir ce qu’ils attendent, et s’informer du marché, dans le but de perdurer »

 

Ce qui n’empêche cependant pas plusieurs artistes de s’être succédés sur les murs du Montana. Des graffeurs locaux, comme Fode ou Smole, mais aussi d’autres issus de la scène toulousaine ou parisienne, comme Reso ou Nascio, qui sont aujourd’hui des membres permanents. Des graffeurs qui considèrent sa galerie comme un passage obligatoire. « J’ai su former une équipe qui puisse donner à notre galerie une identité. Il faut connaître son public, savoir ce qu’ils attendent, et s’informer du marché, dans le but de perdurer. » Un vocabulaire qu’a appris à assimiler Sade, au même titre que tous les codes nécessaires à l’intégration d’une sphère qu’il n’a jamais vraiment eu l’habitude de côtoyer. « Les acheteurs, ils sont issus pour la plupart de professions libérales ». Avec la certaine impression d’avoir accompli sa mission. « À l’époque j’avais en moi l’image, qu’un graffeur devait finir en galerie. Pour moi c’était le cheminement à suivre. Ce qui est incroyable c’est qu’aujourd’hui je vis ça, non pas dans le rôle de l’artiste mais celui du galeriste. Le talent est partout, tu peux venir de n’importe où, n’importe cadre social et avoir ta place. »

 

Site : http://www.montana-gallery-montpellier.com/