Sweo et Nikita, double mixte, Part. II
Sweo et Nikita se sont connus en 1998, mais Sébastien et Marlène étaient amis depuis plus longtemps encore.Vandale à ses débuts, Sweo, assagi par le temps, vend désormais ses œuvres, comme cette fresque géante commandée par le syndic d’un immeuble situé non loin du quai du Verdanson. Après être revenus sur leur parcours (relire la première partie), le double mixte débat sur la différence entre le street art et le graffiti tout en évoquant l’évolution de leur carrière.
Union Urbaine : Vous disiez aimer cet esprit de groupe dans le graffiti. Quand tu rentres dans ces logiques de marché d’art, est-ce que c’est pas une notion qu’on perd un peu, finalement ?
Sweo : À fond ! C’est pour ça que nous au final, on fait pas mal d’expos collectives, on a pas mal d’ouvertures là-dessus, donc du coup on en fait profiter les gens autour de nous. Tous les groupes ne fonctionnent pas comme ça. Il y a des crews, c’est carrément des groupes commerciaux où les gens se connaissent même pas entre eux. Nous, le 5.7, c’est une grande famille.
On a tendance à l’oublier mais le graffiti est une composante du hip hop, vous vous revendiquez de cette culture ?
Nikita : Ah non ça va ensemble ! Depuis toujours, c’était comme ça. Moi dans mes persos, ça m’a vachement inspirée tout le coté b.boy où t’as toujours cet esprit hip hop qui est vachement marqué, le dj, le ghetto blaster…
« À la base on faisait des saisons, on pensait pas un jour vivre de notre passion »
Tout à l’heure vous disiez que vous étiez autodidactes dans la pratique. Dans d’autres champs artistiques plus classiques, on retrouve des mecs qui ont parfois des formations. On a l’impression que dans le hip hop c’est différent.
S : Oui, c’est pas ton prof de musique qui va t’apprendre la vibe… J’ai arrêté l’école très jeune.
N : Moi en troisième.
« Maintenant, des jeunes de 15 ans peuvent se projeter là-dedans et se dire ‘‘quand j’aurai 20 ou 30 ans, je voudrais être un graffeur pro’’ »
Et vous trouvez que ça a été un handicap dans votre art ?
S : Oui, à fond ! C’est un handicap. Enfin dans le passé, cela ne l’était pas, on voulait pas apprendre ça, on voulait pas faire ça. Mais c’est plus ou moins notre passion qui nous a amenés là. À la base on faisait des saisons, on pensait pas un jour vivre de notre passion. Quand on avait 15 ans, on s’est pas dit « quand j’aurai 30 ans, je serai graffeur professionnel. » Ça n’existait pas en fait. Personne ne le faisait. Les galeries étaient anti-graffiti, les gens dans la rue étaient anti-graffiti, les commerces étaient anti-graffiti. Tout le monde était anti-graffiti, seul le vandale existait. Là aujourd’hui, des gars comme nous, on arrive à se développer là-dedans. Maintenant, c’est vrai que des jeunes de 15 ans peuvent se projeter et se dire « putain, moi quand j’aurai 20 ou 30 ans, je voudrais être un graffeur pro ».
On garde toujours la passion au moment où la pratique devient un métier ?
S : Oui et non… Disons qu’il y a 90% de passion et 10% de concessions.
« Ça nous arrivait de faire des chambres d’enfants »
Si tu veux parler au plus grand nombre, t’es obligé de faire des concessions ?
S : Nous, on commence à arriver à un niveau où notre propre style arrive à plaire. Le fait que notre style plaise, c’est vraiment bien et c’est là où t’as ta signature. Ce mur qu’on vient de faire, c’est notre signature à 100%.
N : On aime prendre du plaisir dans ce que l’on fait, quand on fait quelque chose, que ce soit sur commande ou pas, ce ne sera jamais à contrecœur !
S : Juste au début, quand on commençait, on était un peu obligé de se plier aux demandes des gens. Du coup, ça nous arrivait de faire des chambres d’enfants avec des trucs à la con (rires). Là, par contre, on prend pas du tout de plaisir.
Du coup, ça indique aussi la perception que certains ont du graffiti aujourd’hui ? Ça fait un peu : « Ah tu fais du graff, fais-moi ma chambre en rose » ?
S : Voilà ! Et le mec qui te prend pour faire une chambre d’enfant, il cherche pas une signature, il cherche juste une déco, mais plus originale qu’un poster. Et il t’appelle toi, parce qu’il se dit aussi que ça va être moins cher.
« Ça fait cinq ans qu’on arrive à en vivre »
Et c’est fantasmé ça, ou t’es vraiment obligé de casser les prix parce que c’est du graff ?
S : Pour nous, aujourd’hui, c’est complètement fantasmé. Dans le sens où on ne s’abaisse plus à rien. Le gars, il me demande 100 euros pour une chambre d’enfants, je lui propose mon tarif à moi. Maintenant, on peut le faire, au début on le faisait pas. Ça fait cinq ans qu’on arrive à en vivre, on avait des aides pendant les premières années, le RSA, ce genre de choses. Et puis on travaillait avant, donc on a eu deux ans d’ASSEDIC qui nous ont permis de nous lancer. Et puis nous, c’était beaucoup le bouche à oreille, on n’était pas trop branché communication, ce genre de choses…
N : Et puis quand t’es autodidacte, tu perds un temps fou, t’apprends tout de toi-même, tu fais des erreurs…
S : C’est là où Context’art (organisme d’insertion) nous a beaucoup aidés, ils nous ont fait comprendre qu’il fallait passer par certains trucs, les outils de communications, ce genre de choses, certains dossiers. Pourtant le coté administratif, 15 à table comme à l’école, je ne suis pas à l’aise, mais c’est là pour te faire avancer.
Crédits photos : Sebastien Sweo.