« LE MOT ÉPHÉMÈRE, ÇA VA TOUT À FAIT AVEC L’ESPRIT GRAFFITI »

Sweo et Nikita, double mixte, Part. III

Sweo et Nikita se sont connus en 1998, mais Sébastien et Marlène étaient amis depuis plus longtemps encore. Vandale à ses débuts, Sweo, assagi par le temps, vend désormais ses œuvres, comme cette fresque géante commandée par le syndic d’un immeuble situé non loin du quai du Verdanson. Dans cette dernière partie (relire la deuxième partie), les deux Montpelliérains retracent l’historique du graffiti.

 

Union Urbaine : Vous écoutez encore du rap ?

Sweo : Oui bien sur, mais pas trop les nouveaux…

Nikita : Le rap a changé, c’est dommage. Moi, j’aime bien le style old school, justement, et y’en a plus beaucoup qui gèrent.

S : Oui, plus beaucoup qui sont dans notre esprit. Puis c’est beaucoup de hip hop bling bling, c’est bien pour les boites de nuit.

(Un ancien ami graffeur à Sweo, devenu professeur de dessin, nous interpelle par hasard)

 
Nikita
 

« Avant de poser notre premier tag, on connaissait déjà les lois et les codes »

 

Est-ce que l’esprit graff ne se perd pas un peu…

S : Il se perd, mais il se rééduque, parce que les gens commencent de plus en plus jeunes, en voyant des trucs sur internet et non en côtoyant des graffeurs. Nous, on a appris en côtoyant des graffeurs, en voyant des graffs dans la rue. Ce qui fait que les lois, les codes et les règles, on les a appris en pratiquant. Tu vois, limite, avant de poser notre premier tag, on connaissait déjà les lois et les codes. Alors que maintenant les jeunes, ils ont vu ça, ils vont monter dans un shop avec papa, papa il achète trois bombes, mais nous ça existait pas ça. Il y avait pas de papa qui achetait des bombes, papa il disait : « Hop hop hop, tu vas ou ? »

N : Aujourd’hui les parents sont limite fiers : « Mon fils est graffeur, c’est génial. »

S : C’est un peu le revers de la médaille, parce que mes parents ils étaient anti-graff au possible. Ils comprenaient pas que je taggue, ils comprenaient pas que je graffe, ils comprenaient pas. Les flics me ramenaient à la maison, ils étaient pas content du tout. C’était pas du tout : « C’est rien mon fils, c’est pas grave, la prochaine fois te fait pas choper. »

 

« Dès que tu graff dehors, tu laisses ton oeuvre à la rue, elle t’appartient pas »

 

Est-ce que pour vous, c’est normal de passer dans une galerie ?

S : Oui c’est normal. Nous par exemple cette façade, on a pu la faire grâce à une galerie. C’est la galerie éphémère, qui est dans notre esprit. Et cet esprit nous plait.

N : Rien que le mot éphémère, ça va tout à fait avec l’esprit graffiti… Quand j’ai commencé le graff c’est ça qui m’a vachement marqué. Moi, je faisais mes tableaux, je me disais : « C’est à moi, c’est un bien. » Et dès que tu sors et que tu graffes dans la rue, là tu laisses ton oeuvre à la rue, elle t’appartient pas, ça touche des gens différents.

 

Sweo

 

C’est pas ça la principale différence entre le graffiti et les autres arts plus classiques ?

N : Ah si, moi ça m’a choqué, vraiment. Quand tu fais ton tableau t’es limite un peu autiste dans ton atelier, et là le délire d’être à 15 gars, de faire une compo tous ensemble, ça m’a vachement ouvert l’esprit. C’était un déclic, je me suis dit : « Putain mais c’est ça quoi, c’est ça la vie. »

S : Moi je l’ai pas ressenti parce que je suis né dans le graffiti pur et dur, du coup j’ai pas eu cette prise de conscience. Et c’est elle qui m’a fait tilter ce truc-là. Pour moi, les choses ne m’appartiennent pas personnellement, c’est à moi mais c’est pour la rue, ma photo me suffit très bien.

N : Ça m’a appris à lâcher vachement prise sur ce que je faisais, sur la possession, tout ça.

S : Au début elle me disait : « Ma toile elle est à moi, c’est ma toile. » Et là dans la rue, tu peux pas partir avec ton mur.

 

« La dernière fois, il m’a demandé une copie, je lui ai dit que c’était hors de question »

 

Et en galerie, tu sors de ce truc-là…

S : Oui il y a un coté commercial, tu dois vendre ton œuvre, et ça c’est bizarre. Quand on a commencé à peindre, on a toujours fait ça que pour nous, et on l’a jamais fait dans un esprit commercial, jamais. Même aujourd’hui, même si on les vend, on fait ça pour nous avant tout. On fait pas ça pour vendre parce que c’est populaire.

N : Faut bien qu’ils mangent aussi les gens. Je sais qu’en galerie, c’est difficile quand t’es peintre, vendre des toiles et tout ça, c’est dur quoi. Donc on peut pas critiquer non plus, même si on essaie de pousser les gens à acheter ce qu’on aime faire.

S : Tu vois là, la dernière fois, il y a un mec qui m’a demandé une toile, et il m’a demandé une copie d’un autre mec, « ce truc là est populaire, ce truc là est design ». Je lui ai dit que c’était hors de question. Déjà je veux pas faire de copie, en plus c’est un artiste que je connais et que j’apprécie aussi, donc j’ai encore moins envie de le faire. Je lui ai dit : « Si c’est vraiment ce que tu veux faire, c’est un non catégorique.» Notre but, c’est d’arriver à faire 100% ce qu’on aime, c’est difficile, mais grâce à cette notoriété et le temps qui passe, on peut y arriver.

 
sweo prépa
 

Justement sur le temps qui passe, on disait tout à l’heure que le graff c’était un truc jeune, en contact avec la rue, vous le voyez comment dans dix ans ?

S : Franchement j’avais 20 ans, jamais de ma vie j’aurais pensé pouvoir vivre comme ça aujourd’hui, je pensais que je ferais du vandale toute ma vie. Donc vu à la vitesse où ça se développe, et comment ça se développe, je pense que la vibe, soit on l’amènera, soit c’est nous qui l’amènerons.

 

Crédits photos : Sebastien Sweo, Marlene Nikita.