« CONTINUER À FAIRE GRANDIR CE LIEU »

Les habitants du Royal

Fermé depuis décembre 2014, Le Royal, cinéma historique de Montpellier qui devait se transformer en un immeuble d’appartements de luxe, est occupé depuis mai. Un lieu dont les murs ont d’abord servi de centre d’hébergement qui fait désormais aussi office d’espace culturel à disposition de ceux qui en auraient besoin. Aujourd’hui, ses habitants* gèrent sa programmation et accueillent également des associations, des spectacles, des débats ou encore des concerts. Des événements qui interrogent notamment sur la façon dont cet endroit continue de se développer en marge des institutions. Jusqu’à s’autogérer intégralement.

 

*À la demande des habitants, les prénoms ont été anonymisés

 

Union Urbaine : Commençons par le commencement, cela fait combien de temps que vous occupez le Royal ?

Alice : L’occupation a débuté le 8 mai.

Camille : En gros, cela s’est fait dans le cadre du mouvement social contre la loi travail. Ce sont des militants, des individus qui appartiennent à divers espaces d’organisation de la lutte sur Montpellier, qui à un moment donné ont eu cette idée d’ouvrir un lieu, de la même manière que la Zad qui s’est ouverte à Montpellier. Rapidement, on a remarqué que de par la nature du lieu, notre occupation dépassait cette simple thématique d’occupation.

La conjoncture sociale a-t-elle favorisé cette rencontre ?

Foued : Quand on lutte ensemble, on arrive à des solutions. Là, typiquement, on s’est rencontré autour d’un mouvement social particulier. Il y avait des gens qui se connaissaient déjà, mais ce groupe s’est élargi autour du mouvement social. Ce qu’on crée ici et ce à quoi on est déjà arrivé au bout de quelques mois, c’est parce qu’on le fait tous ensemble. C’est ça le cheminement. Ouvrir un lieu à trois ou quatre, c’est toujours possible, mais un lieu comme celui-là, t’en feras rien. C’est le lieu qui nous a poussé à nous fédérer.

Le fait que le lieu soit situé en centre-ville, cela a aussi dû jouer. 

C : Il est évident qu’il est plus facile d’aller à la rencontre d’un public. Quand on fait des événements, il y a beaucoup de monde qui vient. On peut penser que c’est parce qu’il y a une bonne programmation culturelle, ce qui est le cas, mais c’est aussi parce qu’on est dans le centre-ville.

Comment vous, habitants du Royal, vous définissez-vous ? Pensez-vous être tous rassemblés autour d’une même cause ?

A : Ici, c’est un lieu de culture non marchande et anticapitaliste. De ce fait, on peut se définir comme anticapitaliste. Et vu qu’on s’est rencontré sur le mouvement social, on se regroupe autour de cette idée-là.

Quand vous parlez de mouvement social, vous parlez de Nuit Debout ?

C : Le mouvement social, il existe en permanence. Ce sont tous ces gens qui se retrouvent autour de l’anticapitalisme. Ce qui a été déclencheur sur Montpellier, c’est l’assemblé générale contre l’état d’urgence. Ensuite, il y a eu le mouvement sur la loi travail. Nuit Debout, on était un certain nombre à l’appeler Assemblée Générale Populaire. D’une certaine manière, on se revendique comme des gens qui ont l’habitude de lutter ensemble dans les différents espaces de lutte.

F : Le Royal, c’est donc un collectif d’habitants qui est à grande majorité composé de gens qui se sont tous rencontrés autour des manifestations de la loi travail, comme les blocages et les occupations d’universités et de lycées et autour de l’organisation de la lutte contre la répression policière et judiciaire. Maintenant, ce qu’on essaye de faire de ce lieu, c’est qu’il soit utilisable par tous, parce qu’il est facile d’accès. Il a un bénéfice de notoriété qui fait que tu fais venir des gens facilement quand t’annonces quelque chose ici. Et nous, on y voit non seulement dans les pratiques culturelles mais aussi politiques, une opportunité pour un certain nombre de pratiques d’arriver à se faire connaître ou à se diffuser. La lutte sociale, ce sont tous ces gens qui s’impliquent quotidiennement dans le social. C’est quelque chose de vaste, de large. Et notre avantage, c’est qu’on s’installe dans le temps et qu’on a le temps de développer des problématiques, d’aller voir des gens qui travaillent déjà sur ces problématiques et de leur proposer un espace.

 

« Ce lieu montre qu’il existe à Montpellier des besoins d’occupations de salle, pour du théâtre, pour des conférences, des débats philosophiques ou encore des concerts »

 

Quel rapport vous entretenez avec les autres pôles de la ville, les instances institutionnelles, culturelles ou politiques ?

C : On a réussi à tisser pas mal de liens avec d’autres associations. L’idée, ce n’est même pas de faire comprendre quelque chose à la mairie ou aux institutions. Juste qu’ils ouvrent les yeux et qu’ils regardent que de fait, ce lieu montre qu’il existe à Montpellier des besoins d’occupations de salle, pour du théâtre, pour des conférences, des débats philosophiques ou encore des concerts. Plusieurs centaines de personnes viennent assister à nos événements et concernant les salles, elles ont un roulement presque plein. Et le fait que cela marche bien, fonctionne, que ce soit propre, que les gens qui viennent ici y trouve une utilité, c’est intéressant d’un point de vue politique, culturel ou social. Si les institutions veulent réprimer ça, c’est leur problème.

F : Si tu veux, notre démarche ne s’articule pas autour de la question de notre relation avec les institutions. C’est plutôt le pari de réaliser cela ensemble et de fournir tous les efforts possibles pour que ce lieu vive. Nous notre pari, c’est de se dire que les personnes viendront parce qu’elle n’ont pas le choix. Il y a les gens qui ont besoin d’un espace, et on est tous d’accord chez les habitants pour dire que la priorité va à ces gens et pas aux gens qui voudraient nous faire de la pub. En ce qui concerne les institutions publiques, que ce soient la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) ou la mairie, c’est de leur dire que de toute façon, ces gens-là sont condamnés à venir nous parler parce que ce qu’on fait nous dépasse, implique déjà et va impliquer des dizaines et des dizaines de personnes, voire des centaines, parce que ce lieu est grand. Ils sont parfaitement obligés de venir nous parler. Parce qu’on existe, qu’on est en plein centre-ville et qu’on ne peut pas nous balayer d’un revers de main comme ce serait le cas si nous étions en banlieue, donc…

Vous attendez d’être contacté par la mairie ?

C : On n’attend rien du tout, non.

F : Nous on fait ce qu’on à faire, on n’attend rien. On fait avec le maximum de sérieux, d’envie, d’ouverture, et nous notre objectif n’est pas d’être racheté par la mairie et de devenir institutionnel. Notre propos c’est de dire qu’ hors institution, il y a une vie riche.

Vous insistez aussi beaucoup sur l’autogestion.

F : L’autogestion, cela veut dire que ce sont les gens qui viennent ici qui s’approprient le lieu. Concrètement, ils voient si la salle est propre, ils font le check du son eux-mêmes. Ça s’apprend aussi, il y a une éducation par rapport à l’autogestion. C’est un lieu où tout fonctionne par autogestion. C’est un fait, les gens s’organisent tout seul. Et donc on n’attend pas quelque chose par rapport à ça, juste reconnaître que cela existe.

Comme tu l’as souligné, l’autogestion, c’est aussi quelque chose qui s’apprend. Existe-t-il un relais entre les personnes qui qui vivent ici où toutes ont déjà appris à s’autogérer ?

A : Beaucoup de gens qui sont ici, qui ont commencé le lieu, sont des anciens squatteurs ou des anciens zadistes, qui sont habitués à ces pratiques-là depuis des années, certains depuis toujours. Ils n’ont jamais payé un loyer et savent se débrouiller dans plein de domaines comme par exemple l’électricité. Et puis il existe aussi une population plus jeune qui apprend et se forme à l’autogestion, en observant les plus anciens et en les regardant travailler.

 

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« L’un de nos objectifs qui est évident, c’est que ce lieu soit aussi une caisse de résonance pour les luttes et périphéries de Montpellier »

 

Tout à l’heure, Foued, tu parlais des banlieues. Quel est votre rapport à ces zones, mais également aux zones rurales et à la périphérie, dans ce registre de convergence des luttes ?

F : Cet espace de centre-ville, et c’est ce que j’essayais de dire un peu tout à l’heure, c’est que c’est un porte-voix non seulement pour des artistes, mais aussi pour tout autre démarche qui aurait besoin de se faire entendre. La réalité actuelle concernant notre population, même si elle est amenée à changer, c’est que personne ne vient de la périphérie de Montpellier. On n’a pas de contacts directs, à part à travers les pratiques artistiques. C’est d’ailleurs aussi un désavantage d’avoir cette particularité. À part par ce biais-là, et pour certains militants par le biais politique, on n’a pas de lien. Maintenant, encore une fois, on essaye au fur et à mesure d’inscrire notre volonté, d’inscrire ce que l’on propose dans le temps, et on voit bien qu’entre les gens qui sont venus nous voir au tout premier jour et ceux qui viennent maintenant, le panel est de plus en plus large. L’un de nos objectifs qui est évident, c’est que ce lieu soit aussi une caisse de résonance pour les luttes et périphéries de Montpellier. Mais le but, c’est pas de le faire artificiellement en prenant par la main quelqu’un et en lui disant de venir tel jour dire ce qu’il a à dire. C’est d’arriver à ce qu’on crée une dynamique suffisamment claire ici pour que des gens qui ont besoin d’une caisse de résonance se sentent de venir ici et de le faire. On y travaille et cela avance chaque jour, par des liens politiques, artistiques, qui permettent de se rencontrer et d’échanger des projets.

C : Par rapport aux banlieues, il y a récemment eu la Zad de Las Rébès, un mouvement politique qui a permis de tisser de vrais liens avec ces banlieues, même si cela s’est mal terminé. Ce lieu, on veut qu’il soit un outil dont les gens peuvent se saisir. On va pas se proclamer défenseur des banlieues. Concrètement, ce ne serait pas vrai pour le moment. Mais le message qu’on a, c’est qu’on a un espace à disposition des personnes qui en auraient besoin.

 

« les banlieues ont été un terrain d’expérimentation des politiques de répression policières et judiciaires »

 

Ce questionnement autour du ralliement des banlieues aux mouvements sociaux revient beaucoup lors d’ateliers, de débats, à travers toute la France. Il y avait cette volonté de vouloir faire des Nuit Debout en banlieues, ce qui s’est fait dans certains lieux. Comment expliquer le fait qu’il existe une telle fracture entre la périphérie et les mouvements sociaux qui émanent disons du centre-ville ?

C : À mon sens, il y a plusieurs éléments de réponse. Il y en a déjà un. Quand les émeutes en banlieues ont eu lieu, à l’époque, il n’y avait pas eu de relais ou de soutien politique concret, ni de manifestations dans les centres-villes organisée par les partis et organisations anticapitalistes traditionnelles, si on peut les appeler comme cela. Concernant la loi travail, il y a eu une grosse thématique autour de la violence policière et judiciaire. Et on sait très bien que les banlieues ont été un terrain d’expérimentation des politiques de répression policières et judiciaires. On peut comprendre qu’en regardant des citadins qui disent : « Regardez, mon dieu, on subit une répression policière et judiciaire », alors qu’elles s’exerçaient déjà dans certaines zones et qu’au moment ou elle s’exerçaient, il n’y a pas eu de soutien majeur, les banlieues ne se sentent pas concernées. Je n’ai pas de clés, mais c’est un élément de réponse.

F : Ces problématiques-là se sont posées à travers toute la France. Nuit Debout, c’est la forme assemblée générale qui est une forme qui plait aux universitaires. Donc déjà, elle est située sociologiquement. Après, le mouvement social contre la loi travail et en particulier chez les plus jeunes, il a su, pour la première fois, amener au sein des manifestations des gens qui ne font pas partie du public habituel, qui ne sont pas des blancs de centre-ville ou des bourgeois, pour faire court. Mais après, pour revenir spécifiquement sur Montpellier, ça reste une petite ville. Qui grandit, certes, mais encore composée de petits bourgs, de petits villages, et de ce centre-ville qui est très fermé. Il existe une ségrégation spatiale et une séparation des espaces très forte. Quand tu fais un événement sur la Comédie, tard le soir, venir au centre-ville quand tu viens d’un milieu rural…Quand du viens des périphéries de Montpellier, c’est un tram toutes les 30 minutes… Maintenant, il y a la Zad qui a existé, avec les défauts qu’elle avait, les désavantages qu’elle avait et le drame qu’il y a eu pour terminer. Il n’empêche que cette Zad se faisait en plein milieu de deux grands ensembles connus de Montpellier. Et que dans cet endroit, il y a eu des liens d’organisation et de structuration autour d’une même lutte. Il y a encore beaucoup de boulots, c’est clair, mais ça avance. Franchement, les positions d’un certain nombre de personnes ont bougé et continue à bouger ensemble. Nous, on essaye de faire ça ici. Tous ceux avec qui on se retrouve autour d’un certain nombre de thématiques et d’interprétation du monde sont les bienvenus pour travailler ici, et comme ils travailleront ici, ils rencontreront d’autres gens qui travaillent sur ces sujets-là.

La façon dont on nomme la lutte joue également beaucoup dans ce rassemblement. Pour certaines personnes, qui subissent des politiques ou qui sont dans une autre action de forme politique que ce soit dans les associations ou le sport, le mot anticapitaliste apparaît déjà comme trop abstrait. Une des clés, c’est peut-être aussi la façon dont on se nomme?

C : Si tu veux, après, j’ai pas envie de parler des banlieues comme une espèce d’abstraction. Je sais en parler par rapport à ce que je te dis, que c’est un laboratoire des techniques de répression policière et judiciaire, ce que j’ai déjà dit. Ensuite pour moi, par exemple, l’anticapitalisme c’est une condition… c’est une condition nécessaire pour un travail commun et pour un objectif. En gros, on ne peut pas non plus faire des rassemblements ou des alliances artificielles, tu vois ce que je veux dire ? Si par exemple, les militants anticapitalistes ont envie de s’organiser, ils ne vont pas demander leur avis à quiconque. On n’est pas dans une forme d’électoralisme, de clientélisme…

F : En fait, anticapitaliste ou groupe anticapitaliste, est-ce que c’est performant, est-ce que ça dit ce que ça veut dire ? Un des débats qui traverse l’extrême-gauche aujourd’hui, c’est cette question de la nomination. Moi, il me semble plus pertinent de parler de lutte contre les oppressions sous toutes ses formes. Pour beaucoup de gens, l’oppression avant d’être celle du, enfin, avant, après… Une des oppressions à Montpellier quand on vit en périphérie, c’est celle-là. C’est que la mobilité, quand on vient des périphéries, elle est réduite, elle est strictement quadrillée. C’est une oppression claire sur laquelle on peut lutter, qu’on peut nommer sans savoir si on est universitaire ou pas, sur laquelle on peut se retrouver. Il y a un mécanisme derrière qui correspond à la mise en place de cette ségrégation-là. Battons-nous ensemble contre ce mécanisme qui est aussi ce mécanisme qu’on dénonce en appelant ça l’anticapitalisme. Mais c’est compliqué.

 

« L’idée c’est « viens, fais et prouve toi à toi-même que t’es capable de le faire et apprend à le faire avec d’autres gens dans un lieu partagé » »

 

Comment avez-vous fait le lien avec les associations qui viennent travailler ici et profiter des salles ?

A : On a commencé à rencontrer les gens la première fois avec le point info et les gens sont venus à nous. Lors de ce point info, on a expliqué ce qu’on était pour l’instant et ce qu’on voulait devenir, à savoir un lieu ouvert aux propositions. On a mis en place une espèce de collaboration pour faire avancer le lieu. Et on a diffusé ces infos avec la page Facebook. C’est au centre-ville, les gens sont venus, ont posé des questions, ont parlé aux personnes et voilà.

F : Et puis nous, on dit systématiquement à tous les gens qui viennent, qu’elle que soient leurs qualités, qu’on a des espaces de libre. Si toi ou n’importe lequel des gens que tu connais a un projet et a besoin d’espace pour travailler ou a une idée ici et est prêt à la mener à bien, envoie-le nous. On le dit en permanence à tous les gens qui viennent nous voir, qu’il soit 21h ou 14h. Là, on a des gens de la rue qui sont à côté, on le dit à tout le monde, que tu sois de la rue, en costard, en baba cool, ou que tu sois un lascar. L’idée c’est « viens, fais et prouve toi à toi-même que t’es capable de le faire et apprend à le faire avec d’autres gens dans un lieu partagé ». La règle fondamentale, c’est le respect et la gratuité. En fait tu dis des choses quand tu dis ça.

Dans le contexte que l’on connait, c’est quand même rare de pouvoir arriver avec un projet et profiter d’un espace.

A : Ici, il y a de la place. On est ouvert à tous projets mais il faut que celui-ci fasse vivre le lieux pour que le lieu perdure et fasse naître d’autres projets. Pour que l’outil marche, il faut qu’il y ait des projets, et pour que ces projets marchent, il faut qu’il y ait l’outil.

C :On est sur de la gratuité, on est sur de l’autogestion. C’est hors institutionnel ou pas institutionnel et c’est quelque chose qui se voit direct, il suffit de passer devant pour le comprendre.

Vous avez déjà refusé des projets ?

A : On n’est pas dans le refus de projets, mais dans la réalité du moment. En octobre par exemple, on n’est pas capable physiquement et mentalement d’accueillir plus de personnes. Par contre, à cette personne, on lui dit de revenir nous voir en novembre si il peut. C’est très important pour nous, on se met pas autour d’une table en disant « ah non c’est de la merde on veut pas ça ». Par contre, si il y a un gars qui vient subventionné par Mcdo, c’est évident qu’il a rien à faire ici. Si ça va pas dans les principes du lieu, on va pas… c’est pas vraiment du refus, c’est juste que cela ne peut pas fonctionner. C’est pas le public, pas chez nous quoi… Ici, c’est un espace culturel, c’est nous qui le tenons et c’est aussi notre maison. Faut que nos idées marchent ensemble.

F : On n’est pas là avec un carnet de bord, un planning et des formes pré-construites. On travaille au quotidien pour faire de ce lieu ce qu’il pourrait devenir, et on en est à un tout petit morceau encore. Ce lieu, il a un potentiel gigantesque et nous, plus on avance, plus le temps avance et plus on met en place des protocoles d’action. Là, par exemple, maintenant on arrive à un moment ou il y a des gens qui ont compris qu’il existe des salles pour travailler. Donc là notre objectif, c’est de mettre en place un agenda d’occupation des salles en journée, parce que le soir, il y a d’autres événements. On a trois salles dispo, on met en place un agenda rapide et clair, et l’endroit est autogéré. Les groupes se débrouillent entre eux pour que les salles soient occupées, propres et utilisables par tous. Tu bloques pas deux salles pendant une semaine toute la journée. Nous, l’objectif, clairement, c’est d’arriver à faire en sorte que les gens se gèrent. On a autre chose à faire que de savoir si machin a rendu la salle deux minutes en retard et voilà. Être capable de se discipliner pour l’objectif commun qui est de continuer à faire grandir ce lieu.

 

« On réquisitionne un lieu dans lequel on habite et où on est nombreux à habiter parce qu’on en a besoin et qu’on n’a pas d’autres possibilités de se loger »

 

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Au niveau du financement, les boissons tout ça, c’est prix libre ?

A : Non, ce sont des donations. Les gens, ils ont conscience que tout ce qu’on fait ici pour les accueillir, c’est quelque chose qui demande du travail et on a besoin d’argent, c’est une réalité. On a besoin d’argent pour continuer à faire vivre ce lieu. Mais c’est pas prix libre, on ne vend rien ici, on fonctionne sur la donation. Participation en travail ou en argent.

F : Une des forces de ce lieu et de ce collectif d’habitants, c’est qu’il mélange à la fois des gens très jeunes étudiants, des gens très jeunes pas étudiants, des gens moins jeunes travailleurs pauvres, des gens moins jeunes que la société appelle marginaux donc sans emploi, sans domicile fixe… Du coup, la question de l’argent, la question de la précarité… On accueille des étrangers qui, eux-mêmes, sont dans des situations de précarité bien pires que celles que connait la France. Des personnes qui viennent ici parce qu’elles ont besoin de logement. On réquisitionne un lieu dans lequel on habite et où on est nombreux à habiter parce qu’on en a besoin et qu’on n’a pas d’autres possibilités de se loger. Dans certains milieux militants universitaires, certains sujets ont du mal à être abordés. Ici, ce n’est pas la question. Il y a plein de gens qui ne sont pas des universitaires mais qui sont des pauvres, et qui vivent sous le seuil de pauvreté depuis X années. Et donc oui la question de l’argent elle se pose, la question d’une rémunération juste elle se pose. On espère arriver à faire comprendre cela. Concrètement, si dans six mois on est capable de sortir des cachets à des artistes, on a gagné. Parce que le travail mérite rémunération et que si on est capable de créer une rémunération… Bon là c’est un point de vue personnel, en l’occurrence quand je dis « dans six mois », c’est pas le thème de nos discussions, mais si on arrive à rémunérer le travail qui est effectué parce que les gens donnent ce qu’ils pensent devoir donner en fonction de ce qu’ils reçoivent, on passe un pas énorme.

C : Réussir à faire tenir financièrement le lieu, c’est une manière de prouver que les gens ne sont pas bêtes, qu’ils peuvent s’organiser, qu’ils peuvent même gérer deux trois francs et que ça marche pas trop mal. Le tout sans système, sans appui, sans assistanat.

 

« Il n’y a pas de raison que ce lieu ferme si 200 personnes s’en servent de manière régulière à travers des cours, des ateliers, des spectacles, des débats, des projections, des concerts, des réunions… »

 

F : Sans appui aucun. Actuellement on a aucune subvention, parce que de toute façon on n’est pas une association, on est un collectif et notre positionnement politique n’est pas d’aller chercher des subventions. Actuellement, on est nous et les gens avec qui on travaille. Et c’est notre ambition, travailler avec plein de gens, arriver à se mettre d’accord sur des objectifs communs, sur des modes de fonctionnement communs. Le principe de la réquisition, c’est de dire, nous sommes là de droit, c’est notre droit d’être ici et nous prenons ce droit et nous agissons. On réclame rien, on prend et on fait. Et notre ambition, c’est de dire plus on est nombreux à faire ensemble, plus ce lieu durera. Il n’y a pas de raison que ce lieu ferme si 200 personnes s’en servent de manière régulière à travers des cours, des ateliers, des spectacles, des débats, des projections, des concerts, des réunions… Comment tu veux fermer ça ?

A : En ce moment, on est dans la légalité.

Justement, pourriez-vous faire un petit résumé des procédures judiciaires ?

F : Il y a d’abord eu une procédure judiciaire qui est celle des squats, qui est la procédure en urgence. Une procédure en référé, avec un jugement qui a eu lieu à la fin du mois de juillet et un délibéré au début du mois d’août. C’est un jugement dans lequel le propriétaire, à travers ses avocats, demandait notre expulsion immédiate des lieux avec trois prétextes majeurs qui étaient l’entrée par effraction, ce qui relève du pénal, et entraîne une expulsion immédiate, la dégradation des lieux, et le fait qu’on prive le propriétaire de sa propriété privée. La juge a répondu qu’il n’y avait ni effraction ni dégradation et que le droit au logement était en balance par rapport au droit à la propriété, en tout cas que le droit à la propriété n’écrasait pas le droit au logement. Donc maintenant, on est dans une situation où le propriétaire va reporter plainte, et là, il y a plusieurs mois d’attente à cause des lenteurs de la justice en France. Mais là, on est reconnu comme occupant, sans droit ni titre. Là, c’est notre domicile, vous êtes chez nous dans notre domicile et chaque personne qui rentre ici est dans notre domicile.

A : C’est le même droit qui s’applique dans votre appartement.

F : Récemment, une association qui vient travailler ici a contacté son assurance. Les personnes de l’association ont dit concrètement ce qu’ils allaient faire et l’assurance leur a fait un papier leur affirmant qu’ils étaient bien assurés chez nous, parce qu’on est chez nous. C’est notre situation, en attendant une prochaine décision judiciaire.

C’est toujours d’actualité de faire une mezzanine dans l’une des salles ?

A : Oui, ce serait dans une autre salle qu’on est en train d’aménager en sleeping. Elle servirait à recevoir des personnes pour deux ou trois nuits.

 

« Midi Libre, c’est d’abord un journal d’annonceurs, de publicités, dans lequel les agents immobiliers et autres du coin mettent beaucoup d’argent »

 

Une dernière chose qu’on voulait soulever, c’est votre rapport aux médias.

C : Sans parler au nom de tout le monde, je pense qu’on est un certain nombre ici déjà à globalement dénoncer le système médiatique et qu’on n’a aucune confiance dans les grands journaux. Et nous, par rapport aux journalistes, on peut dire qu’on refuse Midi Libre, 20 Minutes, Direct Matin et La Gazette également, parce qu’ils ont écrit des articles mensongers sur nous.

F : On parle de beaucoup de choses concernant les médias ici, on parle d’automédia, on parle de pratique des médias. On a aussi, et c’est un choix qui est extrêmement rare dans le milieu des squats, qui nous est reproché et qui nous sera reproché, c’est notre présence sur Facebook. Et je veux bien insister sur le fait que Midi Libre, c’est d’abord un journal d’annonceurs, de publicités, dans lequel les agents immobiliers et autres du coin mettent beaucoup d’argent. Donc quand on va à l’encontre d’un projet immobilier, on fait face à des gens qui ont un conflit d’intérêt. On fait face à des gens qui ont écrit des articles sur nous sans jamais venir nous voir. Midi Libre, ils en ont écrit deux sans venir nous voir. La Gazette ils ont écrit des articles en nous citant. Et y’a aussi le fait qu’ici, il n’y a pas que des gens très jeunes. Même si y compris chez les gens très jeunes, il peut y avoir une expérience des médias, il y a aussi des gens un peu moins jeunes qui savent d’expérience qu’il y a des gens avec qui on peut travailler et il y a des gens qui sont là pour raconter leurs histoires. Et les gens qui sont là pour raconter leurs histoires, ils ne nous intéressent pas. L’histoire on est là pour l’écrire tous ensemble, si je veux faire un peu mon romantique tu vois. Recevoir des gens qui cherchent la petit bête et qui ont déjà leur avis sur la question, cela va nous prendre du temps, on ne va pas pouvoir travailler comme on a besoin de travailler.

C : Si tu veux, on réclame rien de spécial. L’ambition qu’on a c’est d’avoir un automédia. Il y a une réflexion pour la constitution d’un média qui pourrait inclure tous les collectifs qui sont dans une résistance artistique.

F : Pour aller un peu dans la théorie, l’État a démissionné face à la concentration des médias et l’État a renoncé à légiférer. Donc maintenant, il faut s’organiser autrement. Avec ces gens-là, on n’a rien à se dire. Ils ne sont pas venus dialoguer, ils ne sont pas venus nous rencontrer.

Le questionnement, c’est vaut-il mieux être visible et caricaturé que non visible.

A : Mais nous, on est visible en plus.

F : On tient le Royal à Montpellier. Tu demandes à n’importe quel Montpelliérain des cinq ou six générations, il connaît ce lieu. On n’a pas besoin d’eux.

À l’inverse de pas mal de squats, là vous avez gagné sur cette visibilité territoriale.

F : Et les contacts, ils évoluent. Les gens qui viennent nous voir, passent, ils sont curieux. Et puis maintenant, de plus en plus, on a des gens qui viennent nous voir qui sont des collectifs qui existent et qui sont intéressés pour faire quelque chose ici. Même des gens qui, en soit, seraient prêts à prendre en charge la programmation complète d’un lieu pareil, parce que c’est des gens qui ont ce type d’expérience. Ici, les gens viennent. Viens et fais.

 

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