« J’AI FAIT LE CHOIX DE M’ORIENTER VERS UNE TRILOGIE »

Michaël Nerjat, écrivain, auteur du roman « Black Dragons Juniors », Part. II

Pour Michaël Nerjat, l’édition de ce premier roman répond à plusieurs motivations. Bien sûr, il y a l’envie de narrer sa vie de Black Dragons Juniors, nourri par sa passion pour l’écriture acquise à l’adolescence. Mais la principale obsession, celle qui l’a habité pendant les sept années passées à confectionner son oeuvre, c’était avant tout le besoin de s’accomplir. Après être revenu sur les conditions d’édition du livre (relire la première partie), l’auteur retrace dans la deuxième partie de cet entretien sa vie de Black Dragons Juniors, en apportant plusieurs éclairages sur le mouvement. Puis nous tease le second volet, déjà en préparation.

 

Union Urbaine : Concernant la sociologie des membres des Black Dragons Juniors, est-ce que c’était un mouvement plutôt parisien, ou plutôt périphérique ? Vous étiez beaucoup de gens de banlieues, ou il y avait beaucoup de Parisiens intra-muros ?

Michaël Nerjat : C’était national en fait ! T’avais des Black Dragons Juniors à Nantes, dans toutes les banlieues de Paris. On grossissait, parfois il y avait des mecs que je n’avais jamais vu. Il y en avait beaucoup aussi qui profitaient de l’effet d’aubaine. Ils étaient avec nous pour protéger leurs fesses, parce qu’on était une sécurité. Il y en avait partout, Paris, banlieues. Je ne sais pas si le terme est le bon, mais c’était comme une sorte de diaspora. On était disséminé un peu partout, il y avait plusieurs groupes qui se formaient. De 15, de 20, des sections en fait. Et s’il y avait besoin qu’on se rassemble, tout le monde se réunissait.

Il y avait des blancs ?

Oui. Il y avait des blancs, de tout, Antillais, Africains, Reubeus, Juifs. Bien sûr.. C’était ouvert à tous ceux qui partageaient la même vision des choses que nous et qui étaient rassemblés dans un même combat. Même chez les Black Dragons, il n’y avait pas que des noirs. La majorité était noire, mais il y avait des blancs.

Comment cela prospérait ailleurs que sur Paris ?

On va dire que c’était dû à l’effet du bouche à oreille. On avait beaucoup de succès. On arrivait en soirée, on n’avait même pas besoin de se présenter. Tout le monde savait qu’on était les Black Dragons Juniors. En fait, on avait un code vestimentaire, toujours bien habillé, parfois de la même façon, comme un uniforme. Béret Kangol, blouson Schott, comme décrit dans le livre. Les baskets blanches, le jean Levi’s, le polo Lacoste.

Il y avait comme une forme de fascination, qui s’exprime d’ailleurs bien dans ton livre.

C’est ce que j’ai ressenti la première fois que je les ai vus. Et il y en a eu d’autres après moi qui ont été fascinés aussi.

 

« On avait un code vestimentaire, toujours bien habillé, parfois de la même façon, comme un uniforme. Béret Kangol, blouson Schott, comme décrit dans le livre. Les baskets blanches, le jean Levi’s, le polo Lacoste »

 

Comment tu percevais le climat politique dans lequel tu étais à l’époque ? Et concernant le vote, ta position a-t-elle évolué ?

J’ai toujours eu une mère qui nous incitait, puisqu’on était trois garçons à la maison, à nous intéresser à la politique. Elle-même avait été militante en Guadeloupe pour l’indépendance du pays et elle voulait que la politique soit quelque chose qui nous intéresse. Les premiers débats qui m’ont marqué, c’était ceux pour la présidence de 1995, Chirac et compagnie. je faisais attention à l’éloquence verbale, la locution des protagonistes. Je notais quelques phrases et je regardais dans le dictionnaire ce que cela voulait dire. Ma rencontre avec les Black Dragons a complété le cheminement de ma conscience sur la politique. J’ai toujours voulu être impliqué dans la vie sociale, pour pouvoir faire avancer les choses. Je me suis toujours dit que si on reste spectateur, on n’obtiendra jamais ce qu’on veut. C’est comme là avec l’actualité, la mobilisation des Gilets jaunes. Si tu veux quelque chose, il faut sortir de ton trou, descendre dans la rue et te battre pour l’obtenir. Parce que le gouvernement en place, ils sont là, tu votes pour eux, mais après ils oublient les promesses électorales et voilà, tu te retrouves en galère. Maintenant, j’ai une famille, je sais ce qu’est le quotidien, je sais ce que subissait ma mère. L’implication dans la vie politique, pour moi, c’est important. Ce que je dirais, c’est qu’être écrivain n’est pas un objectif en soi. C’est un outil qui doit me servir à pouvoir être acteur de la vie politique.

C’est ton objectif ?

À long terme, au-delà du fait d’être écrivain. D’une manière ou d’une autre, peut-être ici, peut-être sur l’une des mes îles d’origine. Je ne suis pas pressé, je ne veux pas griller d’étapes. J’attends de voir.

 

« Être écrivain n’est pas un objectif en soi. C’est un outil qui doit me servir à pouvoir être acteur de la vie politique »

 

Juste avant d’arriver, on, se demandait la place qu’avait occupé la télé dans ta construction politique, sociale. Parce qu’il y a plein d’anecdotes sur la télé dans le livre.

Oui, la télé c’était… Le seul outil qu’on avait qui nous reliait à ce qu’il se passait dans le monde. Par exemple, je parle à un moment de l’épopée de Jordan avec les Chicago Bulls. Voilà, c’est des images qui m’ont marqué. J’ai vraiment voulu mettre tout ça en exergue. Et puis les clips de rap qu’on regardait tard la nuit, et le lendemain on reparlait de ça. Du dernier clip d’untel, que ce soit clip de rap américain ou de rap francais. La politique occupait aussi une place importante. Entre Black Dragons Juniors, on avait des débats politiques. On s’intéressait à tout ça. Certains personnages que je cite dans le livre font d’ailleurs de la politique, comme Rex. Qui a vraiment existé, qui était vraiment rappeur, et qui s’est présenté à des élections dans son pays. Le titre du chapitre Les BDJ rentrent dans le feu, c’était un maxi qu’il avait sorti à l’époque et qu’il avait appelé comme ça. Je l’ai écrit en m’inspirant de son titre, en fonction des images que j’avais lorsque j’écoutais le morceau.

 

« Le deuxième livre donnera envie au lecteur d’en apprendre un peu plus. Il y a peut-être des choses qu’il saura déjà, mais elles lui donneront envie d’approfondir, de compléter. Il y aura un hommage dans le livre, deux histoires vont se suivre, en parallèle, qui n’ont a priori rien à voir »

 

Tu parlais du style polar au début de l’entretien. On voit que tu réussis assez bien dans ce registre. Parfois, on a du mal à placer le curseur entre la fiction et la réalité.

Tu fais bien de le souligner parce qu’en écrivant le livre, j’ai essayé d’avoir une écriture cinématographique. De faire en sorte que le lecteur perçoive cela comme un film qu’il regarderait. J’ai essayé de chorégraphier les scènes de combat, de manière à ce que le lecteur puisse s’imaginer chaque coup. Ce que j’aime, ce sont les polars, les films mythiques comme Les Affranchis, les films de guerre, les films sombres. Des réalisateurs comme Oliver Stone, Brian De Palma. Même Clint Eastwood, j’aime bien l’acteur et le réalisateur. Je voulais que le livre puisse un jour, pourquoi pas, être adapté au cinéma. C’est un peu l’ambition secrète du livre. C’est pour ça aussi que j’ai fait le choix de m’orienter vers une trilogie.

Ah, on allait te le demander, si tu avais décidé de partir sur autre chose pour tes prochains livres.

L’idée, c’est de partir sur trois volets. Le deuxième est en cours d’écriture. Mais ce que je désire, c’est que chaque histoire ait lieu dans un univers différent. Des lieux différents. Le deuxième va se dérouler en Haïti.

 

 

On va donc sortir de la base biographique du premier livre ?

Oui. Mais tout en gardant en toile de fond les Black Dragons Juniors, et en respectant les codes du premier volet. Après l’idée, c’est un peu de dérouter le lecteur, le divertir, l’instruire. Lorsqu’il lira les premières pages du deuxième, il sera un peu désarçonné. J’ai vraiment envie de sortir de ma zone de confort et d’explorer d’autres univers. Dans le premier, tu avais les Black Dragons Juniors. Je pense que les personnes qui ne connaissaient pas les Black Dragons ont essayé de comprendre qui ils étaient. Parce que moi, franchement, quand je lis un livre, j’apprends des choses, et je les note. Cela donne envie d’en savoir plus sur ce que tu lis. Et le deuxième donnera envie au lecteur d’en apprendre un peu plus. Il y a peut-être des choses qu’il saura déjà, mais elles lui donneront envie d’approfondir, de compléter. Il y aura un hommage dans le livre, deux histoires vont se suivre, en parallèle, qui n’ont a priori rien à voir. Et à la fin, j’essaie de faire un twist final. D’ailleurs, en parlant de twist final, ça a un rapport avec les films, le cinéma…

Donc normalement, en terme d’années, on ne va pas attendre sept ans.

Non, parce que j’ai déjà un pied dans le monde de la littérature, c’est plus facile. Dans mon contrat d’édition, il y a un droit de préférence. Cela veut dire que pour le deuxième livre, je dois d’abord le présenter à mon éditeur actuel en priorité. S’il refuse, je peux aller voir d’autres éditeurs.

Les blazes des mecs, c’est les vrais ?

Oui oui, le livre résulte vraiment d’un mélange de fiction et de réalité. Je me suis inspiré de personnages réels pour les intégrer dans l’histoire.

Donc tu utilises des personnages que tu n’as plus vu depuis longtemps.

Oui, depuis une vingtaine d’années pour certains. Par exemple Parigo, la première fois que je l’ai vu à La Défense, il m’avait impressionné (rires). Par son physique imposant, son gabarit, et puis son autorité. Quand j’ai écrit le livre, je n’ai pas directement pensé à lui. J’ai mes références cinématographiques et je voulais un personnage qui soit proche de celui du Caïd dans Daredevil. Crâne rasé, massif, smoking, cigare. Je me suis dit que Parigo pourrait habiter ce personnage-là (rires).

 

« Toute cette forme de combativité, de dépassement de soi, d’envie… C’est chez les Black Dragons que j’ai connu tout ça. Des fois, je dis à certaines personnes que c’était comme l’armée. C’était mon service militaire, en fait. Si je n’étais pas passé par là, je n’aurais jamais été écrivain »

 

Pour revenir au basket, c’est quelque chose que t’as laissé de côté ?

J’ai quand même continué jusqu’à mes 24, 25 ans. C’était une vraie passion. J’étais pas fort fort fort, mais je jouais avec passion. Et les mecs, mes cousins, Christophe et Wilfrid, ils ont vraiment existé et ils étaient vraiment bons. Ils faisaient des concours de smash et tout.

À un moment dans le livre, le personnage de Monsieur Tignon te dit de te fixer des objectifs pour réaliser tes rêves. En écrivant le livre, as-tu ressenti une forme d’accomplissement ?

Forcément. Quand tu regardes dans le rétro, tu vois ce que t’as traversé, les étapes et tout, tu te dis que tu es soulagé, que tu as quand même accompli quelque chose de formidable. Une fois que tu as écrit les 100 premières pages, tu te jures d’aller au bout. Mais pour arriver à ce bout, y a tellement d’étapes difficiles. Parce que le bout, ce n’est pas de terminer l’écriture, c’est de trouver un éditeur, d’être publié et faire tout ce qui va avec, comme la promo…

T’as aimé cet exercice ? Faire la promo, il y en a qui n’aiment pas trop.

C’est vrai que je me sens mieux devant mon ordinateur, à raconter des histoires. Mais cela fait partie du jeu. Si tu ne le fais pas, tu n’as pas de lecteurs, on ne te connaît pas. Tu ne peux pas y échapper.

On ressent pas mal d’émotions au moment des remerciements. Ces petits frissons qui accompagne la fin d’un livre, c’est aux remerciements que tu les ressens, que tu saisis vraiment la portée du livre.

Ouais, tout est remonté… Je voulais vraiment remercier tous ceux qui m’ont permis d’écrire le livre. Ma femme, mon éditeur, et bien sur les Black Dragons et les Black Dragons Juniors. Parce que si je n’avais pas eu à passer cette étape-là dans ma vie, si je n’avais pas connu ces gens-là, je ne serais pas devant vous aujourd’hui. C’est pour cela que j’ai tenu à souligner l’importance que les Black Dragons ont eu dans ma vie. Ce qui est vrai. Toute cette forme de combativité, de dépassement de soi, d’envie… C’est chez les Black Dragons que j’ai connu tout ça. Des fois, je dis à certaines personnes que c’était comme l’armée. C’était mon service militaire, en fait. Si je n’étais pas passé par là, je n’aurais jamais été écrivain. C’est sûr et certain. Cela a été l’élément déclencheur, l’étincelle dans ma vie. Parfois, ta vie se joue sur des rencontres. Peut-être que des gens vont juger le livre et dire : « Tu étais dans un gang, c’est pas bien… » Mais moi… Chacun a vécu l’aventure à sa manière, chacun des Black Dragons Juniors aura une approche différente, un ressenti différent. Mais pour la majorité d’entre nous, cela constitue une étape clé de notre vie. Cela a vraiment fait de nous des hommes, des vrais hommes. C’est grâce à ce que les Black Dragons nous ont transmis, inculqués, qu’on est devenu les personnes qu’on est aujourd’hui. Et sans ça, je pense que j’aurais été quelqu’un d’autre. Je ne sais pas qui, mais quelqu’un d’autre. Et aujourd’hui, je suis vraiment content d’être écrivain.

 

 

Quel était le dénominateur commun entre tous les Black Dragons ? Était-ce la précarité, l’ennui, qui faisait que vous aviez envie d’une forme d’élévation ? Qu’est-ce qui a fait que vous vous retrouviez tout le temps.

L’amitié avant tout. Le livre parle d’amitié, d’amour, d’éducation parentale, d’éducation scolaire. Nous, c’était vraiment l’amitié qui nous réunissait. Et comme je l’ai dit, cette envie d’aller vers l’avant. Nous étions tous ambitieux à notre manière. Quand tu es jeune, tu ne te donnes pas de barrières, pas de limites. Nous, on était des assoiffés, on avait envie d’être des grands hommes. C’était ça en fait. On voulait être aussi grand que nos aînés les Black Dragons. Après, on voyait ça avec nos yeux d’enfants, d’adolescents. Pour nous, c’était des grands hommes. Parce que tout le monde les connaissait, ils inspiraient une forme de respect. Nous, on voulait aller aussi loin qu’eux.