« ON VOULAIT ÊTRE AUSSI GRAND QUE NOS AÎNÉS LES BLACK DRAGONS »

Michaël Nerjat, écrivain, auteur du roman « Black Dragons Juniors », Part. I

Pour Michaël Nerjat, l’édition de ce premier roman répond à plusieurs motivations. Bien sûr, il y a l’envie de narrer sa vie de Black Dragons Juniors, nourri par sa passion pour l’écriture acquise à l’adolescence. Mais la principale obsession, celle qui l’a habité pendant les sept années passées à confectionner son oeuvre, c’était avant tout le besoin de s’accomplir. Un désir qui fait écho à la volonté de ses aînés. Plus que des chasseurs de skinheads, les Black Dragons ont surtout contribué à l’émancipation culturelle de toute une génération. C’est ce sur quoi l’auteur prend le temps de revenir dans la première partie de cet entretien, après avoir énuméré les différentes étapes de publication d’un livre. Autour d’un verre de rhum de la Martinique.

 

Michaël Nerjat : C’est la Cuvée de l’Océan, c’est un rhum des Trois-Rivières en Martinique. La plantation de cannes à sucre est au bord de mer. La terre absorbe toute l’iode de la mer et c’est ce qui lui donne un petit goût marin, salé. C’est original, moi j’aime bien.

Union Urbaine : Tu retournes parfois en Martinique ou en Guadeloupe ?

Je fais les deux, comme j’ai de la famille des deux bords, c’est une heure d’avion. J’en profite pour voir tout le monde quand je suis sur place.

Comment t’est venue l’idée d’écrire ce livre ? Était-ce une de tes ambitions d’être écrivain, ou du moins de publier régulièrement ?

Non franchement, j’ai un parcours que je qualifierais d’atypique. J’ai fait mes études, après l’obtention de mon BTS j’ai directement enchaîné dans la vie active. Je suis resté 15 ans dans le même groupe, j’ai évolué en interne et j’ai eu différentes responsabilités qui m’ont mené jusqu’au poste de manager. C’est un poste que j’ai occupé pendant cinq ans. Mais pendant toutes ces années j’avais envie d’écrire, sans avoir de sujet. Et un jour, j’étais sur Facebook et j’ai vu qu’il y avait un compte dédié aux Black Dragons Juniors. J’ai eu une révélation. Je me suis dit : « Bah tiens l’idée est là, j’ai pas besoin d’aller chercher plus loin, je vais écrire un truc qui concerne mon vécu ». Mon genre littéraire, c’est plus roman noir, thriller, policier. Je trouvais qu’il y avait tous les ingrédients pour un polar. Et puis en même temps, il y avait aussi cette envie de raconter l’histoire des Black Dragons, ce pourquoi ils avaient été créés, quels étaient leurs combats, leurs idéaux et toutes ces valeurs qu’ils ont transmises aux Black Dragons Juniors. C’était important pour moi de retranscrire toute cette histoire et de la partager avec les lecteurs. De manière aussi à ce qu’il y ait une trace, à ce que tout cela ne disparaisse pas aux oubliettes. Puis c’était une manière pour moi d’exercer ma plume.

 

« Ceux sont les Black Dragons qui m’ont fait découvrir pas mal d’activistes noirs comme Frantz Fanon, Martin Luther King, Malcom X, Patrice Lumumba »

 

Cette envie d’écrire, tu l’as toujours eu, même adolescent ?

Oui, depuis l’adolescence. En fait c’est chez les Black Dragons Juniors que j’ai acquis ce goût pour la lecture. Ce sont eux qui m’ont fait découvrir pas mal d’activistes noirs. Des gens comme Frantz Fanon, Martin Luther King, Malcom X, Patrice Lumumba, que j’admire beaucoup. Tous ces hommes qui ont œuvré pour la cause des noirs. Et moi quand je voyais leurs histoires, l’histoire de ces grands hommes, cela me fascinait. Après, les années passent, tu évolues vers autre chose, tu dévoies un peu tes objectifs à cause de la réalité de la vie. Il faut travailler, t’as une famille, etc. Puis voilà, pour faire le rapprochement avec ce que je disais par rapport à mon précédent emploi, il se trouvait que je tournais un peu en rond. Il y avait un plafond de verre que je ne pouvais pas briser. Je suis quelqu’un d’assez ambitieux et j’aime bien pouvoir évoluer. C’est aussi ce que nous ont inculqués les Black Dragons, toujours vouloir aller plus loin pour pouvoir s’affirmer dans cette société. Alors je me suis mis à l’écriture de ce livre. Au départ, c’était un pari. Je me suis dit : « Bon, je vais voir combien de pages je pourrais écrire sur les Black Dragons Juniors. » Puis au bout de deux mois, je me suis retrouvé avec 100 pages de rédigées sur mon manuscrit. J’ai montré à mon entourage ce que j’avais commencé à écrire, ils m’ont dit que c’était vraiment bien et m’ont encouragé à continuer, alors je me suis lancé.

T’as fait ça en marge de ton emploi ou t’as été obligé de le quitter ?

En marge de mon emploi, quand je rentrais le soir ou les weekends. Je devais trouver un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle.

 

« Il y avait Youssoupha que je voyais aussi. Il était encore apprenti sous l’égide de Diable Rouge »

 

La première fois que tu t’es mis à écrire quelque chose, c’était à l’occasion de ce livre ou tu t’étais déjà exercé au processus d’écriture sous différentes formes ?

Je m’étais déjà exercé. Ce que je mets dans le livre avec tous les rappeurs qui marchaient dans notre sillage, cela s’est vraiment passé comme ça. Il y avait Diable Rouge, le rappeur de Cergy, qui était là, Philo, Ménage à Trois, il y avait Youssoupha que je voyais aussi. Il était encore apprenti sous l’égide de Diable Rouge. Il y avait Daddy Lord C de La Cliqua. J’ai vu des tas et des tas de rappeurs qui m’ont donné envie d’écrire. Chanter par contre, c’était pas mon truc, j’étais nul. Mais j’aimais bien écrire des textes de rap. C’était à l’époque où le rap français était en plein boom, en plein essor.

Et concernant les maisons d’éditions, comment la relation s’est faite ? C’était une galère ?

Je m’attendais à ce que ce soit une galère parce que, avant de démarcher les maisons d’éditions, je m’étais un peu renseigné sur internet. C’est vraiment décourageant. On te dit que pour mille manuscrits, il y en a six qui sont publiés. Cela te refroidit un peu, mais je croyais au potentiel de mon récit. Je ne me suis pas découragé, j’ai fait des copies que j’ai envoyées à plusieurs éditeurs. Et trois mois après, Présence Africaine m’a répondu favorablement. Ils étaient prêts à m’accompagner jusqu’à l’édition.

 

 

« J’ai mis plus de temps à corriger le livre qu’à l’écrire »

 

T’avais déjà un contact à Présence Africaine ?

Ah non, rien. Ce qu’il me fallait faire, c’était trouver des éditeurs dont la ligne éditoriale était dans le même sillon que le genre du livre. Par exemple, si tu écris un livre de science-fiction, tu ne vas pas envoyer ton manuscrit à un éditeur qui n’édite que des poèmes. Donc il y avait ce premier écrémage à faire. Présence Africaine a été le premier à répondre favorablement. Six mois après, un autre éditeur m’a contacté pour me demander si j’étais toujours en recherche. J’avais déjà topé avec Présence Africaine donc je suis resté avec eux, je ne regrette pas ce choix.

Qu’est-ce que t’apporte la maison d’édition une fois que t’as fini le manuscrit ? Ils retouchent, il y a une relecture ?

Il y a un comité de lecture dans chaque maison d’édition, et mon manuscrit est arrivé dans les mains de monsieur Alain Anselin, qui est directeur de collection. C’est avec lui que j’étais en contact pour faire une première
correction sur le livre. Donc il me donnait des conseils et des techniques d’écriture pour donner plus de dynamisme au texte. Il m’a filé pas mal de tuyaux. Le paradoxe, c’est que j’ai mis plus de temps à corriger le livre qu’à l’écrire. L’écriture, cela m’a pris un an et demi, deux ans à tout casser. La correction, elle m’a pris presque cinq années.

T’as commencé le livre il y a 7 ans donc !

Oui. Après, bon, c’est entrecoupé, ce n’est pas en continu. Ce qui m’a permis aussi de bonifier le manuscrit, parce qu’il y avait de nouvelles idées qui me revenaient. Je pouvais donner un nouveau coup de fouet au manuscrit, j’ai vraiment eu le temps qu’il me fallait.

La forme finale, c’est celle qui te convient le mieux ?

Oui, je n’ai aucun regret, j’ai mis tout ce que je voulais mettre. Le livre a eu un bon accueil, j’ai pas eu les chiffres encore, mais je sais que la critique est favorable. J’ai fait quand même la deuxième émission littéraire la plus regardé de France après La Grande Librairie, Page 19 de Daniel Picouly. Pour moi, c’était un honneur. Je ne dirais pas un aboutissement, mais c’est quand même une belle forme de reconnaissance de la part du milieu.

 

« Les Black Dragons ne souhaitaient pas seulement qu’on réussisse dans le sport ou la musique. Pour eux, on pouvait faire plus que ça, jusqu’à s’affirmer dans les milieux intellectuels »

 

À un moment dans le livre, tu dis : « Il n’était pas question de former des recrues sans apprentissage culturel. » Comment ça se manifestait, c’était des cours un peu théoriques avec les anciens qui donnaient des éléments ?

Le truc, c’est que quand je suis entré chez les Black Dragons Juniors, je ne connaissais pas le sens du mot « Juniors ». C’est une fois dans la bande que j’ai compris qu’on était la relève des Black Dragons. Et lorsque j’ai rencontré nos aînés, c’est là qu’ils m’ont raconté leur histoire. C’était avant tout une bande, c’est bien après que c’est devenu un gang. Un crew, une organisation qui avait été créée pour combattre le racisme, les skinheads, etc. Et il y en avait pas mal d’entre eux qui se baladaient avec des bouquins, des livres dans les poches de leurs jeans. Et ils me disaient : « Ça c’est Frantz Fanon, Walter Rodney ». Ce qu’ils ont fait eux, c’était dans la continuité du combat pour défendre la cause des noirs, et les injustices aussi. Tout ce qui concerne l’oppression, les violences policières, etc. Ce sont ces gens qui les ont inspirés, ainsi que le combat des noirs américains pour le civisme. De fil en aiguille, j’ai cherché, Black Panther Party, tout ça. Il n’y avait pas tous les moyens de communication qu’il y a maintenant donc le seul moyen de se cultiver et de s’éduquer c’était d’aller dans une bibliothèque et prendre un livre.

J’ai commencé à lire un bouquin, Peau Noire, Masques Blancs, de Frantz Fanon. J’ai pris une claque, et j’ai continué. En grandissant, j’ai un peu mis ça de côté pour me consacrer à ma vie de famille, mais quelques années plus tard, le naturel est revenu au galop. J’ai eu envie d’élever ma voix, de montrer que j’avais élevé ma conscience et de devenir écrivain. Pour pouvoir m’affirmer dans un domaine. Parce qu’en fait, c’est ce que voulaient les Black Dragons. Ils voulaient semer dans la jeune génération cet esprit de développement pour s’affirmer dans la société. Beaucoup de Black Dragons Juniors ont réussi leurs vies. Les Black Dragons ne souhaitaient pas seulement qu’on réussisse dans le sport ou la musique. Pour eux, on pouvait faire plus que ça, jusqu’à s’affirmer dans les milieux intellectuels. Je dirai que je suis le fruit de leur création.

 

 

« Ce livre, c’est un hommage à mon île d’origine, la Guadeloupe »

 

Dans le bouquin, on sent le besoin de mettre sur papier tous ces souvenirs qui t’ont fasciné pendant ta jeunesse. Il y a les rappeurs que tu cites, mais tu parles aussi des Nike Air Max, tu reviens souvent sur ces accroches.

Oui, il y a pas mal de références à ce que je vais appeler la Pop Culture. Le livre n’est pas centré uniquement sur les gangs. Il y a tout un patchwork de références à la musique, la littérature, le cinéma, la politique. C’est aussi une invitation au voyage. Ce livre, c’est un hommage à mon île d’origine, la Guadeloupe. C’est vraiment la clé de voûte du livre. J’ai mis en exergue la langue créole, donc c’est aussi un livre culturel, un livre antillais, bien plus qu’un livre de gang.

D’ailleurs, on ne s’y attend pas forcément. Quand tu commences le livre, tu te dis qu’il va s’articuler autour des Black Dragons. Mais au final, tu te rends compte que c’est une toile de fond. La manière dont tu parles de la Guadeloupe, les modes de vie, on ne s’y attend pas forcément.

Je vais faire une confidence. Les deux chapitres sur la Guadeloupe, je les ai vraiment écrits d’un jet. C’est sur ces deux chapitres-là que j’ai eu le moins de correction à faire. J’ai trouvé l’inspiration, c’était fluide. J’étais vraiment imprégné des lieux, j’ai vraiment la Guadeloupe chevillée au corps. La Martinique aussi, mais j’aurai l’occasion d’en parler dans un autre roman.

 

« Les Black Dragons vivaient dans une époque propre à leur génération, propre aux problèmes qu’ils avaient à cette époque-là »

 

On partait avec l’idée que les Black Dragons Juniors avaient vraiment une empreinte idéologique forte, au même titre que leurs aînés. Mais à la lecture de ton livre et de discussions avec Frank Yoro, j’ai l’impression qu’il y a un basculement qui s’est opéré avec le début du néolibéralisme, la consommation, etc. Quel est ton avis là-dessus ?

C’est vrai que quelques années après, cette idéologie qu’ils nous avaient transmis s’est délitée. À une certaine période, on s’est vraiment retrouvé livré à nous-même. Des messages qu’ils nous avaient transmis, on a tout oublié pour basculer dans une guerre des gangs. Les Black Dragons vivaient dans une époque propre à leur génération, propre aux problèmes qu’ils avaient à cette époque-là. Arrivé à un certain moment, il y a eu un décalage, un fossé entre les générations. Et si tu regardes bien, les jeunes de maintenant ont d’autres problématiques que ceux d’il y a 10 ans, 20 ans. Nous, on a été confronté aux problèmes de notre époque, qui étaient différents. Déjà, il n’y avait plus de Skinheads dans les rues de Paris, donc on s’est adapté à notre environnement. Et c’est pour ça que notre préoccupation, c’était d’être toujours bien habillé, bien chaussé, de faire la fête, de s’amuser, de serrer des nanas. On vivait vraiment dans l’opulence. Et notre préoccupation première, c’était aussi de se faire respecter, ne pas se laisser marcher sur les pieds. On avait quand même un entraînement très poussé dispensé par les Black Dragons. On voulait en découdre avec les bandes rivales, avec ceux qui nous manquaient de respect. Le quotidien était rythmé de bagarre. C’était une vie de bohème. Mais j’insiste sur ce point, on était confronté aux problèmes de notre génération. Le combat contre les skinheads, les racistes, c’était plus le
notre. On était dans notre environnement, notre époque, notre temps.

 

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