« ON VOULAIT DEVENIR UNE STRUCTURE QUI PERMETTE D’ENREGISTRER ET DE PRODUIRE DES MORCEAUX, DE FAIRE DU SON »

Franck Yoro, membre de l’association Longueur d’ondes, Part. I

Dans le local de Longueur d’ondes situé cours Gambetta, les écharpes du Paris Saint-Germain parlent d’elles-mêmes. Même s’il habite ici depuis plusieurs années, Franck Yoro vient de Paname, Sartrouville précisément. Ce qui ne l’a pas empêché de devenir partie intégrante de la scène hip hop montpelliéraine, par le biais de son association, créée il y a bientôt six ans. Avec l’aide du graffeur Honk et de Gary, ingénieur du son que le Francilien a rencontré lorsqu’il sortait encore des projets musicaux. Une époque révolue pour celui qui se consacre désormais pleinement à son rôle d’entrepreneur culturel. Avant de causer avec lui de son passé parisien de Black Dragon, l’équipe d’Union Urbaine s’est d’abord intéressée, dans cette première partie, aux actions de son asso Longueur d’ondes, qui a récemment organisé la deuxième édition des Rap Contenders Sud. Et à son passé de rappeur et de footballeur.

 

Union Urbaine : Ça fait combien de temps que l’association Longueur d’ondes existe ?

Franck Yoro : On a créé l’asso exactement en décembre 2010. Fin décembre 2010. On a déposé les dossiers et puis on a eu la réponse début 2011.

Vous faisiez déjà des trucs à Montpellier ? Je veux dire, Longueur d’ondes existait déjà ?

Non en fait, c’est parti d’une idée commune. On était trois. Moi au début, je faisais une carrière solo dans le rap. Après le premier projet, j’ai vu que tout ça c’était du taff, la promotion, les concerts… En plus les concerts, j’étais vraiment pas à l’aise (rires). À l’époque, on avait un groupe, RSS, on était trois. Moi, Maadou qui fait les RC maintenant (Rap Contenders) et un autre pote à nous qui est retourné sur Paris.

Vous étiez les trois à Montpellier ?

Ouais, on était les trois à Montpellier. Trois gars de Paname. Déjà à trois, y’a plus de confiance. L’autre il te back, l’autre il fait ça, il va rattraper ton texte parce qu’il le connaît par cœur, alors que quand t’es en solo… en fait en solo, c’est bizarre. J’ai fait plus de trucs qu’en groupe. Le temps de prendre des décision à plusieurs, les années elles passent. On écrivait beaucoup, y’avait de l’émulation mais concrètement, on n’avançait pas. Par contre, tu prends de l’expérience, ça on peut pas le nier. C’est grâce à ça que j’ai pu après faire des trucs en solo.

 

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L’expérience du milieu musical ?

Ouais en général, quoi. Parmi nous, y’en avait un qui était autodidacte, qui faisait vraiment tout tout seul. Les instrus, les enregistrements, le mix, s’il fallait filmer c’était lui… Quand t’as un gars comme ça à côté de toi, tu prends de l’expérience d’un coup. Il a pas fait de formations, il a tout appris sur le tas, en lisant. Bon, faut avoir le temps mais c’était une autre époque, on va dire. On vivait, tu vois (rires). Y’avait pas encore les enfants…

C’était y’a combien de temps ?

Vers 2003, à partir de 2003, quelque chose comme ça. Faut pouvoir le faire, faut avoir le temps. Aujourd’hui, j’pourrais pas. Tout ça pour dire que des gars autour de toi comme ça, ils te donnent de la motivation pour faire d’autres trucs, pour avancer.

Pour Longueur d’ondes, vous avez directement pensé au statut d’association ?

En fait, ça s’est fait étape par étape. J’ai rencontré Gary. Il travaillait avec les groupes qu’on connaissait, qui nous mixaient tels sons. On a su après qu’il était ingénieur du son, que c’était son travail, son domaine. On était resté en contact après mon projet. Le premier projet que j’ai fait en solo, c’est lui qui l’a mixé de A à Z. Il m’a appris des trucs, moi aussi avec mon collègue, j’avais déjà enregistré des gens, j’avais déjà un peu coupé les pistes. On va dire que j’ai épuré le truc, et lui il l’a terminé. Il a fait le vrai taff que seul ceux qui contrôlent savent et peuvent faire. Après, en parallèle, j’ai rencontré Honk. On était trois. Lui, moi et Gary.

 

« Avant, y’avait que dans les soirées rap que tu pouvais faire des rencontres »

 

Au départ, l’association Longueur d’ondes, vous souhaitiez en faire quoi ?

Vu qu’à Montpellier, tout n’était encore pas très bien développé, on voulait devenir une structure qui permette d’enregistrer et de produire des morceaux, de faire du son.

En quelle année ?

Déjà en 2007, j’ai enregistré mon premier projet. Le temps de la promo, on est déjà en 2008. On a commencé à y penser vers 2009. Mais tout ce qui a été fait avant a, quoi qu’il en soit, contribué à faire naître l’association. Le fait de rapper, cela m’a permis de rencontrer des gens, tout ça, mais à un moment donné, ça m’a saoulé. Les mecs viennent te voir, te demandent quand c’est que y’aura d’autres projets. Toi tu finis par te demander ce que tu peux rapper d’autre. Moi j’ai une vie en dehors du rap, d’autres expériences qui me permettent de ne pas mythonner ou raconter des faux trucs juste pour écrire ou juste pour la rime. Faut que y’ait un sens, faut que y’ait un minimum de vécu.

Et t’es beaucoup sollicité dès que tu sors un projet…

Ouais voilà, y’a ceux qui te connaissent qui font aussi de la musique et y’a ceux qui ont entendu parler de toi. On n’était pas tant que ça à faire du rap ou à tourner un peu, quand je dis tourner un peu… Aujourd’hui, ça a rien à voir ! Là tu bouges à gauche, à droite, partout, on voit tes sons. Si j’avais rappé à l’époque d’aujourd’hui, ce serait un peu plus facile. Maintenant, le contact, il se fait plus facilement. Avant, y’avait que dans les soirées rap que tu pouvais faire des rencontres. Donc voilà, on va dire que quand j’ai arrêté le rap, en 2009, j’ai commencé à avoir envie d’essayer de monter une structure qui puisse travailler dans le milieu du rap. Le hip hop, pour moi, c’est une histoire d’amour tu vois, moi j’ai toujours été rap rap depuis… on était petit dans le quartier on écoutait de la funk, du reggae, mais dès qu’on a commencé à écouter l’rap, voilà, dès qu’il est arrivé… on a eu la chance de pouvoir écouter du rap où on dansait du rap dessus, tu vois ? Tu pouvais pas danser des pas de funk ou quoi, tu pouvais pas le faire. Après, ça a progressé, ça a évolué musicalement mais avant, le rap, y’avait qu’une manière de l’écouter. On a eu la chance de connaître cette époque, franchement. Et une fois que j’ai arrêté le rap, je voulais trouver un moyen de continuer autrement. Je voulais monter un truc qui nous réunisse, qu’on soit là, qu’on kick ensemble, qu’on se fasse écouter, se faire notre propre truc… mais pour ça faut être bien entouré. Tout le côté administratif, j’y connais que dalle ! Grâce à Dieu, j’ai su bien m’entourer par rapport à ça.

 

« On a eu la chance de pouvoir écouter du rap où on dansait du rap dessus, tu vois ? Tu pouvais pas danser des pas de funk ou quoi, tu pouvais pas le faire »

 

Justement, pour monter le dossier pour le statut d’association, vous vous y êtes pris comment ?

Gary, l’ingénieur du son, il est super fort administrativement. Il avait déjà monté des assos, il connaissait par cœur tout ça. Honk connaissait un peu aussi, mais lui il nous a permis d’avancer sur les logos, le graff. Pour ça, il a une longueur d’avance. Tu lui donnes une idée, il va te faire le truc tout de suite.

Le logo de Longueur d’ondes, c’est lui ?

Ah totalement, c’est lui totalement ouais. Tout ce qui est équipe, faut d’abord que ce soit relationnel. Au travail, t’es obligé, t’as un patron mais sinon, c’est dur de travailler avec des gens que t’estimes pas. Si c’est que professionnel, c’est encore autre chose.

On a vu que vous travailliez pas mal en collaboration avec les associations locales, Studio411 par exemple.

Ouais. Studio411, on les avait rencontrés sur un clip, pour un projet par l’intermédiaire de LaCraps. Il était avec eux et il nous a dit qu’ils pouvaient faire mieux que ce qu’on avait là (rires).

 

« LaCraps, c’est celui qui m’étonne le plus, que j’ai vu progresser le plus »

 

Et depuis, vous continuez de collaborer ensemble ?

Après, eux ils se sont séparés. Y’a une partie, tout ce qui est enregistrement, c’est devenu LaClassic. Ils se sont pas trop entendus et du coup ils travaillent plus ensemble. En fait, Ali (LaCraps) montait les vidéos et l’autre, c’est Seb de 411, lui il filmait. Pendant les clips qu’on faisait, les deux étaient là. L’un donnait les directives et l’autre faisait le montage vidéo. Aujourd’hui, il fait plus ça, il rap seulement. Nous on l’a connu comme ça, on savait même pas qu’il rappait à l’époque. Lui, il est super déterminé. D’ailleurs, je lui tire un gros big up parce que, putain.

C’est quoi ton avis sur toutes ces structures hip hop qui existent à Montpellier ? Ça s’organise quand même.

C’est super actif, franchement. Après, comparé à d’autres villes, c’est… Bon Paris, c’est une putain de superficie, certains secteurs on dirait que c’est la ville d’ici. Tout pousse comme des champignons là-bas. À partir du moment où y’a un talent, il est exposé x1000, x10 000 là-bas tu vois, alors qu’ici il va être x10. C’est dur d’exister dans ce milieu du rap. Mais j’trouve que Montpellier, ça progresse beaucoup. Quand je suis venu ici… les gens sont beaucoup plus forts que ce que j’entendais ou ce que je voyais à l’époque.

 

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Comme qui ? Les mecs de Rap Contenders par exemple ?

Après, Rap Contenders, pour moi c’est nouveau. Je les connais plus en tant que clasheur qu’en tant que rappeur. Mais à l’avenir, j’aimerais bien faire un projet sonore de Rap Contenders, voir les gens qui clashent, puis écouter leur son tu vois… Mais sinon, en terme de rap, à part Demi Portion, bon qui est à Sète mais c’est la région, c’est LaCraps. C’est celui qui m’étonne le plus, que j’ai vu progresser le plus. Au début, j’écoutais ce qu’il faisait, bon ça allait, mais le frangin il a progressé de ouf. Y’a Melis, qui est dans LaClassic aussi, que j’aime bien. Après, moi j’organise des concerts. Y’a des gars sur scène, ils sont meilleurs que quand je les écoute ou sur clip, c’est bizarre.

 

 

« Maintenant, les rappeurs font beaucoup plus de scènes qu’avant, c’est ça qui les paye »

 

Tu préfères écouter un rappeur sur scène ou un bon CD ? Et d’ailleurs, les concerts, c’est quelque chose que vous avez voulu organiser direct ?

J’sais pas, ça dépend. J’sais pas comment te dire ça. Sur Paris, jeune, j’allais à beaucoup de concerts. Y’avait un Black Dragon qui s’appelait Daddy Lord C de La Cliqua. Il nous invitait sur chaque truc qu’il faisait sur Paris à l’époque de La Cliqua, quand ça tournait. C’était l’occasion de découvrir aussi plusieurs artistes, y’avait d’autres mecs, c’était un concert quoi. J’avais déjà vu beaucoup de gens à l’époque. Et puis quand j’ai voulu en organiser avec l’association, c’était vraiment pour le kiff, pas pour l’argent ou quoi, comme on peut le faire stratégiquement maintenant. Au début, c’était vraiment un moyen de voir ceux qu’on aimait. On faisait venir untel, untel, ceux qu’on avait envie de voir sur scène, ceux avec qui on avait envie de parler. C’était comme réaliser un rêve de gosse.

Toi, en tant que rappeur, tu préférais la scène ?

Moi par contre, non. J’ai fait quelques scènes, Victoire 2, Rockstore, Antirouille. Je me glissais dans des trucs, dans des soirées. Mais par contre, j’avais une putain de trouille ! C’était à l’époque aussi où on contrôlait mal le mélange bédo/tise, on savait pas que ça pouvait faire des trous noirs (rires) ! Tu transpirais, t’étais nerveux pour rien. Y’a des fois où j’ai beugué de ouf, je m’en souviens encore maintenant. C’était pas structuré comme maintenant où tout le monde répète ensemble. C’était n’importe quoi des fois. Y’avait de l’adrénaline, mais j’arrivais pas à la canaliser. Alors que je jouais au foot, souvent devant du monde et tout. Mais la scène et rapper, c’est pas pareil. Pour un clip, je suis remonté exprès sur Paris pour rapper devant mes potos, c’est pareil. Ils sont venus, ils ont joué le jeu, mais pour moi c’était pas facile. Faut faire du A Capella et tout. Mais maintenant, quoi qu’il en soit, les rapeurs font beaucoup plus de scènes qu’avant, c’est ça qui les paye.

 

« On est là pour prendre du plaisir, et le jour où on pourra se permettre d’évoluer socialement, on se loupera pas »

 

T’as fait du foot ?

Ouais, j’en fais toujours. Dans une équipe de football à sept. On a un championnat qui s’appelle FMFA7. On joue sur une moitié de terrain, sept contre sept, y’a pas d’hors-jeu… y’a au moins six poules d’une vingtaine d’équipes. Pas d’hors-jeu, la passe en retrait au gardien est autorisée, et pas de tacles. Ce sont les deux capitaines qui arbitrent aussi le match. Après, t’as tout le protocole d’après-match, l’apéro, avec des règles à respecter si tu veux pas qu’on t’enlève des points. Mais c’est la Champion’s League ! Ça joue pour gagner mon frère.

Tu joues exclusivement contre des équipes de Montpellier ?

Ouais, nous on appartient à la Fédération de Montpellier. Y’a un site internet, une coupe…

Tu joues quel poste ?

Je joue défenseur central. Le football, c’est une passion depuis tout petit. J’ai arrêté plusieurs fois à cause des aléas de la vie, puis y’a aussi eu les blessures. Et là aujourd’hui, j’suis revenu. Depuis que j’ai arrêté le rap en fait. Avant j’avais pas trop le temps.

En jeunes, tu jouais sur Paris ?

Ouais, le foot c’est vraiment le sport numéro un là-bas. Moi j’habitais à Sartrouville, j’ai toujours joué dans le club de ma ville. Au début, je jouais attaquant. Toujours dans l’axe, j’aime bien. Depuis que j’suis là, je suis derrière, mais j’aime bien. Tu vois le jeu, tu dois anticiper les mouvements des attaquants adverses, ça devient un jeu.

Et sinon, tu comptes sortir un nouveau projet un jour ?

Non, trop de taff. Et puis qu’est-ce que je vais raconter. Puis y’a le syndrome de la page blanche… des fois j’ai des idées, puis je me dis non. J’écris plus du tout du tout. Par contre, je pourrais écrire pour quelqu’un. Si un jour, je dois m’y remettre, la fibre elle est toujours là.

On peut te qualifier d’entrepreneur culturel…

On a crée notre propre taff, c’est le but. On est là pour prendre du plaisir, mais le jour où on pourra se permettre d’évoluer socialement, on se loupera pas.

C’est quoi les freins auxquels peuvent-être confrontés une association comme la tienne ?

Déjà, on a toujours tout fait nous-mêmes. Et puis quand t’organises un événement, t’es jamais sûr de ce que ça peut faire, du résultat. T’as beau ramener la meilleure star du monde, tu peux pas faire de prévisions. Si y’a une occasion à saisir, on fera tout pour la saisir, normal, comme tout le monde. Ce qu’on pourrait faire, c’est aussi s’associer avec quelqu’un d’autre. On est capable, on l’a déjà fait lors de plus gros projets. Mais on aimerait tout gérer, être le point de départ du truc. Pour ça, tu peux faire des demandes de subventions. Nous, on l’a jamais fait. Il faudra bien un jour tôt ou tard. On le refuse pas, c’est juste que pour l’instant, on est bien comme ça. Mais le jour où il faudra passer à l’étape supérieure…

 

« Mon projet final, ce serait de devenir une société »

 

Dans le domaine du rap, les associations comme la tienne, parfois ne font pas ces démarches. Alors que dans d’autres associations, c’est primordial. Comment tu expliques ça ?

Ça va aussi avec ta manière de fonctionner. Ici à Montpellier, y’a des associations comme Uni’sons, Attitude, qui graillent de ouf les subventions culturelles. Ils ont peut-être 80% du truc et il reste 20% à distribuer pour le reste. C’est peut-être moins, c’est peut-être plus, j’en sais rien. Après, il font des gros trucs, des battles… Après, je sais pas. Moi perso, j’aime pas devoir des comptes. Avec le temps, ça changera peut-être, mais là j’suis dans un état d’esprit où j’aime bien faire tout tout seul.

Est-ce que tu penses pas aussi que rentrer dans ces démarches, c’est perdre un peu de son indépendance ?

Oui et non. Oui parce que faut tout leur dire, point par point, dépense par dépense. Mais après, si t’es entouré de gens qui peuvent te monter un dossier de ouf, pourquoi pas. Nous, on a pensé à créer une nouvelle association, arrêter Longueur d’ondes. On y a déjà pensé. Ça a été d’actualité, ça l’est plus, ça le sera encore. C’est surtout quand on est en galère qu’on pense à ça. Quoi qu’il arrive, faudra essayer de mieux exister. Moi, mon projet final ce serait de devenir une société, pour que je puisse vivre vraiment de ma passion. Mais c’est pas facile. On s’associe parfois avec les maisons culturelles. L’important dans ce monde, c’est les relations, c’est le relationnel. Petit à petit, on commence à connaître un peu. On est dans un cercle de mecs fidèles, on sait sur qui on peut compter. Quand on organisait des soirées à la Villa Rouge, c’était avec tels gars…Tu vois quoi.

Vous avez collaboré avec quelles salles sur Montpellier ? Là tu viens de dire la Villa Rouge…

En fait à Montpellier on a tout fait, on a fait toutes les salles. On a eu cette chance-là. De connaître un peu les différentes ambiances.

 

 

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