« LE GRAFF, ÇA RESTE UNE EXPRESSION, UN CRI DU PEUPLE »

Honk, artiste, Part. I

C’est dans son domicile/atelier, autour d’une bouteille de jus d’orange et de quatre cigarettes, qu’Union Urbaine est allé à la rencontre de Nico aka Honk, un des graffeurs historiques de la ville de Montpellier. Retour sur le parcours d’un artiste pour le moins briseur de frontières et de stéréotypes.

 

Union Urbaine : Toi en fait, t’es de Montpellier ?

Honk : Ouais, je suis né à Montpellier, en 1980. Toute ma famille est de Paris, banlieusarde de Paris, à Villeneuve-Saint-Georges dans le 94. Mon père, il était Lyonnais.

 

« Mon premier marqueur, c’est un ancien qui me l’a donné »

 

Et t’es rentré à quel âge dans le graff ?

Bon, je grattais déjà des lettrages, tu vois à l’époque quand t’étais gamin tu commençais par le petit truc là, le bubble. Des plus grands ont vu que je faisais pas mal mes trucs, je commençais à tagger et puis un jour il y en a un qui m’a dit « Ouais toi tu graffes bien, tiens j’te donne un marqueur. » C’est parti de là, c’est un ancien qui m’a donné un marqueur. On appelait ça des torches, avec des encres vachement fortes. Donc elles sentaient vachement. Moi j’étais en 6e et lui c’était un CPPM ou j’sais pas quoi. Il m’avait repéré dans l’équipe (rires). Un jour ma mère est arrivée : « C’est quoi cette odeur ? » Elle m’a grillé direct, fallait que j’aille le rendre. Mais je ne voulais pas le rendre sans en avoir profité. Le lendemain je suis allé le rendre, et c’est sur le trajet que j’ai fait mon premier tag vandale. Sinon les grands, ils se seraient foutus de ma gueule. Je pouvais pas le rendre si j’avais pas taggé.

 

Honk
 

Tu parles de graff vandale, mais pour toi c’est quoi le graffiti ?

Je rejoindrai tous les gens qui disent que dans le graffiti, il y a ce côté illégal. Après, peu importe que ce soit un tag, un graff, que ça soit fait à la peinture, que ce soit un pochoir même tu vois, ça reste une expression. Une expression du peuple. Moi c’est plus ce truc là que je veux retenir. Même un cri du peuple tu vois.

 

« Le graffiti ne s’apparente pas qu’au hip hop, mais c’est celui que j’aime »

 

Mêmes les collages et tout ça ?

Ouais pourquoi pas, après maintenant, ils appellent ça du street art. Mais le graffiti, ça l’est pour moi aussi, c’était vraiment le hip hop tu vois. Ça allait avec la culture hip hop, en tout cas, il y a tout un style, le wildstyle qui me correspond mieux. Après c’est vrai que tu vas trouver des rockeurs qui font du graff. Il y en a, ils écoutent de la techno, donc ça va se ressentir dans leurs styles. Après il y a de la place pour eux aussi. Le graffiti c’est pas que hip hop, mais c’est en tout cas celui que j’aime. J’entends du bon son, qu’il y a des scratchs, qu’il y a un B.boy qui fait du smurf, et un graff wildstyle, là je kiffe à fond. Mais après oui, ça m’est arrivé de graffer alors qu’il y avait du reggae, dans des soirées. Ou même de la techno. Mais c’est vrai que je suis moins en osmose.

 

« C’est arrivé avec Public Enemy, et puis avec NTM et l’album Authentik »

 

À Montpellier c’est les mecs de ta génération qui ont fait émerger le graff ?

Non, c’est la génération au dessus. C’est arrivé avec Public Enemy. Donc on écoutait Public Enemy, on écoutait Run-DMC. Tous ces gars-là, et puis NTM avec l’album Authentik. On écoutait déjà Rapattitude. Et puis il y avait l’émission à la télé, H.I.P H.O.P. Et puis toute cette culture là aussi, la culture du vinyle soul, les samples tout ça, c’est des trucs que j’adore. C’est vers 14 ans que j’ai commencé à m’intéresser à ça aussi. Et il y avait aussi le magazine 1tox. Je crois que c’est les mecs qui ont fait Paris Tonkar. C’est des livres qui nous ont vachement inspirés. C’était très parisien, et au final c’est les Parisiens qui ont ramené l’histoire ici.

Tu penses quoi des zones offertes par les villes destinées au graff ?

C’est bien qu’ils le fassent, c’est nos impôts hein. Moi personnellement je partais d’un principe, je ne graffais jamais sur un truc religieux, tout ce qui est historique, vieille pierre, ancien, c’est impossible ! Tu peux pas tagger dessus ! Maintenant il y en a qui le font, c’est leur problème. Moi ça m’a jamais intéressé. Les endroits où je tague, c’est plus des endroits crapuleux, sale. Je suis pas du genre à vandaliser des magasins bourgeois. J’vois pas l’intérêt. Et je préfère mettre ma marque où on est nous, notre terrain, plutôt que d’aller tagger sur les institutions. Ou même tagger sur un fourgon de flic, je préfère être plus malin que ça.

 

« Je préfère mettre ma marque où on est nous, notre terrain, plutôt que d’aller tagger sur les institutions »

 

Plutôt imprégner les endroits où tu traînes ?

Exactement. Ou alors arriver dans ces endroits-là, mais par la grande porte. Si tu graffes sur Dior, c’est que t’as un problème avec Dior. Moi, c’est pas cette image que j’ai envie de laisser. Je t’aurais pas dit ça il y a 10 ans, mais maintenant j’ai évolué. Et puis, j’ai fait des enseignes de magasins, ils étaient dégoûtés de devoir nettoyer à chaque fois. Alors qu’au final c’est aussi des mecs de la rue. Ils galèrent aussi. J’ai compris qu’il y avait un respect à avoir, tu peux pas tagger partout… J’ai fait des descentes de graff, où on partait à dix avec nos bombes, on défonçait tout sur notre passage, et les gens pouvaient rien dire. On graffait même devant eux, on les narguait. Personne ne pouvait rien dire, personne bougeait. Jusqu’à ce que la BAC arrive. Bon maintenant ça m’arrivera plus.

 

« J’ai pas envie de pourrir la vue des gens, on voit déjà assez de publicités partout »

 

T’es arrivé à maturité aussi…

Oui, puis le respect, forcément. Même, j’ai pas envie de pourrir la vue des gens, on voit assez de publicités partout, je vais pas venir et mettre moi aussi mon grain de sable n’importe où. Je préfère faire de belles fresques, là t’as un impact.

Maintenant tu recherches le beau, l’esthétique ?

Voilà, je suis plus artistique on dira maintenant. Mais attention le graff c’est une calligraphie, j’adore tagger, si j’ai un marqueur et que je traîne dans la rue ça peut m’arriver de faire un graff, mais je vais pas le faire n’ importe où.

 

« Il y en a qui te diront  : «  T’es un vrai graffeur, vole tes bombes. » Mais tu vois, je trouve ça bête et méchant. Les gens qui disent ça pour moi, ils voient pas plus loin que le bout de leur art. C’est peut être parce qu’ils ne savent pas faire mieux aussi… »

 

Oui puis il y a eu le temps ou ça commençait à tagger sur les poubelles…

Les poubelles Nicollin, je vois pas le mal qu’il y a à tagger dessus. Loko par exemple, il le fait très bien, c’est son support. Là tu déranges personne. Mais c’est vrai que le tag maintenant, j’ai du mal, je préfère même le faire sur une feuille, que ça devienne limite un tableau. Même dans le tag j’arrive à y voir de l’artistique. Maintenant quand je fais un graff c’est pour le prendre en photo et ça va contribuer à mon book, et faire un chrome. C’est joli un chrome, mais quand tu fais un truc en vandale t’as pas assez de temps pour le rendre vraiment stylé.

C’est ce que tu recherches en fait ?

Oui. L’adrénaline, c’est bon, j’ai assez donné.

 

« Certains pourraient dire que je ne suis plus un graffeur, que je suis un artiste peintre »

 

Tout à l’heure tu nous a dit qu’il y avait un coté illégal dans le graff…

Voilà, limite il y a peut être même des gens qui pourraient dire que je suis plus un graffeur, j’suis artiste peintre. S’ils veulent, ça me dérange pas. Il y en a qui ont vraiment cette logique, qui sont vachement fermés, qui te diront : « T’es un vrai graffeur, fais des trains, vole tes bombes. » Mais tu vois, je trouve ça bête et méchant. Les gens qui disent ça pour moi, ils voient pas plus loin que le bout de leur art. C’est peut être parce qu’ils ne savent pas faire mieux aussi…

 

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Mais tu l’as pensé ça toi aussi, étant jeune ?

Non, je l’ai jamais trop pensé, j’ai toujours eu du respect pour tout le monde. Pour moi-même un gars qui est peintre abstrait, j’ai toujours considéré qu’il faisait partie de notre famille. Même si c’est une branche différente. Comme un musicien, il y a un jazzman, un rockeur, mais c’est la même famille. Ils peuvent s’entendre aussi.

 

« Moi je faisais partie de la génération ou on était vus comme des zoulous, on arrivait avec nos bombes, nos jeans super larges, ils nous regardaient : « Tu vas rien faire avec ta bombe, qu’est ce qu’il t’arrive ? » »

 

Et est-ce que tu crois que la réciproque est vraie ?

Je pense que, de plus en plus, ils ont bien fini par y croire. Moi je faisais partie de la génération ou on était vu comme des zoulous, on arrivait avec nos bombes, nos jeans super larges, ils nous regardaient : «  Tu vas rien faire avec ta bombe, qu’est ce qu’il t’arrive ». On était vu un peu comme des extraterrestres. Et puis d’années en années, les gens ont commencé à dire : «  un tel il a fait ça, c’est quand même vachement bien en fait… ». Et puis techniquement aussi, les bombes se sont améliorées. Avant, pour faire un truc stylé, c’était galère. Maintenant, t’as des bombes plus adaptées, ce qui a permis à nos dessins de s’améliorer. Maintenant on fait des trucs, les anciens qui sont vachement classiques, ils ne peuvent plus parler.

Jusqu’à ce que le graff ait sa place dans les musées ?

Pendant un an j’ai fait gardien de musée, au musée Fabre. Et y’a pas de tag au musée Fabre. Mais j’ai quand même eu un reportage d’un mec de France 3, parce que j’avais fait une exposition au Montana. C’était pour les 20 ans du graffiti. Je sais que Mr Hilaire, qui est le conservateur du musée, il appréciait ce que je faisais. Mais après, ils sont pas encore prêts pour que le graffiti, où ce qu’on appelle le street art maintenant, rentre dans le musée. Mais je suis convaincu que ça va se faire. Il y a plein d’artistes qui explosent. Après, il faut avoir les bons contacts pour entrer dans ce type de milieu… les systèmes d’enchères, les systèmes de commissaires. Je suis pas encore entré dans ce truc là, j’ai pas encore fait de grosses expos, mais ça va arriver. Je sais que la galerie Montana, Sade, quand j’aurai du travail à montrer, il sera là pour me soutenir. C’est des mecs qu’on connaît depuis longtemps, on avait 12 ans on le regardait déjà graffer. Il y a un truc que je voulais dire aussi, c’est qu’il y avait un gros décalage entre les gamins et les anciens.

 

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