Franck Yoro, membre de l’association Longueur d’ondes, Part. II
Dans le local de Longueur d’ondes situé cours Gambetta, les écharpes du Paris Saint-Germain parlent d’elles-mêmes. Même s’il y habite depuis plusieurs années, Franck Yoro vient de Paname, Sartrouville précisément. Ce qui ne l’a pas empêché de devenir partie intégrante de la scène hip hop montpelliéraine, par le biais de son association, créée il y a bientôt six ans. Accompagné du graffeur Honk et de Gary, ingénieur du son que le Francilien a rencontré lorsqu’il sortait encore des projets musicaux. Une époque révolue pour celui qui se consacre désormais pleinement à son rôle d’entrepreneur culturel. Après s’être intéressé aux actions de son asso Longueur d’ondes qui a récemment organisé la deuxième édition des Rap Contenders Sud (relire la première partie), l’équipe d’Union Urbaine a causé avec lui de son passé parisien de Black Dragon.
Union Urbaine : Pour revenir un peu sur Paris, t’avais quel âge quand t’es parti ?
Franck Yoro : Je suis arrivé à Montpellier en 2002, 2003, j’avais 24 ans.
Et pourquoi quitter Paris ?
En fait, j’en avais marre de Paris… À l’époque, on était tout le temps ensemble, on allait même habiter dans d’autres villes ensemble. À un moment, on était plusieurs à avoir habité sur Nantes, être allé serrer des go là-bas (rires). Puis on repartait sur Paname. On était comme ça, une putain d’équipe. Et dans les équipes il y a des groupes qui se forment, des affinités tout ça. On était beaucoup de la même ville, puis les parents tout ça… Sur Paris fallait faire les choses scred. On traînait tout le temps, on chouravait tout le temps, voilà c’est la vie qu’il y avait à l’époque et on faisait partie de cette équipe-là. Mais à un moment tu évolues, j’ai mon enfant qui est né entre temps, à partir de ce moment-là tu te dis que bon… Et donc un pote de mon quartier est venu habiter ici. En plus de ça à l’époque, il y avait plein de gens qui commençaient à ber-tom. « Lui il a pris ceci, lui il a pris telle peine, l’autre il a pris tant »… Je me suis dit c’est bon, y’avait pas d’avenir, tu vois ? L’autre il va s’embrouiller, il va t’appeler à j’sais pas quelle heure, et faut y aller parce que c’est ton gars, t’es recherché parce qu’il y a une ancienne embrouille là-bas, un gars il t’a reconnu, pour une meuf ou j’sais pas quoi… Ça tournait beaucoup autour de ça. Après, en parallèle, c’est les meilleures années de ma vie. On a vécu, quitte à refaire, on referait tous tu vois ? Mais en mieux, en plus réfléchi. Mais sur Paris, je commençais à saturer, fallait que je bouge. Que je prenne l’air. Au départ, j’étais même pas venu ici pour y habiter. J’étais venu pour des vacances, voir mon pote, il me disait tout le temps : « Viens, viens, viens. » Et quand t’es à Paris, les bleds comme ça tu te dis : « Qu’est-ce que j’vais aller foutre là-bas (rires). »
« Au départ, j’étais même pas venu ici pour y habiter »
Et du coup, bol d’air en arrivant à Montpellier.
Choc thermique, alors que toi t’es obligé de monter sur Paris, t’es là t’es dans la banlieue, tu manges des pierres tous les jours. Je me suis dit : « Vas-y j’vais chercher mes affaires, j’reviens. »
Sur ta page Facebook, on a remarqué qu’à « Formation », t’avais marqué Black Dragon Junior.
Ah oui, obligé.
« Il y avait une boite qui s’appelait Le Diamant Noir, en bas de La Défense »
Les Black Dragons, la génération au dessus de la tienne, on a parlé d’eux comme d’un groupe un peu militant, qui a servi à éradiquer une partie des bandes skins sur Paris à la fin des années 80, c’était aussi votre cas aux Black Dragons Juniors ?
En fait c’est simple, eux leur génération, bon ils ont fait un nettoyage. Il y avait eux, il y avait d’autres groupes aussi, d’autres équipes à gauche à droite, tu vois ? C’était l’époque où on formait des équipes et on se tapait contre les racistes, les fachos, les skins… Après nous quand on est arrivé, c’était carrément autre chose. On les a connus tous ces gars-là, c’était nos grands, c’est eux qui nous ont formés, mais quand nous on est arrivé, y’ avait plus de skins ou quoi que ce soit. Sinon c’était vraiment minime. Tu voyais des rasés, t’allais te poser des questions mais bon (rires). Après non, nous c’était l’époque ghetto, ça chouravait, ça dépouillait, ça tapait. Ça n’avait rien à voir avec… C’qu’il y a c’est que j’habitais à Sartrouville, on était peut-être six, sept renois à traîner ensemble. Souvent ensemble, du moins quand on montait sur Paris. Parce qu’à La Défense il y avait une boite qui s’appelait Le Diamant Noir, en bas de La Défense. C’était à l’époque des après-midis dansants, le dimanche après-midi, 16, 17, 18 ans, t’avais le droit de rentrer. Pas comme le soir ou c’est tricard. Donc tous les dimanches après-midis, il y avait les après-midis dansants là-bas, donc les DJ, les rappeurs des fois qui venaient en live…
Vous y alliez tout le temps ?
On y allait tous les dimanches. Moi-même j’avais foot, j’ai lâché l’foot. Il y avait des go, y’avait tout, c’était la vivance ! Donc du coup, on y allait souvent, et de fil en aiguille, les rencontres, on revenait le lundi, le mardi, mercredi, on se retrouvait-là. Seulement à cette époque, on savait pas qu’on était épié.
« On vous donne tous rendez-vous ici demain à telle heure. Soit vous venez, soit on veut plus jamais vous revoir ici »
Comment ça ?
Il y avait des gars, ils étaient là, ils nous voyaient, mais nous on savait pas. On était là souvent et en même temps, on croisait d’autres mec dans les après-midis, des gars d’à côté, de Nanterre, ça faisait des liens d’amitié tout ça…Bref, un jour on vient nous parler comme ça. Un mec, il était fonce-dé, mais massif, il nous dit : « Les p’tits, on vous voit tous les jours, comment ça se fait ? On a besoin de monter une équipe. » Il disait ça comme ça, tu vois ? L’histoire c’est ça : « On vous donne tous rendez-vous ici demain à telle heure. Soit vous venez, soit on veut plus jamais vous revoir ici. » Il y en a un qui vient te parler, massif, un deuxième, massif, un troisième… (rires). On est parti le soir, on réfléchissait. Ça s’est vraiment passé comme ça gros, on s’est dit : « Qu’est-ce qu’on fait ? » Black Dragon tout ça, on connaissait pas plus que ça, ça veut dire déjà entendu parler vite fait, de par les potes ou les anciens, c’était pas comme maintenant où t’as les infos tout ça. T’es dans ta banlieue, t’entends pas parler des Black Dragons à moins d’avoir un renoi qui y ait fait une transition. On y est allé le lendemain, on a appelé des gars de notre tiékar, d’autres renois qui voulaient venir. D’ailleurs à l’époque t’appelais même pas, t’allais chez eux direct. Bref, on était peut-être cinq, six au début, après d’autres gars nous ont rejoints.
Et qu’est-ce qu’il s’est passé après ?
Le lendemain, ils nous ont parlé : « Ouais les gars on forme une équipe, maintenant que vous êtes là, ça fait un moment qu’on vous observe, on est là tous les jours, on vous voit. » Après voilà, ils nous on fait passer des tests, des têtes à têtes contre eux, contre deux gars pour voir si tu résistes, si t’as peur (il s’agit en réalité du rite d’initiation du gang, N.D.L.R.). On a tous flippé, mais voilà t’as tenu et du coup à partir de ce jour, c’est resté. Après ils nous entraînaient. Tous les dimanches, on avait rendez-vous, entraînement. Taekwondo tout ça, tous les dimanches matins dans un parc à Nanterre. Ça a commencé comme ça, au début tout était carré de ouf. Mais c’était plus l’époque des skins, en fait ils nous ont formé pour qu’on soit avec eux pour les embrouilles qu’ils avaient eu entre temps contre d’autres gangs ou quartiers (rires).
Ils vous envoyaient au charbon.
On était tous massif, ils étaient là aussi hein, toujours avec nous, mais voilà ils savaient qu’ils avaient formé d’autres renois, pour la suite. C’est parti comme ça. En groupe, t’es fort, tout le monde mange ensemble, et en plus de ça vous êtes des amis à la base. Il y avait beaucoup de respect entre nous mais envers les autres, on n’en avait aucun. On se sentait fort parce qu’on savait qu’on pouvait compter sur untel untel untel. Quoi qu’il arrive. Quoi qu’il arrive. Untel à une embrouille, on y va tous. C’était des trucs comme ça, et quand y’avait pas d’embrouilles ? C’était la chourave, la vivance, les meufs… (rires). Rien à foutre du taff, on s’autosuffisait en fait. On chouravait des trucs, on savait qu’on les revendrait. Donc y’avait toujours du gen-ar, toujours habillé propre, rien à foutre, on était dans notre bulle. Ça a été comme ça pendant un certain nombre d’années, à un moment on a été une centaine. Ça a été une expérience. Après bien sur, il y en a qui ont pris des peines, certains sont décédés, c’est la vie qu’on a voulu. On était jeune, on pouvait pas penser que ça partirait en couilles à un moment. Avec ce genre d’expérience, après t’avances dans la vie, tu positives, t’as moins peur. Mais nous, on n’était pas du tout dans le délire chasse de skin, on était là quand le rap sortait, quand tout sortait, du coup on était dedans. Tout montait à la tête vite.
En parlant de rap, c’en est où les Cypher ?
Les Cypher, c’était à un moment où on avait un DJ, DJ-B Dave, il était dans notre équipe, c’était notre DJ à la base et bon, pour x raisons on s’est séparés plus tard. Mais il continue à faire des soirées, des trucs. Mais voilà, c’était à son initiative à lui, chaque artiste qu’on ramenait à une époque et à chaque concert, bah on les faisait venir vite fait avant pour un freestyle qu’on filmait. C’était ça le concept. Les platines étaient branchées H-24 là.
On a l’impression que les Parisiens font de moins en moins galérer pour venir à Montpellier.
Comme j’t’ai dit, aujourd’hui avec l’industrie de la musique, plus tu fais des concerts, mieux c’est pour toi, mieux t’es payé. C’est plus les CD qui vendent comme avant, maintenant ça télécharge à toute patate illégalement et si t’as pas tes millions de vues Youtube… C’est pour ça, les rappeurs se produisent beaucoup plus à l’extérieur maintenant, tu vas demander un feat il va bouger il va venir, parce qu’il sait qu’il va être payé. Alors qu’avant, les mecs pouvaient se permettre de pas bouger de Paname. C’est la scène qui fait que les gens tournent bien, tout ce que tu peux prendre tu prends. C’est pas se prostituer, c’est ton taff, on t’appelle, c’est qu’on veut que tu sois là. Et donc forcément il y a beaucoup plus d’organisateur de soirées, tout le monde profite du truc.
C’est ultra concurrentiel ?
Dans l’événementiel, ouais. Parce que maintenant, n’importe qui peut organiser une soirée. Même si t’as pas d’assos, tu t’entoures, et voilà. Et vu que c’est beaucoup de relationnel, si untel connait untel, toi tu peux le ramener pour pas cher, parce que c’est le pote d’untel. C’est normal, ça fait partie du jeu. Moi aussi, j’ai des relations, si je veux atteindre untel, j’ferai passer mon message. Il veut ou pas, après c’est un autre truc. Mais, je sais que je pourrai l’atteindre. Donc oui y’a de la concurrence, au début de Longueur d’ondes, on n’était pas tant que ça à faire des soirées hip hop. Et maintenant, ça se développe. C’est bien pour la ville, ça développe le truc, ça élargit le public. Sinon les gens lâcheraient l’affaire direct. Le seul truc que je regrette par rapport à ça, c’est qu’il y ait pas, comment dire… un espèce de syndicat, tu vois genre pour ceux qui font tel style de concert, pour pas que ça se marche dessus. Parce que souvent quand tu vas pour organiser un concert, tu proposes une date, tu t’es mis d’accord avec l’artiste, et peut-être une ou deux semaines après tu vas apprendre que le même jour, il y a un autre concert d’un autre gars qui peut diviser ton public, parce que tu savais pas, tu l’avais déjà programmé…
Ça arrive souvent ?
Ça arrive souvent parce que bon, chacun est dans son truc, tu peux pas dire : « Pourquoi t’as fait ça… » Si j’étais à Paris, c’est sur on aurait eu une équipe, bim bam boom… (rires). Mais là j’suis là, tranquille, j’suis isolé (rires). Et puis tout est relatif, toujours. Si c’est bouché d’un côté, ça développe plus le live, donc du coup il y a plus de demandes, les artistes ont plus de sollicitations donc plus de thunes. Ça arrange tout le monde en vrai, c’est un cercle et au final, chacun trouve son compte. Si t’as besoin de moi, c’est que tu dois me donner ça, ok j’te donne ça, bah viens alors (rires).
Elles tournent les vidéos de Longueur d’ondes quand même…
Ouais ça va, moins maintenant, mais au début, des nuits blanches à envoyer des mails, identifier les gens, nique sa mère, chaque personne chaque truc, t’aimes, t’aimes pas, juste regarde. Rince toi l’œil au moins 10 secondes (rires).
C’est moins galère organisateur que rappeur ?
Moi je suis un acharné, j’essaie de mettre toujours la limite un peu plus haut, peut-être aussi que c’est ce qui me prenait la tête en tant que rappeur. Fallait trouver les mots justes, les phases. Moi j’aime bien me creuser la tête, et me dire que j’ai tout fait. Que ça marche ou pas, c’est encore une autre histoire. Mais au moins être fier de mon travail, me dire que j’ai donné tout ce que je pouvais pour que ça marche. Et les rares fois où j’ai pas fait ça, j’ai senti une différence. Donc maintenant, je me dis : « Si je sais que je fais un projet, je mets toutes les chances de mon côté, étape par étape, point par point. » Je suis pas quelqu’un qui aime trop déléguer, donc du coup je suis sûr que si je le fais moi, je le ferai comme je voudrais que ça soit fait. Si je sais que je peux pas là, je le dirai à quelqu’un de plus fort que moi, de plus doué que moi.
C’est quoi les prochains projets de Longueur d’ondes du coup ? T’es satisfait des Rap Contenders Sud ?
Ouais franchement, ça a été une bonne surprise. Les gens ont suivi et c’est ça qui est important. On a un contrat d’un an avec eux, c’est un peu tombé du ciel, on a été opportuniste… on prend. Ça nous change aussi. On va ramener un autre délire à Montpellier. C’est plus en mode concert, donc en fight avec l’autre concert (rires). Là tu ramènes un concept différent, les gens ils viennent pour gol-ri. Tu peux rajouter un peu de rap ou un autre délire, mais les gens ils viennent pour gol-ri. On verra bien, c’est la première, ça a bien marché. ‘Challah que les autres suivent.