« ON A FAIT VENIR SEFYU, LA RUMEUR, TOUS CES MECS-LÀ »

Lionel Serin, membre de l’association Uni’sons, Part. III

Lionel se rend régulièrement dans les collèges et les lycées des quartiers montpelliérains. Le but ? Mettre en place des rencontres entre les élèves et des rappeurs réputés, et organiser des ateliers d’écriture. Avec lui, Union Urbaine a parlé d’éducation, de matos et de rap. Après être revenu plus en détail sur le rôle de son association (relire la deuxième partie), on lui a demandé ce qu’il pensait des rappeurs de la région, et on a discuté de la manière dont il s’organisait à l’échelon local, départemental et régional. On a aussi parlé une dernière fois du concours Disk’air, qui s’est clôturé il y a quelques mois. Voici la dernière partie de l’entretien.

 

Union Urbaine : Tu penses quoi des rappeurs actuels qui viennent de Montpellier un peu, Set&Match, Joke ?

Lionel Serin : C’est bien, franchement c’est cool, ça tue. Set&Match, ils étaient sur la compil pour le premier Disk’air. Non franchement, respect. Des fois, y’a des points d’interrogation comme ça. Bon là, les mecs ils sont bons, mais ça reste des points d’interrogation de la réussite. Joke, je le connaissais pas, mais c’est bien ce qu’il fait, comme Set&Match, ça tue. Mais pour Joke, vraiment, il est sorti de nulle part, j’ai pas compris. La fois où il a fait la une des Inrocks, j’étais là : « Quoi, Montpellier ? Ah, je le connais pas. » Mais vraiment, je l’ai jamais vu. Je te jure, en plus il dit qu’il est de La Paillade, mais je l’ai jamais vu.

Et vous travaillez avec d’autres structures locales, du genre à Sète ou quoi ?

Ouais, avec Sète, Perpignan aussi. Les premiers ateliers qu’il y a eu, je les ai fait à Sète. On a lancé les trucs, et on les a laissé faire. À l’époque, y’avait un mec qui s’appelait Adil, avant Demi-Portion. C’était un mec qui était un peu dans la religion, et qui animait des ateliers. Mais, forcément, quand t’es un peu dans la religion, dans les textes, ça se ressent. La mairie là-bas, ils ont un peu flippé, tu vois. Tout de suite les mecs ont eu peur qu’il fabrique des frères Kouachi, ils ont pris la décision de structurer tout ça. C’est là qu’ils nous ont appelés, en prenant contact avec le conseil général et tout. On y est allé, on a organisé le truc un peu, à l’époque y’avait Rachid (Demi-Portion), y’avait aussi Nabil, un animateur qui rappait aussi, issu d’un groupe qui s’appelait ADN, Africains Du Nord, c’était pas mal aussi ce qu’ils faisaient. On ressentait vraiment une marque sétoise. Dans le lot, y’avait deux, trois mecs qui étaient capables d’apporter une certaine pédagogie. Donc nous, on a vraiment mis sa en place. On a investi la salle La Passerelle, on a organisé des concerts et tout, on a fait venir Sefyu, La Rumeur, tous ces mecs-là. Pour cinq euros, t’avais trois artistes qui se produisaient sur scène, c’était blindé, les jeunes de Sète en avaient besoin. On a monté le truc et après on a laissé faire les deux assos qui étaient présentes sur place. On a pas voulu continuer le truc parce que y’avait des petites tensions entre les animateurs qui, pour la plupart, étaient aussi rappeurs.

 

« À Sète, ils nous prenaient un peu pour des envahisseurs »

 

Et ça tient encore ?

Depuis ça tient. Après, ça était dur parce que y’a aussi eu des prises de tête plein de fois. Forcément, pour Rachid, c’était difficile d’accepter qu’il y ait une structure qui vienne… Nous là-bas, ils nous prenaient un peu pour des envahisseurs. C’est dur, t’es dans ton quartier et y’a des mecs qui viennent, c’est eux qui t’embauchent, c’est eux qui te payent.

En plus Montpellier qui débarque à Sète, c’est un peu le côté grande ville/province…

Alors que c’était pas dans cette optique là. Nous, notre souhait, c’était vraiment de réussir à les lancer, tu vois. Après, il a compris. Et puis on leur a fait comprendre que la mairie était derrière, et que c’était où ça ou rien. C’était ça ou ils fermaient la salle. Quand t’as une salle comme ça, au milieu de l’île de Thau, il vaut mieux qu’elle soit ouverte quoi. Ça était pareil à la Casa, à Perpignan, on a travaillé avec eux, mais on a eu des petites embrouilles entre nous. Après, respect pour ce qu’ils font et tout, c’est du boulot. Après bon, on est loin quoi. Ils ont essayé de nous rapprocher un peu, les institutions et tout, de créer un réseau. Franchement, nous ça nous a un peu saoulé… on a organisé un concours régional, qui s’appelle le Buzz Booster, qui a lancé Némir, ces gars-là.

C’est pas à Nimes cette année ?

Je sais pas (ndlr, Le concours Buzz Booster a bien lieu à Nimes cette année, à la salle Paloma). C’est quelque chose qui date de trois, quatre ans. Ils ont monté un truc qui s’appelle Buzz Booster, c’était une idée de Nasty à l’époque, qui travaille à la Casa. C’est un super gars, il fait un peu le même boulot que moi mais lui, il s’acharne. Moi, le samedi et le dimanche, je reste à la maison et je joue au foot, lui il est là tous les jours. Respect pour ce qu’il fait. D’ailleurs il a été débauché, il travaille à Paris maintenant, sa situation elle a un peu évolué, il est bien. Et donc y’avait cette structure à Perpignan, qui s’appelle la Casa Musicale, qui est une structure énorme comparée à la nôtre. Ils ont une salle de spectacle, ils ont pas mal d’intervenants. Nous on est 8, eux ils doivent être 25. Et donc on a organisé ce truc ensemble, et y’a eu un peu des prises de tête, moi ça me saoulait. Y’avait des mecs qui mangeaient avec les jurés, ils leur disaient : « Lui, il est bon, untel, il est bon » alors que nous, on se mettait à l’écart tu vois, on leur disait : « Bon les gars, personne parle, vous êtes là, bienvenue, vous mangez et après vous regardez le concert. » J’ai vu ça, j’ai préféré arrêter.

Contrairement à Disk’air, Buzz Booster ils ont gardé ce côté live ?

C’est vrai, alors que nous on travaille avec des maquettes.

Parce que, moi par exemple, je rappe un peu, et franchement c’est difficile d’enregistrer un morceau quand t’as vraiment pas le matos. Sortir un son mp3 propre, c’est dur. Est-ce que, quelque part, ça rend pas votre cible un peu moins atteignable ?

Bien sur, t’as entièrement raison. C’est un truc, quand on travaille, on y pense. Le seul truc de notre concours qui est un peu illogique c’est ça, tu vois. Et puis c’est aussi le fait qu’on juge sur une maquette quelqu’un pour la scène. Après, les deux premières années, on a fait des compils. La scène, c’était un plus. On a dit aux groupes qu’il n’y aurait pas de scène. La scène, c’était si, éventuellement, on avait des plans qui tombaient. Sur un enregistrement, c’est difficile de juger un groupe afin de savoir si il peut tenir une heure sur scène tu vois. C’est difficile, c’est vrai. Mais le problème, c’est qu’on peut pas faire autrement. Parce que les salles, elles jouent pas forcément le jeu. Le mec de la Paloma, c’est un bon, le mec du Sonambule (Gignac, Hérault) aussi. Mais des salles comme Victoire 2 par exemple, à Montpellier, normalement elles ont des subventions, de l’argent pour faire avancer les groupes de la région. Mais souvent, ils vont se contenter de les mettre en première partie, ils se cachent un peu derrière ça. Alors que nous, derrière y’a un vrai travail, mais on n’a pas un lieu à nous. Tous les mecs connus qui passent ici, pour moi, chaque région devrait pouvoir s’occuper de la première partie. Au moins, ça permet à un groupe de la région de passer devant un public. Parce qu’on n’a beau dire ce qu’on veut, nous quand on fait monter des mecs sur scène, on remplira jamais. Y’a un pote à toi qui va mettre 10 euros une fois, la fois d’après il va dire : « Oh cousin, wesh… » Alors que les mecs, s’ils payent pour voir, j’sais pas, Sexion d’Assaut ou Médine, là tu fais passer des mecs de la région avant. C’est que comme ça qu’ils pourront avoir une certaine visibilité. C’est mieux.

Comme pour le groupe marocain en première partie de Médine, le soir de son concert au Rockstore…

Voilà. Mais bon, c’est aux maisons de disque de jouer le jeu, en évitant d’envoyer deux artistes, même si ça leur fait des économies. Et puis, c’est aux salles aussi. Les salles, il faut qu’elles ouvrent non seulement les premières parties, mais aussi les lieux de répétition. T’as un groupe qui passe en première partie, laisse-lui une salle pour qu’il puisse répéter pour le jour où il va évoluer sur scène. En faisant ça, la salle, elle va être valorisée, que ce soit Victoire 2 ou le Rockstore. Paloma, ils essayent de le faire un peu, mais c’est neuf encore.

 

« À la base, ce qu’on fait ici, c’est du rap »

 

À Montpellier, c’est lesquelles les scènes qui vont encourager ça ? Je sais que, par exemple, le Rockstore, ils avaient fait un partenariat avec les Inrocks une année… Est-ce que quand c’est pour les Inrocks, ils vont plus facilement rentrer dans cette logique de promotion qu’avec la scène rap ?

Je peux pas te dire. Perso, j’ai pas eu de mauvais retours là-dessus non plus. Moi je te dis ça, c’est plus… sans rentrer dans les détails, je trouve que Victoire 2, ils jouent pas trop le jeu. Le Rockstore, ils sont plus positionnés sur le Hip-Hop. Bon après pour le Rockstore, c’est « normal », même si ke pense qu’ils pourraient faire plus. Maintenant, on va voir. Je sais qu’ils ont été racheté par la ville, ils vont devoir rendre des comptes. Après, les autres, l’Antirouille, La Pleine Lune, ça joue vraiment le jeu. (Il décroche son tél, un mec qui veut des renseignements sur le concours Disk’air).

Ça se renseigne ?

Ouais, tous les jours j’ai des mecs qui appellent.

T’as reçu beaucoup de candidatures là ?

Franchement ouais, ça va. Un peu moins que l’année dernière, mais on a quand même 45 groupes.

T’as quand même une chance de gagner, je crois que je vais appeler quelques srabs (rires).

Tu peux ! En plus nous, honnêtement, y’a pas plus droit. Sefyu, l’année dernière je l’ai assis là (il montre un fauteil dans le studio), je lui ai servi du thé, du café, j’y ai dit : « Tu vois la clé ? Allez Ciao. » Les jurés, je les ai enfermés, je leur ai dit : « Vous sortez pas de là tant que vous avez pas écouté tout le monde. » L’année dernière, y’avait à peu près 150 morceaux, 70 groupes, ils ont tout écouté. En plus, l’année dernière, on voulait faire une compil’. Cette année, ça va être un peu plus speed, les mecs soit ils aiment, soit ils aiment pas. L’année dernière, il fallait vraiment sélectionner, y’avait 6 morceaux à choisir. Et franchement, l’année dernière, y’a un mec qui est venu le jour où y’avait les jurés, il voulait les voir. Je lui ai dit : « Mais t’es sérieux toi ? » Il me fait : « Non mais je veux les voir juste, voir comment ça s’passe et tout. » Je lui ai montré la porte, j’y ai dit : « Va voir comme c’est fermé. » Il a vu que je les avais enfermé à clé il s’est dit : « Ah ouais, il est fou lui. » On essaye de faire un truc qui tienne la route. On n’est même pas obligé de le faire ça, on reçoit aucune subventions pour ce truc, c’est tout de notre poche, sur des fonds propres. On le fait vraiment pour rester présent sur le créneau Hip-hop. Arabesques, c’est un festival qui a une telle visibilité qu’on peut très vite être connoté musique orientale. Alors qu’à la base, ce qu’on fait ici, c’est du rap.

 

(Entretien réalisé avant la fin du concours Disk’air 2015- Retrouvez le nom des gagnants sur : http://www.unisons.fr/)