« ON FAIT UN FILM SUR DES PETITES GENS, QUI N’ONT PAS BEAUCOUP ET QUI FONT CE QU’ILS PEUVENT »

Hamé et Ekoué de La Rumeur

Vingt ans après le premier murmure, La Rumeur continue de se propager. Avec leur premier long métrage « Les derniers Parisiens », Hamé et Ekoué suivent la vie de deux frères, dont l’un vient de sortir de prison, implantés dans un quartier Pigalle en pleine mutation. Depuis sa sortie, le film est salué par la critique. Une approbation qui aura valu aux deux réalisateurs un accueil chaleureux de la part des plateaux télés. En tout cas, plus qu’il y a quelques piges, à l’époque où Hamé et Ekoué défendaient les causes des quartiers populaires face à Malek Boutih devant Thierry Ardisson. Pourtant, malgré toutes ces années, l’engagement est toujours là. Le temps d’un dîner, les deux membres de La Rumeur ont accepté de revenir sur le contexte social actuel du pays. En discutant aussi de toutes les questions liées aux chemins de l’indépendance. Des sentiers qu’ils n’ont jamais quittés.

 
Union Urbaine : Dans votre musique, vous mettez l’accent sur l’indépendance. Comment ça se passe avec le cinéma ?

Ekoué : C’est différent. La musique déjà, c’est moins cher. Aujourd’hui en plus, avec l’effondrement du disque, la numérisation des musiques, tu te crées ton home studio, tu peux masteriser à moindre coût, tu peux enregistrer à moindre coût. Donc tu peux vraiment drastiquement réduire les coûts de production et après, t’es propriétaire de tes masters.Dans notre cas, on a juste un distributeur, c’est à peu près le cas depuis une quinzaine d’années, qui est en charge de mettre nos CDs, de créer les questions de marketing dans les lieux de diffusion, en l’occurrence les magasins de disques, pour motiver des achats. Donc un disque en gros, ça nous coûte dix milles euros en tout et pour tout. Maintenant un film, c’est évidemment beaucoup plus coûteux, ça n’a même rien à voir. Et le modèle de financement du film c’est : 40% d’argent public, et le reste c’est de l’argent privé. Donc en gros nous, par rapport à ce film-là, on a présenté une avance sur recette. On a eu l’avance sur recette au premier collège, la région Île-de-France nous a aidés, et ensuite c’était une chaîne de télé. Après, c’est pris en charge par des SOFICA, c’est des sortes de banques du cinéma, qui t’aident à… Si t’as un budget on va dire à 1,5 million,  il va te manquer cinquante milles euros, ils te donnent de l’argent à un taux d’intérêt qui se rembourse dès les premières entrées en salle. En gros hein, voilà comment se fait un film.

D’accord. Pendant un certain temps, vous avez refusé de passer à la télé. Comment se passe la promotion télé d’un film ? Tout est d’emblée dépolitisé même si le film l’est ?

Hamé : Déjà nous, nos premières télés « La Rumeur », c’était surtout pour nous parler du procès. On était invité surtout pour parler de ça, moins pour parler de notre musique et de notre engagement artistique, etc. Je crois même que ça n’a jamais été le cas. À chaque fois qu’on est arrivé sur un plateau télé, c’est parce qu’il y avait le procès. On nous mettait soit un keuf en face, soit un politique de ring. C’était un peu la baston. Bon on sait ferrailler, on sait parler, on sait se défendre, on s’en est toujours plutôt bien sorti. Mais la démarche artistique qui soutenait tout, elle était reléguée au second plan, voire quasiment inexistante dans le débat. C’est comme ça qu’ils appréhendent le rap, et c’était dans cette case-là, si tu veux, que les médias nous avaient mis. Il fallait qu’on aille parler du procès, qu’on se défende, qu’on prenne à témoin les médias, « l’opinion ». Maintenant pour le film, on a été les premiers surpris. On fait un film, a priori pas consensuel, plutôt un film clivant, un film où ne s’excuse pas de ce qu’on est, un film qui est le prolongement de La Rumeur, mais en images…

 

 

Je te coupe mais c’est vrai, le film nous a beaucoup fait penser au titre « Un soir comme un autre » sur l’album « Tout brûle déjà ».

H : Oui, « Un soir comme un autre », « Quand la nuit tombe », « Un chien dans la tête »… Et puis, de projo presse en projo presse, on sent qu’il y a un engouement. La presse écrite, les radios, les télés…Tout le monde se met à parler du film, et on est invité quasiment partout. Et là on est… Il y a quelque chose qui est, comment dirais-je, d’une certaine façon injuste mais c’est comme ça : Il y a certaines formes artistiques qui sont par définition nobles, et qui t’anoblissent d’une certaine façon. Presque comme si on était devenu des artistes, aux yeux de ces grands médias-là, à partir du moment où on a fait des films. Et de manière rétrospective, ils se mettent à lire, si tu veux, dans notre musique, les ferments de ce qu’ils ont aimé dans notre film. Donc il y a eu ce mouvement-là, cet espèce de retour sur un passé de 15, 20 ans de musique, de démêlés judiciaires, etc. D’une philosophie La Rumeur, qui aboutit après toutes ces années à une boite de production indépendante, un chemin ouvert, singulier, qu’on a ouvert dans le cinéma français. Ça c’est acquis, personne ne nous l’enlèvera. Le film existe, et donc des Cahiers du Cinéma à Voici, d’Europe 1 à France inter, de M6 au service public, il y a une quasi unanimité pour reconnaître ça, qu’il y a vraiment du cinoch, qu’il y a quelque chose de nouveau qu’on nous propose, et on l’a pas vu venir.

Donc tout le monde a, à peu près, fait ce constat-là. On est allé parler du film, parfois avec les comédiens, parfois seuls, parfois à deux, dans ce climat-là. Il y avait, en plus, dans l’actualité récente des derniers mois, des violences policières, l’affaire Adama Traoré qui se poursuivait, ce qui s’est passé à Aulnay avec le petit Théo. Il y a eu aussi l’affaire Fillon où on a vu des grands professionnels de la politique, des grands bourgeois, on s’est rendu compte qu’ils tapent allègrement dans la caisse depuis des années. Tout le monde découvre cet espèce de truc, là où nous on fait un film sur des petites gens, qui n’ont pas beaucoup et qui font ce qu’ils peuvent. Des gens sur lesquels la loi s’appliquent de façon implacable quand ils fautent. Tu vois, tout ça crée une espèce d’appel d’air et on se met à être invités par tout le monde. Donc on y est allé, je sais pas si c’est des passages radios ou télés auxquels vous avez pu assister, on y est allé en tant que La Rumeur. On n’y est pas allé, si tu veux, pour enterrer ce qu’on a fait depuis de nombreuses années. On y est allé comme ça, tel qu’on est, pour défendre et le film, et l’esprit de la Rumeur qui prévaut à tout ça. Et par quoi c’est nourri.

 

 

E : Il y a aussi un truc, c’est que depuis le procès jusqu’aux « derniers Parisiens », on est beaucoup plus mûr dans notre démarche, et peut-être moins instinctif et plus maîtrisé, quelque part, dans notre façon d’appréhender les médias. On sait très bien que les médias, ça peut être facilement et tout le temps, des peaux de bananes. Dans certaines de nos émissions, on l’a appris un peu à nos dépens, là on arrive avec un patrimoine, plus de disques, plus de concerts, plus d’interviews, avec une implication sociale via les ateliers d’écriture qui est beaucoup plus importante. Et puis aussi, fort de l’expérience entrepreneuriale dans un contexte où on a tous, comment dirais-je… Il est en tout cas évident qu’on sortira de la situation qu’on décrit par le travail et par la création d’emploi. C’est ce qu’on fait nous à notre échelle, et ça donne une légitimité, de fait, à venir parler aux médias.

 

« On n’est pas amnésique, on sait le mal que la gauche nous a fait, aux quartiers, et à la façon dont elle s’est essuyée les pieds sur nos parents, sur nos grands frères »

 

H : Puis j’ajouterais une chose, c’est qu’en 2012 on sort notre quatrième album. On s’était exprimé dans l’entre-deux-tours ou pendant les élections présidentielles. Et sur nos dernières sorties médiatiques en tant que La Rumeur, dans une période de promotion où on a un disque à promouvoir, les interviews et les questions se sont vite cristallisés sur le vote. On nous a implicitement demandé d’appeler à voter Hollande. On a dit non, on ne vote pas, et c’est pas parce qu’on s’est coltiné Sarkozy pendant dix ans que vous allez gentiment nous faire ce coup-là et nous amener, en gros, à appeler à voter contre Sarkozy. C’est ce qu’on disait tout à l’heure avec Tarek et Hamza. On n’est pas amnésique, on sait le mal que la gauche nous a fait, aux quartiers, et à la façon dont elle s’est essuyée les pieds sur nos parents, sur nos grands frères, etc. On avait développé cette analyse-là, et ça a duré le temps de la promotion de l’album, il y avait mon court métrage qui était sélectionné à Cannes, il y avait une double actualité déjà comme ça, musique et cinéma, et pendant 5 ans, on n’a rien dit. Pendant 5 ans, on a travaillé.

 

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Oui, notamment sur La Rumeur Mag

H : Voilà. On n’a pas fait d’interviews, on a structuré le label de l’intérieur, on s’est ouvert vers les éditions, parce qu’on veut produire et éditer des livres, on a crée La Rumeur Mag, donc un média. Les médias ne font pas leur travail, devenons un média ! Ça c’était aussi un des maîtres-mots de La Rumeur depuis toujours, on a écrit, on a fait «  De l’encre »,  le court métrage, on a écrit notre long métrage, et on a structuré aussi un outil de production. Donc c’est deux labels différents : le label qui produit nos disques et qui finance la Rumeur Mag et nos tournées, c’est un label. Et l’autre label, La Rumeur Filme, qui produit et assume l’autre projet de La Rumeur au cinéma, à l’image. Donc fictions, documentaires…Et ça, il faut un temps de maturation, il faut travailler, tout simplement. Et je rappelle aussi ça, c’est qu’entre 2012 et 2017, on a beaucoup, beaucoup travaillé. Allez , dans l’intervalle, on s’est peut-être exprimé deux fois. Après les attentats, tout le monde nous voulait, même TF1, le JT, on a tout refusé. On s’est exprimé à deux reprises, une fois Ekoué, une fois moi, dans la presse écrite, pour expliciter et donner notre avis sur ce qui arrivait dans ce pays. Et voilà, c’est à peu près tout, basta ! Dans cet intervalle, on a continué à produire des disques, à faire des concerts, tout le temps, tout le temps. Il n’y a pas un mois où on ne faisait pas de concerts. Et puis on a donné toutes ses chances au film d’exister, par nos propres moyens et en étant aux commandes, avec la prétention d’êtres les producteurs délégués du film.

 

« La bonne nouvelle dans tout ça, c’est que les salles sont pleines, le bouche-à-oreille fonctionne »

 

Vous vous êtes surement posés la question de comment faire en sorte que le film puisse sortir du réseau culturel cinéma indépendant.

E : C’est ce qu’on disait tout à l’heure, le film a bénéficié d’une couverture médiatique hallucinante, on a travaillé avec un distributeur qui n’a trouvé que 49 copies d’écran. Là où le minimum requis pour ce type de couverture était de 100. Bon ben voilà, on l’a appris à nos dépens, il aurait peut-être fallu qu’on pèse encore de tout notre poids et de toute notre conviction pour imposer et même contractualiser le fait qu’en fonction de l’intérêt de la presse, ce film méritait au minimum les 80 copies. Ce qui était normal. Donc on a une couverture monstrueuse, avec une sortie technique. Comme on dit, on apprend en se blessant, ça ne se reproduira plus, mais, la bonne nouvelle dans tout ça, c’est que les salles sont pleines, le bouche-à-oreille fonctionne. Le film se défend très très bien. Donc c’est de bonne augure pour le second. On est de jeunes producteurs de cinéma, on a monté notre société La Rumeur Filme depuis deux ans, bah le prochain on sera beaucoup plus vigilant sur la personne et sur le type de distributeur qui aura la charge de mettre nos films en salle. Il y avait absolument tout pour que ce film puisse avoir la visibilité qu’il mérite. À comparaison égale, les films qui ont 100 copies et qui ont 0% d’intérêt presse, il en sort toutes les semaines. Il y a une incompréhension, de fait, qui touche au film, et qui fait que voilà, il est confiné à des réseaux indépendants alors que beaucoup de gens étaient… Mais bon, c’est comme ça. Le plus important finalement, c’est d’avoir une bonne matière première. C’est pour ça qu’on va aussi au contact du public, qu’on apprend de cette manière-là. Je pense que c’était peut-être notre meilleur moyen de rentrer dans le cinéma. C’était de faire le film qu’on voulait, le produire comme on le voulait, et sur le terrain de la distribution, on a peut-être été un peu vert.

Vous filmez tous les deux ?

E : Oui, enfin, on filme. On écrit tous les deux, après il y a Lubomir qui est là, qui est le chef opérateur, accompagné d’un cadreur qui s’appelle Yoan Cart. Il y a toute une équipe, on avait embauché 117 personnes sur ce film.

 

« Moi, ce que je retiens de cette période-là, c’est qu’enfin la question des bavures policières, via des gens comme Assa Traoré, commence à se faire visible »

 

Tout à l’heure on évoquait l’affaire Théo, et là je m’adresse aux artistes La Rumeur, on a l’impression qu’en ce moment il y a une effervescence associative, sociale, militante. Quel regard vous portez là-dessus ?

E : Sans être polémique, après on peut discuter sur untel ou untel mais on n’est pas là pour ça. Je dirai, mieux vaut tard que jamais.

H : Effervescence, tu parles associative ou artistique ?

Associative, militante, comme par exemple le rassemblement qu’il y a eu à Paris

E : Moi, il y a des associations dont je ne citerai pas les noms qui sont à l’initiative de ce truc-là, avec lesquels je n’entretiens aucun rapport, aucune accointance, que ce soit politique ou autre. Voilà, c’est un avis tout à fait personnel, mais moi, ce que je retiens de cette période-là, c’est qu’enfin la question des bavures policières, via des gens comme Assa Traoré, commence à se faire visible. Et il y a des acteurs comme ça, issus des quartiers, hommes et femmes au cœur de ces question-là, et qui ont souvent eu des personnes au sein de leurs familles qui ont été touchées par ce type d’infamie, qui se politisent, qui créent des réflexions intéressantes et à soutenir autour.

H : Qui se battent !

On a parlé de récupération, et c’est aussi un peu ce qu’il s’est passé dans les années 90, avec SOS Racisme pour ne pas les citer. Ce sont des questions sur lesquelles vous avez été avant-gardistes. Est-ce que vous avez l’impression que l’histoire se répète ?

H : Le risque de la récupération, il est permanent. Ce sont des questions qui peuvent être explosives, déborder le cadre dans lequel on veut le contenir. Et donc, elles sont extrêmement contrôlées, surveillées. Il y a beaucoup de mouchards, de fossoyeurs de ce type de questions, qui vont les amener vers des impasses, qui vont mal les problématiser, à dessein, de façon malveillante, pour désamorcer ce qu’elles peuvent avoir de vraiment subversif et de vraiment révélateur du monde qu’il y a derrière les violences policières ou derrière un meurtre dans un quartier. Il y a toute une projection, toute une analyse beaucoup plus globale à faire. Ces violences-là, c’est l’expression paroxystique de quelque chose de plus vaste. Il faut aller au-delà. Et là ça devient intéressant, quand c’est problématisé et politisé de la bonne façon. Ce risque-là, il est permanent pour la génération qui s’empare aujourd’hui de ces questions, à travers l’affaire Traoré ou Aulnay-sous-Bois, il y en a plein d’autres, hein ! Il n’y a pas une année, peut-être même pas un mois, sans qu’il y est une affaire semblable, qui ait eu lieu depuis une quinzaine d’années. Faudrait vérifier sur la moyenne, mais je crois que c’est à peu près tous les mois ou tous les deux mois. Et cette génération qui n’a pas d’autres choix que de porter ces questions sur la place publique et de se battre, il faut qu’elle regarde ce qu’il s’est passé il y a 10, 20, 30, 40 ans. Et qu’elle en tire les enseignements et les leçons des pièges commis, ou de la façon dont on s’est laissé bercer d’illusions dans les années 80, et même dans les années 90. La façon dont on découplait, si tu veux, le politique et l’économique, « allez militer, allez militer, posez pas des questions d’argent qui vont vous aider à vous structurer, allez en première ligne, allez vous casser les dents, et quand vous aurez 30 ans vous passerez à autre chose » Tu vois ? En gros… Je pense qu’il y a une partie de cette génération qui a compris ça. Après maintenant, l’histoire est en train de se faire, en tout cas, nous on l’a compris. On a compris que l’escroquerie était pas forcément toujours que du coté du camp d’en face. Des gens qui étaient censés être à nos cotés, converger et lutter pour la même cause, étaient aussi de beaux enfoirés. Donc ça, il faut le voir aussi !

 

« Cette génération qui n’a pas d’autres choix que de porter ces questions sur la place publique et de se battre, il faut qu’elle regarde ce qu’il s’est passé il y a 10, 20, 30, 40 ans. Et qu’elle en tire les enseignements et les leçons des pièges commis, ou de la façon dont on s’est laissé bercer d’illusions dans les années 80, et même dans les années 90 »

 

Concrètement, sur les aboutissements de ce militantisme, il y a eu la sœur d’Amine Bentounsi qui a obtenu un sursis pour le policier condamné. Du coup, vous le voyez comme une forme de petite victoire ? Peut-être que ça montre une évolution.

E : Bah oui. C’est bien, elle s’est battue, il y a eu des résultats, point.

H : En fait là-dessus, en première instance, il n’y a rien eu. Je crois que c’était une relaxe ou un non lieu pur et simple. Et en appel ils ont obtenu une condamnation de cinq ans avec sursis. D’où leur joie, et en même temps c’est une peine dérisoire. Le mec fera pas une heure en prison, il n’est pas exclu de la police, il est réintégré, peut-être même promu. Donc c’est bien par rapport à rien. C’est toujours mieux que rien, mais c’est quand même relativement misérable comme peine. On parle d’un homicide. J’ai pas tous les détails du dossier, mais je crois que le dossier était accablant. Du sursis… Tarek qui était là du MIB, pour des gens comme le MIB, du sursis c’est pas une victoire. C’est pas une victoire judiciaire.

E : Ça prouve bien, quelque part, les limites d’un système qui a encore du mal à condamner ses brebis galeuses quand elles commettent des actes plus que répréhensibles, qui se caractérisent par un assassinat, un homicide. Quand il s’agit de n’importe quelle corporation, qui n’est pas autant chevillée au pouvoir, ça se caractérise par des peines de prisons fermes. Et là, manifestement, du sursis. Si demain un pompier met le feu à ton immeuble, bah il va aller en prison. Ou je sais pas, un médecin qui te greffe un rein alors qu’il devait te greffer un cœur, bah il va aller en prison aussi.

Pour revenir sur le film, c’est un film sur Paris, mais pas un film parisien. Ce que vous montrez, on peut le retrouver aussi à Montpellier, on pense à un quartier comme Gambetta par exemple.

E : Au début, cette dimension n’était pas très présente dans le scénario, on se concentrait plus sur l’histoire des deux frères, puis avec toute l’équipe on a vu le nombre de commerces qui disparaissaient, même dans l’intervalle finalement de cinq semaines, et qui fermaient. Puis avec une sociologie de personne qui ressemble plus, finalement, à un déversoir de cars de touristes, plutôt qu’à un quartier qui, quelque part, avait vraiment un enracinement populaire. Bah, on l’a mis dans le film. Ça, c’est clair qu’aujourd’hui à Paris, ça va encore plus vite. Même dans toutes les villes, vous, à Nîmes, tout ça, ça y est. Le processus est en marche. Je sais pas où ça va nous mener mais en tout cas, ça va nous mener quelque part… Je remontais votre avenue Jean-Jaurès (en réalité rue de la Loge, ndlr), quand je venais à Montpellier il y a près de 20 ans, c’était pas ça… Maintenant dans tous les centres-villes, ce sera à peu près ça partout.

Lubomir : Il y a eu une analyse d’un journaliste américain qui a été cité sur France Inter, qui analysait pourquoi l’âme des villes française disparaissait. Il parlait d’Albi dans le Tarn. Il disait que les centres-villes se meurent parce qu’il y a eu un surconstruction de grande surface en périphérie.

E : Bien sûr.

L : Une sorte d’américanisation de la société, donc l’âme des villes françaises disparait. La relation du commerçant qu’on connait, elle existe de moins en moins, elle se fait de plus en plus rare.

E : Aux États-Unis ou à Dubaï, on appelle ça des malls. Des espèces de grosse merde, bientôt on aura des Aqualands ou des trucs comme ça dans les super-marchés. Ça appartient à des grands groupes et voilà, le loisir c’est là. Les centres-villes historiques, les belles peintures, les apparts haussmanniens, c’est pour les très très riches, les notables du coin et les puissances internationales. Et pour les autres, c’est la périphérie et les cités. C’est vrai que ça fait flipper quand même.

 

« Les centres-villes historiques, les belles peintures, les apparts haussmanniens, c’est pour les très très riches, les notables du coin et les puissances internationales. Et pour les autres, c’est la périphérie et les cités »

 

Il y a un squat, à Montpellier, dans un cinéma historique qui s’est initié depuis quelques mois.

E : Ouais je l’ai vu, le Royal ? Je le connaissais à l’époque.

Oui, outre la question du squat, aux dernières nouvelles le lieu était destiné à se transformer en appartements de luxe.

E : Ce que disait Lubo est vrai. De toute façon, la culture privée, mondiale, elle va être cantonnée à un périmètre, et après ce qui apparait comme une espèce de sous-culture, les squats par exemple, pour ces promoteurs de connivence avec le pouvoir public, ça vaut pas plus que des camps de roumain. Mais c’est vrai !

H : Ils font la même chose avec le street art. Le street art, t’as un terrain en jachère, ou un vieux site industriel, même des anciens bureaux, etc… Ils vont occuper médiatiquement une certaine période ou plusieurs mois, en se donnant un peu des airs de mécène artistique et pendant six mois, ils vont faire venir un graffeur de je sais pas où. Ils vont faire venir des mecs de l’étranger, etc… Ça plait en général aux médias, la presse locale et tout, et quelques mois après, le projet d’hôtel de luxe, d’immeuble et tout revient. À Montpellier il y en a eu plein, en plus. Et à Paris c’est tout le temps.

E : Moi, je sais pas où il y a des squats par exemple à Paris…

H : Non je parle, tu sais, des trucs de street art là, ça sert aussi parfois à faire monter les prix fonciers, parce que le musée fuit et ils rendent ça chic. Ils vont commander à C215 ou je sais pas qui la façade de telle tour immonde, machin et tout, ça va donner du cachet au quartier…

Et peut-être une forme de compétition entre les artistes aussi…

H : Ça, ils adorent. Donc ils te laissent faire ton truc. Pendant ce temps, tu contestes pas le projet qui vient. Après, écoute, c’est des terrains privés, t’as le propriétaire qui le vend à un fond de pension américain qui va te faire huit Starbucks au kilomètre carré, qu’est ce que tu veux dire ? Les pouvoirs publics, ils préemptent pas. Les Mairies prennent leur com’ et laissent faire. Qu’est ce que tu veux dire ? Tu vois les mecs qui occupent les squats et tout ça? Trois cars de CRS et c’est fini.

L : Le seul exemple des squats qui est intéressant, c’est les squats suisses. À Genève, par exemple, ça se passe différemment. Déjà, la police ne peut pas intervenir dans les squats, il y a une brigade des squats détachée de la police qui s’occupe que de ça. Et puis, il y a des exemples d’immeubles entiers squattés pendant des années, qui payent des loyers, et ils rachètent l’immeuble à la fin. Mais bon, c’est une mentalité suisse aussi. Il y a des lieux culturels qui sont gardés tels quels.

E : En suisse, je crois que si t’es à 2 000 ou 3 000 signatures, tu peux déclencher un référendum. Tu vois ? C’est inimaginable ici.

L : Je me souviens, à l’époque, il y avait un référendum sur la traversée du lac à Genève. La question, c’était une traversée par fond ou par tunnel. Et ils avaient voté deux fois non. Parce qu’ils disaient que c’était de l’argent public gaspillé et qu’ils voulaient pas que ce soit traversé. Ça a été bloqué.