« QUAND JE LES VOIS METTRE MES TOILES DANS LEUR SALON DE BLINDÉS, JE ME SENS PLUS VANDALE QU’UN GARS QUI VA TAGGER DANS LA RUE »

Honk, artiste, Part. II

C’est dans son domicile/atelier, autour d’une bouteille de jus d’orange et de quatre cigarettes, qu’Union Urbaine est allé à la rencontre de Nico aka Honk, un des graffeurs historiques de la ville de Montpellier. Place à la deuxième et dernière partie de l’entretien (relire la première partie), de la construction du Verdanson à l’image des cultures urbaines aujourd’hui, en passant par la fois où il a refait le portrait de Drake.

 
Union Urbaine : Tu parlais d’un gros décalage entre les jeunes et les anciens, c’est-à-dire ?

Honk : À l’époque où j’étais gamin, c’était en 1992, 93, je commençais à sortir un peu. J’allais sur le terrain, c’était des endroits un peu ghetto. C’est plus pareil maintenant. Le Verdanson, t’as des parents, des familles, des vélos, avant c’était pas ça. Il y avait des toxicos qui se piquaient, tu pouvais te faire braquer, il pouvait t’arriver toutes sortes de choses. C’était chaud. Maintenant c’est super cool tu vois, j’en suis content. Et à l’époque les anciens, quand ils nous voyaient, ils nous regardaient de travers, on bougeait pas. Déjà on avait de la chance d’être là et de regarder. On regardait ce qu’il se passait. Et quand ils partaient, si on avait de la chance et qu’il restait un peu d’encre dans leurs bombes, on essayait de faire nos trucs aussi. C’était ça l’ambiance. Maintenant que l’ancien, c’est moi, ce que j’ai pas eu, j’essaye de le donner aux jeunes. À l’époque, on n’osait même pas demander. Il n’ y avait pas de contacts.

Même d’une manière générale, cet état d’esprit était représentatif du hip hop. Il y avait moins de collaborations entre générations que maintenant…

Exactement. On fait ce qu’on peut pour les jeunes. Par exemple, j’ai aussi participé à la création de Longueur d’ondes avec mon ami Yoro, on l’a monté ensemble, puis je me suis un peu éloigné. Je suis particulier aussi en matière de rap, trop de trap, trop de gangstas, je suis pas fan. À l’époque, les gangstas que j’écoutais, c’était des repentis, ils te parlaient du bon chemin, pas du mauvais.

 

« Quand les anciens partaient, si on avait de la chance et qu’il restait un peu d’encre dans leurs bombes, on essayait de faire nos trucs aussi »

 

C’est un style aussi…

C’est un style, mais c’est trop. Après sûrement qu’il y a de la bonne trap. C’est vrai que je suis plus à l’ancienne. Les Joey Badass, même s’ils peuvent dire du sale. Mais le fond est différent. Par exemple un mec que j’adore, c’est Rakim. De vrais artistes, avec une vraie sensibilité, et même s’ils te parlent de mauvaises choses, ils t’en parleront bien. De manière à ce que tu te rendes compte que c’est pas bon pour toi. Maintenant, il y a cet espèce de fantasme de la rue, des gangsters qu’ils voudraient devenir, ou j’sais pas trop quoi. Avant, c’était plus un jeu de jouer le gangster, mais on revenait vite à la réalité. Maintenant, la fiction dépasse la réalité. Et dans le graff, c’est un peu pareil, moi j’aime bien quand il y a un message au bout.

Et tu trouves qu’il y a une passerelle à Montpellier, entre les nouveaux et les anciens ?

Regarde, rien que Longueur d’ondes, cela a permis a plein de jeunes de rapper, de s’exprimer. Nous, il fallait qu’on attende notre tour. Il y a un artiste sur Montpellier qui s’appelle Maye, je l’ai rencontré à La Paillade, lui il graff, et fait partie de cette génération vraiment très talentueuse. Et puis lui, il fait pas du tout dans le graff vandale, c’est moi qui lui ai dit. Il m’a montré ses dessins, je m’en rappelle d’un où il y a une voiture de police, qui passe devant un commissariat, et dans la voiture de police il y a des gangstas qui tirent sur le commissariat. T’as un gamin de 12 ans qui te ramène ça, tu te dis : « Bon, qu’est ce qu’on va faire de toi (rires) ». Et l’association Attitude avait fait appel aux graffeurs pour refaire tout un design, donc on était venu, il y avait deux Américains, deux pointures du Bronx…


 
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« Perds pas ton temps à tagger dans la rue, à traîner, à faire un tagg dans un TGV »

 

Il y a combien de temps ?

Je m’en rappelle plus, ça devait être il y a dix ans. Donc lui, le Maye, ça fait dix ans qu’il graff. Les Américains le regardaient, ils se disaient : « Ah ouais, lui il est chaud ». Plein de gens tournaient autour de lui : « Rentre dans mon crew, rentre dans le mien. » Très vite, je lui ai dit : « Écoute, moi j’ai des choses à faire, je serai pas toujours là avec toi, perds pas ton temps à tagger dans la rue, à traîner, à faire un tagg dans un TGV. T’as du talent, utilise-le à bon escient, fais des toiles, entraîne toi sur feuilles, cherche ton style. » Et c’est ce qu’il a fait, il a monté une boite, il est sur-demandé. Maintenant, il me répond même plus, et tant mieux. Je suis content pour lui.

 

 

Et pour toi, ce ne serait pas ça finalement, la finalité du graff ? Faire de l’argent ?

Non, la démarche n’est pas là. D’abord, fais-toi plaisir. Après le plaisir, tu vas le trouver en faisant une belle déco chez quelqu’un, dans le respect des règles, ou dans le fait d’aller graffer sur un train…

Le graff n’est t-il pas sorti de la rue ? À l’image du rap, par exemple ?

Si tout à fait, ça reste un problème.

 

« je ne veux pas que ces gamins s’autodétruisent »

 

Même en matière d’inspiration, si ton environnement change, cela se répercute sur ton travail…

Ouais voilà, il en faut des gars comme ça, qui vivent le truc, qui vont dénoncer des choses. Mais je ne veux pas que ces gamins s’autodétruisent. On a la chance d’habiter en France, un pays qui nous donne les moyens de s’en sortir. Prendre un marqueur, défoncer une rue, tu peux le faire un jour, mais toute ta vie…

Lorsqu’on t’écoute, on a l’impression que t’es arrivé à maturité. Autrement, tu n’aurais peut-être pas le même discours…

Oui, moi c’est les gardaves et la justice. Quand on te répète : « La prochaine fois tu vas peut-être rentrer », tu te remets en question. Et j’ai fini par comprendre que je pouvais m’exprimer autrement, et limite être plus « vandale » que ça. J’ai vendu des toiles à des gens blindés, et quand je les vois les mettre dans leurs salons de blindés, je me sens plus vandale qu’un gars qui va tagger dans la rue, dans le sens où j’ai réussi à faire passer le message que je voulais. En plus de ça, tu peux être rejeté par ta famille, qui ne va pas comprendre ton délire. Pour moi c’était ça, je sortais sur la pointe des pieds le soir pour aller graffer.

 

« J’ai plus le temps d’être vénère, je veux être tranquille »

 

Et cette remise en question, tu penses qu’elle s’effectue d’elle-même ? Tu la retrouves chez les anciens, les gars de ta génération ?

Non, c’est moi. J’aime aller à contresens des gens, ne pas faire comme tout le monde. Et puis j’aime interagir avec les personnes. J’ai plus le temps d’être vénère, je veux être tranquille. J’ai une famille, aujourd’hui je veux être posé. Maintenant, je fais beaucoup de décoration chez les gens, ce qui me permet de récupérer du matos que je n’ai pas à me payer.

Du coup, maintenant, ta démarche s’inscrit plus dans le lucratif, dans le sens ou il faut que ça se vende ?

Non, pas essentiellement. Bien sûr c’est pris en compte mais si tu veux aujourd’hui, faire de l’argent avec le graffiti, c’est de la déco d’intérieur, des designs de pochette… La plupart du temps tu dois respecter telle ou telle directive. Après, tu vas prendre ton billet, c’est sûr. Mais personnellement, ce n’est pas ce qui me passionne. Moi, ce que j’aime, c’est graffer sur un mur, une toile. C’est là que je m’exprime réellement.

 

« C’est possible de me faire Tomb Raider avec la tête de ma meuf ? »

 

Comme tu disais tout à l’heure, tu t’exprimes pour envoyer un message. Tu peux nous parler des thèmes, des influences, qu’ils peuvent comporter ?

Au niveau musique, le jazz, le hip hop, j’aime beaucoup cette ambiance-là. Les comics aussi, par rapport au rendu qui me plaisent assez. Après, le délire chicanos, L.A, le graff à la new-yorkaise, le wildstyle. À part ça, j’ai fait des portraits travaillés sur des carrosseries dans le tunning. Mais dans l’ensemble, on me retrouve quand même souvent dans des univers assez américanisés. Et pour moi, c’est ça, l’origine du graff. Je m’intéresse également à l’univers asiatique et ses paysages.

Tu as donc eu des demandes pour le moins variées durant ton parcours. Laquelle a été celle qui t’a le plus marqué ?

Un jour en Moldavie, on m’a demandé un truc de fou, le gars m’avait dit : « C’est possible de me faire Tomb Raider avec la tête de ma meuf ? » (Rires). Les gens peuvent vraiment aller loin, tu vois. Le gars m’avait ensuite proposé de partir à la chasse avec lui dans une forêt, j’étais pas trop chaud pour le coup.

 

Fragile comme Drake.
Fragile comme Drake.

 

Bah ouais, aller chasser des putes roumaines, c’est un peu chiant.

C’est ça, il me disait : « tu sais, ici, les putes prennent pas cher, mais qu’est-ce qu’elle mange de bananes » (Rires). Un cramé j’te jure.

Pour en revenir au fait de « faire des sous », le rap a connu sa période de professionnalisation qui à entraîné une forte demande, c’était le cas pour le graff ? Il y avait la possibilité d’en « vivre » à cette époque-là ?

Oui, je pense. Après, il y a 20 ans, c’était plus compliqué, mais c’est une chose qui était réalisable, même si ça s’adressait surtout à une certaine élite. Maintenant, les gens ont tendance à passer par les institutions, Uni’sons et Attitude, institutions qui vont se permettre de chaperonner les jeunes en veillant à ce qu’ils ne s’égarent pas trop. Ce qui n’est pas plus mal, mais on peut malheureusement les brider en allant dans cette direction, ou simplement rater certains talents, en étant trop sélectif.

 

« À Drake, je lui ai fait un portrait »

 

Et toi, le graff, tu arrives à en vivre ?

Là je travaille dans la sécu à l’Arena, j’ai vu Jay-Z, Rihanna, Drake. D’ailleurs je lui ai fait un tableau à lui.

Tu lui as fait un tableau à son image, fragile ?

Non, je lui ai fait un bon truc, comme ça il pourra passer pour un gars de la rue (rires). Si j’avais su, pour Jay-Z, je lui aurais aussi fait un truc, même si je pense que le gars dérive. Mais ça reste une icône du rap de la East Coast. Perso, je me dirige plus vers Nas. J’ai aussi fait un truc pour Christophe Maé. Le gars est dans le blues, j’aime assez.

 

« Sur un graff que quelqu’un a mis du temps à faire, tu vas pas venir écrire ‘‘Momo de La Paillade’’ »

 

Pour finir, on voulait aussi te demander ce que tu penses de la scène graffiti de Montpellier.

Je pense que c’est une bonne scène, je vais pas cracher dessus, c’est de là que je viens en plus, mais ouais pas mal d’anciens, des petits jeunes. Et il faut noter une grosse évolution. À l’époque, quand on graffait dans le Verdanson, c’était bien plus petit. Ils ont rénové le truc, en plus de ça on était environ 40. Maintenant, c’est bien plus. Bon, j’ai pas non plus fait le recensement.

Il y a une solidarité entre les graffeurs ? On trouve une certaine union entre vous ?

À mon sens, pas assez, et c’est dommage. Aujourd’hui, on assimile le Verdanson à une poubelle artistique. On est censé appelé ça le Hall of Fame, alors que certaines personnes qui, j’ai l’impression, n’ont pas assez pris de gifles étant jeunes, se permettent des choses qui n’ont pas leur place dans ses murs. Il y a un manque de respect flagrant. Moi, j’ai toujours eu du respect pour les gens, que ce soit pour les anciens ou pour les jeunes. Sur un graff que quelqu’un a mis du temps à faire, tu vas pas venir écrire ‘‘Momo de La Paillade’’ (rires).