AFFAIRE THÉO : REGARDS CROISÉS SUR UNE MOBILISATION

Ces derniers jours ont eu lieu partout en France plusieurs manifestations contre les violences policières. Des rassemblements qui continuent de s'opérer, organisés en soutien à Théo. Une mobilisation nationale qui avait pour épicentre la ville de Bobigny, préfecture de Seine-Saint-Denis, où quelques milliers de personnes s’étaient regroupées, samedi 11 février. À Montpellier, où se trouvait le responsable de l'antenne Hérault du Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires, le décor changeait mais la revendication restait la même.

RAPPEL DES FAITS

Vendredi 3 février, Théo rentre chez lui et traverse le quartier de la Rose-des-Vents, aussi connu sous le nom de la Cité des 3000. D’après le témoignage qu’il a livré à son avocat depuis son lit d’hôpital, le jeune homme, en route pour rendre des chaussures à une amie de sa sœur, aperçoit des potes et va pour leur serrer la main. Au même moment, quatre policiers débarquent et ordonnent aux personnes présentes de se mettre contre le mur pour procéder à un contrôle d’identité. Théo, sur place depuis quelques secondes, qui vient d’enlever ses écouteurs, n'aurait alors pas tout de suite compris ce qu'il se passait. La situation se serait tendue et l’un des policiers lui aurait adressé un premier coup. Le jeune homme, bien qu'immobilisé, tente de se diriger vers les caméras de surveillance, dont il connaît les emplacements. Sur la vidéo, on devine un passage à tabac. C’est alors qu’un des membres de force de l’ordre lui aurait enfoncé sa matraque dans les fesses “volontairement”, toujours d’après le témoignage de Théo, menotté puis conduit au poste.

 

Au terme d’un trajet pour le moins mouvementé durant lequel Théo se serait fait cracher dessus, insulter puis frapper par les policiers, le jeune homme arrive au commissariat. Il ne s’y arrêtera pas longtemps puisqu’il sera ensuite redirigé directement vers l’hôpital Robert-Ballanger. Dans la soirée, les médecins lui diagnostiqueront “une plaie longitudinale du canal anal" et une "section du muscle sphinctérien". Soixante jours d’ITT lui sont également proscrits. Il quittera la clinique qui l'a vu naître 22 ans auparavant deux semaines après y être entré, le 16 février.

 

Les quatre policiers sont quant à eux placés en garde à vue au sein des locaux de l’IGPN, la police des polices. Une GAV prolongée de 24 heures, samedi 5 février. Si les policiers sont d’abord soupçonnés de viol en réunion, la thèse de l’accident est ensuite préconisée suite à l’enquête de l’IGPN. Un constat sur lequel n’a pas souhaité revenir la juge d’instruction, qui a mis en examen pour viol l’un des membres des forces de l’ordre, les trois autres étant jugés pour violences volontaires.

 

Le policier accusé s'est pour sa part défendu en affirmant lors de l'émission Envoyé Spécial diffusé le 16 février sur France 2 qu'il ne visait pas les fesses du jeune homme mais ses cuisses. L'altercation aurait éclatée suite au refus de la part d'un des jeunes hommes de se soumettre au contrôle d'identité et la procédure. Théo aurait alors attrapé par deux fois le col du flic, qui n'aurait eu d'autres choix de le mettre à terre. Et de le tabasser.

LE RASSEMBLEMENT DE BOBIGNY

Signe de l’émoi provoqué par l’événement, les rassemblements en soutien à Théo sur Paris se sont multipliés (à la Cité des 3000 et à Aulnay, à Ménilmontant, à République), accompagnés par les diverses confrontations entre jeunes des quartiers populaires et policiers. Celui de Bobigny se voulait à forte portée symbolique. Organisé par deux jeunes de Karl Marx, cité de Bobigny, il se tenait, samedi 11 février, devant le palais de Justice de la préfecture du 93 et avait vocation à offrir une tribune de grande ampleur à la contestation des violences policières subies par les habitants des quartiers populaires.

 

Regroupant divers groupes et associations militantes, le rassemblement prévoyait une succession de prises de paroles. Postés sur une bouche d’aération et munis d’un micro, les différents intervenants ont ainsi appelé à se mobiliser, rappelant le caractère ordinaire et quotidien des violences policières, et à ne plus accepter le traitement des habitants des quartiers populaires par les forces de l’ordre. Se sont ainsi succédés divers groupes et associations militants. Militants luttant contre les violences policières à l’instar d’Amal Bentounsi (Urgence Notre Police Assassine, dont on salue l’énorme travail), militants des quartiers, militants d’extrême-gauche (Jeunesses communistes)… Le rassemblement se voulait unitaire. La présence et l'intervention de Fianso, estampillé 9-3, mobilisé depuis le meurtre d’Adama Traoré, furent salués par les « 93 Empire » lancés en cœur par un petit groupe dans la foule.

 

Entre 2000 et 3000 personnes présentes

 

Si les échauffourées survenues à la fin de l’évènement ont fait les gros titres, contraignant les initiateurs à parler de succès en demi-teinte, le rassemblement peut néanmoins se targuer d’avoir réuni entre 2000 et 3000 personnes et, surtout, d’avoir su coaliser différents horizons sociaux et militants. En effet, la composition sociale de ce genre d’évènement aiguise la curiosité. Qui va venir donner de la force ? Quid des premiers concernés, les jeunes hommes racisés qui subissent les violences policières ? Quel sera le degré de mobilisation des habitants des quartiers populaires ? Etc, etc…

 

Une diversité marquante

 

Alors, une fois le rassemblement arrivé, on scrute. On guette la composition de la foule. Et on constate, finalement, sa grande diversité : diversité sociale, diversité raciale, diversité militante, diversité esthétique et vestimentaire… C’est surement le point positif majeur de ce rassemblement. D’une part, il réussit à faire venir des jeunes issus des cités de la région parisienne (cette jeunesse précarisée victime des abus policiers) auxquels s’ajoutent notamment les mères de famille –nouvelles figures du militantisme des quartiers– ainsi que de nombreuses jeunes femmes. D’autre part, il ramène également un public non issu de ces quartiers, traditionnellement mobilisé sur les questions sociales et étudiantes, largement investi dans les manifestations contre la loi travail et le mouvement Nuit Debout, mais habituellement peu enclin à lutter en passant le périph’.

 

Ainsi, la séquence militante que nous vivons depuis maintenant un an (et que nous avons essayé de chroniquer autant que possible), partagée entre la mobilisation « sociale » et le militantisme issu des quartiers populaires, voit donc arriver, via les deux drames survenus depuis 7 mois et la lutte contre les violences policières, la possibilité de converger. Déjà posée lors de Nuit Debout, la question avait mené à une impasse, entre un mouvement montrant son incapacité à mobiliser dans les ZUP et des militants des quartiers pointant le manque de soutien dont le mouvement social avait fait preuve par le passé, notamment lors des émeutes de 2005. La question se repose désormais avec une force et une vigueur supplémentaires, alors que la lutte contre les violences policières dans les quartiers prend de l’ampleur et qu’elle engage les candidats de gauche à la présidentielle à se positionner.

MANIFESTATION DU 18 FÉVRIER À MONTPELLIER (PAR MHY)

ENTRETIEN AVEC SAMUEL BENDAOUD, CRÉATEUR DE L'ANTENNE HÉRAULT DU FRONT UNI DES IMMIGRATIONS ET DES QUARTIERS POPULAIRES (FUIQP34)

Parmi les personnes présentes sur la Place de la Comédie le 11 février dernier, Samuel Bendaoud en profitait pour faire connaître le Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires (FUIQP). Le responsable de l'antenne de l'Hérault est revenu sur ces différents rassemblements et sur le contexte social actuel.

 

Union Urbaine : C'était quoi ton but en allant à cette manifestation ? Outre le fait d'apporter ton soutien à la famille de Théo, tu donnais l'impression d'avoir une démarche assez singulière.

Samuel Bendaoud : C'était déjà pour voir les types de personnes qui étaient là, les différents types de mouvements que cette manifestation avait rassemblés. J'ai vu qu'il y avait très peu de personnes des quartiers populaires donc mon choix a été de tracter et de discuter avec des jeunes sur ce sujet. En tout, j'ai dû rencontrer une vingtaine de jeunes dans l'après-midi. Cela demande beaucoup d'explications, ils sont tout de suite un peu surpris, ils ne nous connaissent pas, donc il sont un peu méfiants. Mais tout compte fait, au bout de cinq minutes, en général, un lien se tisse. Ils sont en tous cas très au courant de tout ce qui se passe et dans l’ensemble assez réceptifs.

Je pense que nos quartiers sont des déserts sociaux. Y'a les Maisons pour Tous, y'a les centres sociaux culturels, mais toutes ces structures sont totalement déconnectées et c'est eux qui donnent les clés pour ci, pour ça, qui choisissent les thèmes, qui choisissent les personnes, donc c'est pas vraiment des lieux d’expression, des lieux indépendants... Il manque des espaces d'expression qui appartiennent aux gens des quartiers populaires.

Les manifestations et les rassemblements sont-ils encore des moyens d'action efficaces pour toucher une population issue des quartiers populaires ?

À vrai dire, cela reste limité. Les manifestations en général, elles sont toujours en ville. Les gens des quartiers populaires ne sont pas vraiment concernés. Ils vont voir qu'il y a une manif, que ça bloque les trams, mais sans plus. Ils ne vont pas se sentir plus concernés que ça. Je pense que ce type de manifestation, c'est un indicateur du nombre d'organisations et de personnes qui sont mobilisées sur le moment. Mais ça va rien changer. Les manifs, on n'y croit plus. Franchement, pour moi, c'est même une perte de temps que de multiplier les manifestations comme ça. Un jour, c’est pour la loi travail, un autre jour c’est le CETA, après c’est les violences policières… Il faudrait descendre une bonne fois pour toute, mais c’est quelque chose qui s’organise.

La population des quartiers populaires, elle n'a pas le temps d'aller user ses baskets, elle est occupée à survivre, elle n’a pas les mêmes problématiques que les militants qui défendent leurs soucis à eux. Dans les quartiers populaires, ils sont plus en mode survie, la vie se fait au jour le jour, ce qui empêche de se projeter, de s'organiser. Les manifestations... on a perdu de plus en plus de droits. Sur ces trente dernières années, elles n'ont servi à rien.

 

« Franchement, pour moi, c'est une perte de temps que de multiplier les manifestations comme ça »

 

L'année dernière, il y a eu la manif pour la tour d'Assas. Vous aviez participé ?

Oui, j'y ai participé. C'était une marche vers la mairie, ils ont bloqué les voies de tram, c'était très bien fait. Le collectif de la tour d'Assas est un collectif de femmes qui habitent dans des logements insalubres, à l'intérieur de cette tour, et qui revendiquent le droit à la mixité sociale et a des logements dignes. Elles se battent depuis plus de deux ans pour pouvoir vivre ailleurs, elles souhaitent être relogées. Sachant que cette tour a déjà comptabilisé deux morts, au niveau de la sécurité, c'est catastrophique. À l'intérieur, c'est une centaine de familles discriminées. Il faut rentrer dedans, il faut voir. Au fil des ans, sur quinze, vingt ans, en majorité, ça va être des femmes avec des enfants, des gens qui ont des difficultés, donc pour partir, les gens ne peuvent pas quitter un logement comme ça. Elles sont totalement méprisées par Philippe Saurel (actuel maire de la ville et président de l’ACM), elles n’ont jamais de réponses. Elles ont fait deux films avec les associations Habiter Enfin ! et Les Ziconofages. Je pense que cela va continuer et qu'il va y avoir d'autres actions dans le courant de l'année. On va essayer d'avoir des réponses, de déranger Philippe Saurel, de lui dire qu'on est là.

 

Sans titre

 

Pour la tour d'Assas, tu parlais des mères de famille, souvent engagées dans des causes qui concernent les quartiers populaires. Tu le constates ?

C'est la première chose qui frappe, c'est le manque d'hommes. Mais bon, les hommes occupent les chantiers, les routes, les bâtiments... En général, ce sont ces hommes qui bossent dans ces secteurs. Je le sais parce que je bosse dans le BTP. Ils ne peuvent pas être sur le chantier et en même temps être sur le terrain, donc ce sont les femmes qui sont à l'avant-garde de la lutte dans les quartiers populaires. Cela reste encore le cas.

Dans nos quartiers, on doit se réapproprier l'histoire de nos luttes. C'est là que le FUIQP intervient, afin d'essayer de repolitiser les jeunes. On nous a fait croire que nos parents ont baissé la tête et rasé les murs alors que c'est totalement faux. On commence à creuser, à chercher, on se rend compte qu'avant aussi, il existait des luttes et on commence à se faire une autre vision. Après, pour souligner un point, en 2004 il y a eu la loi portant sur les signes religieux dans les écoles publiques qui concernait donc la question du port du voile. Je me dis souvent qu'il faut que j'envoie un chocolat à ceux qui ont voté cette loi pour les remercier. C’est à ce moment-là que des femmes françaises, qui vivent ici, qui ont grandi ici, qui sont nées ici, qui ont fait des études, ont subi l’oppression. Ces femmes ont commencé à militer, à se défendre. C'est une des conséquences. On voit aussi que pas mal de femmes ont dû chercher du travail ailleurs qu'en France, des Maghrébines généralement, car on ne leur donnait pas de travail en France. Elles sont parties à Londres, à New-York... Ces gens sont investis, travaillent à droite à gauche, se déplacent, parlent. On est en train de s’organiser face à cette oppression récurrente.

 

« On interpelle plus les jeunes des quartiers en discutant avec eux sur les problématiques réelles qui les intéressent »

 

Là, il y a vraiment un aspect pédagogique. Montrer qu'au sein des quartiers populaires, il existe une histoire. C'est un travail de fond.

Pour l'instant, sur Montpellier, on se réunit parfois entre personnes des quartiers populaires. C'est pour distribuer les rôles de chacun, on fait des groupes de travail, on se forme. J'pense qu'on interpelle plus les jeunes des quartiers en discutant avec eux sur les problématiques réelles qui les intéressent. Par exemple, il y a des attentes sur La Mosson, de la part d’habitants qui essayent d'avoir des jardins partagés depuis des années. Pourquoi leur refuse-t-on ? C'est un sujet intéressant qui traite de l'écologie, de la nutrition... Ce sont des projets qui permettraient de changer le quartier de manière positive. Pour l'instant, on a créé de l'individualisme, c'est catastrophique. Tous les jeunes des quartiers, d’ici au 93, se réunissent crient leur colère... c'est triste, c'est désolant, mais bon on le voit, c'est téléphoné. Tous les cinq ans, on tape sur les quartiers populaires pour les enflammer…

Tout à l'heure, tu parlais de formation. Cela concerne quand même des discussions sur le long terme, tu ne peux pas aller manifester à droite à gauche...

En fait, nous, on regarde vers le plus utile. Nous sommes encore en phase de structuration. En France, il existe une culture de la manifestation qui n’est plus adaptée aux enjeux et aux problématiques actuels. Au niveau des quartiers populaires, l'important c'est surtout de s'organiser, de recréer de la cohésion, du lien social. On se bat juste pour notre dignité, notre fierté. Après, dans les quartiers, il y a de l'argent, il y a des jeunes qui ont du talent... et j'pense que c'est une grosse erreur de la France, de ne pas avoir su jouer sur le fait d'avoir justement dans sa population des gens issus de la diversité. Aujourd'hui, on est la risée du monde. Il n'y a que les Français qui pensent que le centre du monde, c'est ici. Mais ici il s'passe rien. C'est un truc de dingue. Quand on part, qu’on va dans des mégalopoles, en Asie ou ailleurs, on voit comme la vie bouillonne, c'est juste incroyable. Les gens vivent ensemble, ils n'ont pas de problème. Il n'y a qu'ici qu'on sent une certaine tension, c'est incroyable.

Au sein des quartiers populaires, c'est comme si la convergence des luttes n'existe pas. Il y a ce côté "on n'est pas comme eux".

Déjà, c'est une réalité culturelle. Je pense aussi qu'il existe tout de même une convergence des luttes. Mais je crois que toutes ses méthodes, se réunir tous les jours, tous les quinze jours, manifester, c’est quelque chose qui fatigue les militants. Pour aider qui, pour servir à quoi ? Il faut arrêter de perdre du temps, passer à des actes concrets, qui font changer les choses. Il y a eu des occasions à l'époque, par exemple, avec la loi sur le voile. Puis certains responsables de collèges et lycées qui ont fait du zèle jusqu’à renvoyer une jeune fille car sa jupe était trop longue. À cette époque, je n’ai pas vu grand monde lutter sur ces injustices.

On a des grand-frères, on a des pères qui ont milité avec des organisations syndicales ou associatives qui se sont servies de nous. Moi, mon père était à la CFDT, chez les routiers. Donc j'ai un passé, du côté de mon père, de syndicaliste, j’étais souvent en tête de cortège. Aujourd’hui, il est à la retraite et il n’est plus considéré comme avant. D’origine tunisienne, il était comme bon nombre d’immigrés à l’époque, c’est-à-dire sans problème, qui voulait s’intégrer au mieux à son pays d’accueil et, par conséquent, qui était exemplaire.

 

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Il y a cru.

Il a cru grave. Et ça me révolte ! Là il cherche une maison, les agences immobilières lui ont fait ressentir qu’il était étranger... Là comme il a perdu son bureau, sa casquette de travailleur, il subit à nouveau le racisme habituel. Avant c'était « Monsieur », les gens le sollicitait, et d'un seul coup, à nouveau du mépris... c'est inadmissible en 2017, pour un homme qui a œuvré toute sa vie en France, qui n‘a pas fait un pas de travers, ce n‘est pas normal.

T'as fait des rencontres un peu aussi ?

Avec la facilité et l’accessibilité des transports, il est beaucoup plus facile de se connecter entre nous. Cela m’a permis de rencontrer de nouvelles personnes.

Et comment t'en es venu à créer une antenne du Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires ?

À l'époque, je militais pour BDS et donc tout naturellement, j’en suis venu à m’intéresser à la colonisation, l’impérialisme. Et là j'ai commencé à rencontrer des gens, notamment Said Bouamama du FUIQP ou Youssef Boussoumah du PIR (Parti des Indigènes de la République).

 

« On doit faire les choses nous-mêmes et ça prend du temps parce qu'on est obligé de tout recréer, c'est vraiment quelque chose »

 

Il écrit notamment pour État d'Exception.

Parfois, il écrit sur d’autres sujets que les quartiers, c'est aussi un sociologue. J'ai aussi rencontré les plus jeunes, Sihame Assbague, Fania Noël, sur plusieurs conférences et réunions. Je m'interrogeais sur ce que j'allais faire, je me rendais compte du paysage associatif et je me demandais si ça valait vraiment la peine de se lancer. Le fait d'avoir rencontré des gens du FUIQP m'a permis de voir qu’une dynamique était en train de se créer. À partir de là, je me suis dit que je devais essayer de participer au changement. On doit faire les choses nous-mêmes et ça prend du temps parce qu'on est obligé de tout recréer, c'est vraiment quelque chose. On doit innover, y'a beaucoup de personnes qui nous mettent des bâtons dans les roues. Récemment, y'avait une rencontre d'un collectif décolonial à Vaulx-en-Velin qui a été annulée à cause d'un problème de salle avec la mairie.

Et toi t'as créé la section FUIQP de Montpellier ?

Oui avec deux trois amis que je connais. Après Montpellier, c'est assez petit, et c'est aussi une ville où les gens bougent beaucoup, donc on a construit ça avec d'autres personnes aussi.

 

« Les quartiers populaires devraient s’organiser car ils ont un poids donc un pouvoir, il faut se rendre compte de ça »

 

La dernière fois, tu nous avais dit qu’un individu était plus à même de défendre les droits de sa communauté. Qu'est-ce qui se cache derrière cette formule, ce "pour nous, par nous" ? C'est compliqué à expliquer sociologiquement.

C'est compliqué. Après, y'a eu toujours des associations, SOS Racisme ou quoi, ils ont toujours voulu expliquer aux gens des quartiers populaires quoi faire, comme s'ils avaient besoin qu'on leur explique, alors que c'est aux gens des quartiers populaires, à un moment, de se battre et de prendre leur place. Ce sont eux qui subissent le plus tous ces problématiques, de drogues, de violences policières etc. À un moment, c'est quand même à eux de trouver quelque part la force de s'organiser. Ils ne peuvent pas attendre qu'un autre le fasse à leur place. Et si quelqu'un d'autre le fait à leur place, ce sera fait de la même façon que cela s'est construit depuis trente ans.

Par exemple, pour une manifestation comme celle en soutien à Théo organisée sur la Place de la Comédie, a priori elle concernait peu de gens des quartiers populaires. Alors est-ce que cela veut dire que les personnes qui organisent cette manifestation n'ont pas à le faire là ou...

(Il coupe) Pour Théo, c'est bien que d'autres personnes veuillent organiser des manifs, mais ils ne doivent pas le faire au nom de ceux qui subissent ces violences et discriminations. Au centre-ville, ils font un cortège qui part de la Comédie. De cette manière, ils ne peuvent pas se réapproprier nos luttes. Ils pourront dire qu'ils sont là pour soutenir Théo mais ils ne peuvent être la voix des quartiers. Ce matin, j'ai vu que le Planning Familial avait sorti un petit communiqué de presse sur Paris par rapport au viol en faisant l'impasse sur la couleur de peau de Théo. Ils mettent tout à leur sauce sans aller au bout de l'analyse. Cette société patriarcale blanche, aujourd'hui, elle est à bout de souffle. Ils font que des conneries. Pour moi, ce sont des soixante-huitards qui s'accrochent à leur steak, à leur privilège, et personne ne veut partir. C'est bon, à un moment ! Et derrière, on le voit, ça pousse. Y'a des nouveaux entrepreneurs, qui mettent l'humain au centre, aujourd'hui ça avance.

On a l’impression qu’il y a un antiracisme institutionnel, moral, traditionnel et universaliste type SOS Racisme qui renie un peu la contextualisation, comme pour l’affaire de Théo et l'histoire de cette pétition…

Ils sont là pour ça, ne pas régler les problèmes. Ils s’accaparent les causes, c’est pour ça que rien n'avance. Il n'y a jamais une cause qui aboutit. En France, on le voit. Après on va me citer les groupes LGBT tout ça, mais c’est peut-être les seuls groupes qui ont réussi à obtenir vraiment des victoires. Je ne sais même pas comment ils ont réussi. Parce qu’on était peut-être trop occupé à manifester à droite à gauche (rires). Ces associations sont là pour légitimer le pouvoir, et surtout pour s’accaparer la lutte. Dès qu’il y a quelque chose, on leur donne le micro. On n'entend qu'une seule voix, peut-être deux, trois avec la LICRA, la LDH.

 

« On bosse depuis 60 ans, on a construit toutes les routes, tous les bâtiments et on ne trouve toujours pas de travail ! »

 

D’ou la nécessité de s’organiser soi-même finalement, et de refuser les "voies classiques" ?

C'est ça. D’ou l’importance de s’organiser… d'être pragmatique, tout simplement. Tu t’organises. Tes frères et sœurs ne trouvent pas de stage, pas de travail, comment ça se fait ? On est là, on bosse depuis 60 ans, on a construit toutes les routes, tous les bâtiments et on ne trouve toujours pas de travail ! Il y a un problème.

Et sur vos actions « concrètes », t’as des exemples d’actions que vous pourriez développer ? Ne serait-ce que parler d’insertion, formation…

On y réfléchit, on aimerait bien activer des leviers pour réussir à créer de l’emploi dans les quartiers. Je pense qu’il faudrait plus de solidarité, prendre du temps être moins individualiste et recréer du lien. Les quartiers populaires devraient s’organisaient car ils ont un poids donc un pouvoir, il faut se rendre compte de ça.

 

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À l’heure actuelle, vous êtes combien au niveau local ?

On est cinq, six. Par exemple, sur la question tout à l’heure des manifestations avec d'autres groupes, nous aujourd’hui, on n'a pas le temps d’aller manifester. On va coller des affiches, aller à la rencontre des jeunes, aider des collectifs comme le collectif de la tour d’Assas à La Paillade, accompagner des étudiants étrangers en situation difficile... Notre but, c’est de montrer aux gens que s’ils se réunissent, ils peuvent… Il existe des grands combats, manifester c’est bien. Mais ce qui est plus important, c’est d’être dans les quartiers, là, quelque chose se passe. Nous, notre objectif c’est d’être là, de recréer une dynamique dans les quartiers.

De ce que tu as vu, t’as l’impression que ça prend, à Montpellier ?

Ça va prendre du temps. Après à Montpellier, il y a beaucoup de jeunes, il y a de quoi faire. Les gens des quartiers sont tout le temps là, ils ne sont pas pressés. Ca ne va pas être facile, il faut vraiment réussir à gagner de petites victoires pour que les habitants se rendent compte du pouvoir qu’ils ont lorsqu’ils sont unis et solidaires. Cela demande beaucoup d’énergie, de prendre les bonnes décisions. Quand tu pars sur une lutte avec des habitants de quartiers, t’es obligé de rester jusqu’au bout. Sur Montpellier, le collectif vient de se créer il y a peu, mais dans d’autres villes ça bouge…

 

« Ce sont nos petits frères qui se font emprisonner, violer et tuer »

 

Oui, on a vu à Saint-Étienne notamment...

Oui, à Lille ils ont carrément monté une université populaire tous les dimanches. Il y a de beaux projets qui se mettent en œuvre un peu partout. Le FUIQP, est actuellement représenté à Lille, Paris, Saint-Étienne, Grenoble, Marseille, Montpellier, Toulouse et Nîmes. Il commence à y avoir un arc de cercle dans le sud. Il y a eu des demandes d’ouverture dans d’autres villes, même un peu trop. On doit même temporiser.

En même temps, c’est aussi le bon moment pour se développer, il y a quand même un contexte national qui vous permet d’être audible, malheureusement…

C’est clair ! Pour nous avec l’histoire de Théo, c’est triste, mais on doit pas manquer le rendez-vous, on doit être capable d’occuper les quartiers, de parler avec nos jeunes. Parce que ce sont nos petits frères qui se font emprisonner, violer et tuer. Nous devons nous organiser, à tous les niveaux. Parce qu’ils subissent les contrôles au faciès, les brimades et les humiliations. Il peut y avoir de très beaux projets qui peuvent être faits dans les quartiers, il n'y a aucun doute là-dessus. C’est juste des volontés personnelles et politiques.

Et d’ailleurs, le projet de documentaire sur la tour d’Assas ?

Il y a eu une diffusion vendredi dernier à la Caf de La Paillade avec les habitants du quartier. Il y aura aussi une diffusion au Diagonal au mois de Mars.