« UNE VISION MULTIDISCIPLINAIRE DES PRATIQUES »

Thomas Raymond, membre de l’association Attitude, Part. II

Union Urbaine est allé voir du côté d’Attitude, une association qui impulse plusieurs actions à Montpellier dont le Battle of the Year depuis presque vingt ans tout en accompagnant les artistes vers leur professionnalisation et en leur proposant des espaces de travail. Après avoir évoqué les différents parcours des rappeurs de la région comme Joke, Némir ou Set&Match, qui ont tous réussi à plus ou moins percer (relire la première partie), Thomas revient sur les prémices de l’association.

 

Union Urbaine : Comment est née l’association Attitude ? C’est une demande de la région ?

Thomas Raymond : Ah non pas du tout. À la base, on organisait un festival à la fin des années 80, qui est lié à la construction du premier skate park de la ville qui était sur antigone, qui a été construit fin 89, début 90. Nous à la base, on faisait du skateboard, donc on avait collaboré avec la ville, moi à l’époque j’avais 17 ans, sur la dernière phase de mise en place du projet. On avait lancé une manifestation parce qu’on tournait sur pas mal de compéts à droite, à gauche, et on se faisait un peu chier. Parce qu’en fait, le skate park était situé à la fin de la ligne 1, qui venait de la paillade. Et du coup c’est devenu un peu un lieu de rencontre informel de tous les pratiquants, que ce soit skate, roller, graffiti, danseurs, qui venaient du centre ville. On avait monté une association avant Attitude et on a organisé un premier festival, mais c’était un truc de potes, qui a tenu deux ans là-bas. Ensuite le skate park a été déménagé au domaine de grammont en 91, et là, nous, on a continué le festival en parallèle de nos études. Moi j’ai monté une boutique associative qui était juste à coté dans la rue du Pila. Cette boutique était juste à coté d’un disquaire indépendant, le dernier disquaire indépendant de la ville qui s’appelait « Alalala » et aussi toute une activité culturelle commerciale dans cette rue. Du coup, le festival a continué, c’était un peu notre fête annuelle. Puis on s’est retrouvé en fin 1995 avec cinq, six milles personnes sur le Zénith et là c’était un peu problématique.

 

« Le site en terme de fonctionnement, rien que pour l’électricité, il y en avait pour 150 milles francs »

 

La Ville nous disait : « C’est plus possible de faire comme ça, il faudrait que vous le fassiez ailleurs. » Donc ils nous ont proposé de le faire sur l’espace rock qui est derrière le zénith, qui accueille des gros concerts, qui était fait pour accueillir les gros festivals de l’été. Et du coup c’était un peu la baston parce que nous on faisait ça avec peu de moyens, tout était gratuit, c’était des potes qui amenaient des mecs qui venaient gratos. Et on s’est un peu retrouvé dans une baston avec la Ville, parce qu’ils nous disaient : « Bon on vous donne le site. » Mais le site en terme de fonctionnement, rien que pour l’électricité, il y en avait pour 150 milles francs. À l’époque, on était sur un budget de 50 milles francs et on se retrouvait avec des frais à 400, 500 milles francs.

 

« On était là, avec toute la scène rap française »

 

Il a fallu structurer…

Oui, du coup on s’est retrouvé un peu en baston avec eux, on a fait des menaces de boycott de Montpellier danse avec des artistes qui étaient un peu à gauche, comme Sapho. Finalement ils nous ont filé le site gratos. Du coup on a fait deux années consécutives, le festival 1996-1997 sur le site là-bas, c’était deux éditions où on était financé par personne. On s’est retrouvé en galère parce que c’était pas rentable au niveau économique, la dernière édition en 1997, où justement on était là, avec toute la scène rap française, il y avait Arsenik, Oxmo, la FF, toute la scène émergente, Busta Flex, Expression Direkt…

Ils sont tous venus ?

Ils sont tous venus, parce qu’on avait les premiers battle de danse, 50 artistes graffitis du monde entier qui venaient… Enfin, du coup, on s’est retrouvé avec ce truc là sans un sous, et il y a un élu à la ville qui a un peu compris que le truc était intéressant, il nous a un peu mis le pied à l’étrier. Et c’est là qu’en 1997, on a monté l’association Attitude. On a commencé à avoir des financements, à partir de 2000. Entre-temps, on a fait des versions au Peyrou, au parc expo… Et c’est en 2000 qu’on a commencé, on a eu une réunion avec Frêche à l’époque, avec on va dire toute l’inteligencia culturelle montpelliéraine. On a été un peu officialisé comme acteur culturel.

 

« On avait tout un tas de soucis, des dettes, parce qu’économiquement ça tenait pas »

 

C’était un processus long finalement…

Oui, ça a mis 6, 7 ans. On s’est retrouvé avec une problématique parce que nous on était sur une vision multidisciplinaire des pratiques, il y avait un coté à la fois skateboard, bmx, graffiti, danse hip hop, concerts de rock, concert de rap, battle de sound system raggae, c’était vraiment multidisciplinaire quoi. Mais de fait on s’est retrouvé économiquement à devoir scinder les choses, avoir une rentabilité pour les évènements… Du coup, on a délocalisé la partie battle vers le quartier de la Mosson, pendant deux ans au palais des sports. On gardait notre partie skateboard qui était sur le skate park. On a évolué un peu comme ça. En 1999, on a eu les emplois jeunes qui ont sont arrivés, ce qui a permis de vraiment se professionnaliser, avec des audits dans tous les sens, pour la pérennité des trucs, la pertinence, tout ça. Sauf qu’au final, au bout de trois ans, quand les emplois jeunes étaient plus financés, après le département, la DRAC, tous ceux qui s’étaient engagés à accompagner n’ont plus accompagné. La ville accompagnait de façon un peu sporadique mais la région, qui à l’époque était encore à droite, n’accompagnait pas du tout et le département accompagnait sur la partie sportive… Donc reparti toutes les galères, on s’est retrouvé en 2001, 2002, on a eu les locaux où nous sommes maintenant. On avait tout un tas de soucis, des dettes, parce qu’économiquement ça tenait pas. La DRAC voulait pas suivre parce qu’ils comprenaient pas le dispositif. Donc les locaux ici nous ont été mis à disposition par la ville. Donc du coup, on paye une redevance, mais symbolique. On a commencé à remonter un peu la pente, à partir de 2004. La région s’est mis dans le battle parce qu’il avait changé d’aura donc ils étaient un peu obligés de s’intéresser et c’est là qu’on a commencé. Parce que depuis la fin des années 1980, il y avait quand même des réseaux hip hop informels avec Perpignan, Béziers, Sète, avec qui on collaborait, mais de façon non institutionnelle en tant que passionnés. On s’invitait les uns les autres, dans différents festivals.

 

« On s’invitait les un les autres, dans différents festivals  »

 

On a donc dit à la région, il y a des artistes hip hop, ils ont pas accès aux dispositifs comme sur d’autres esthétiques, comment est-ce qu’on pourrait faire en sorte que dans le cadre des compétences régionales au niveau de la culture on puisse faire en sorte que ces artistes aient une visibilité au même titre que d’autres, sur des aides à la création, sur des aides à la diffusion. Du coup avec la casa musical on a proposé de faire un état des lieux de ce qui existe, et nous on s’engage à faire en sorte que les artistes qu’on vous propose puisse rentrer dans les clous administrativement pour pouvoir être éligible à ces dispositifs là. Puisqu’il y a pas de raison, c’est de l’argent public et hors des dispositifs, il y a des artistes qui existent et on vous propose même si c’est un peu paradoxal, on fait un peu l’antichambre de ces artistes là, on fait le lien avec eux pour que vous pussiez les soutenir, avec la région, avec la DRAC sur la partie politique de la ville musique et danse. C’était un peu ça le deal.

Quand est-ce que les fruits ont été visibles ?

En 2007, il y a eu la première visibilité du réseau avec une action au départ qui était beaucoup sur la danse, parce que sur le rap à l’époque c’était encore… les scènes de musiques actuelles, le rap…parce que fin 1990, il y a eu toutes les galères de programmation, de baston dans les concerts, des trucs un peu relous, les scènes de musiques actuelles étaient un peu refroidies par tout ça. On a mis en place des dispositifs avec réseau en scène, Montpellier danse, qui ont bien fonctionné avec des chorégraphes reconnus. Le but, c’était pas de ghettoïser le truc, en disant « c’est des artistes hip hop » mais c’est des artistes danse à part entière. Et à partir de 2009, on s’est mis un peu plus sur le rap aussi, avec ce fameux blockbuster pour essayer de faire la même chose au niveau musique, mais avec un dispositif différent. L’environnement est différent, les opérateurs culturels sont différents, les aides aussi sont différentes.

 

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